Comme on l’apprenait sur les ondes de la radio publique américaine NPR news[1] en avant première, un essai de traitement du cancer qui a recours à CRISPR, a fait l’objet mercredi 5 novembre d’un rapport positif de sécurité. Une occasion pour revenir sur quelques problématiques liées à l’oncologie.
CRISPR un game-changer pour l’oncologie ?
Le cancer est très probablement la plus grande énigme de la biologie humaine contemporaine. L’extraordinaire effort de recherche entrepris depuis la fameuse loi de Richard Nixon signée le 23 décembre 1971 et qui déclara la guerre au cancer a permis de diminuer la mortalité. Mille fois déçus par l’approche pourtant logique de l’immunothérapie du cancer les médecins sont aujourd’hui souvent sceptiques sur les nouveaux traitements même si les preuves de leur efficacité n’ont jamais été aussi incontestables. Le prix Nobel de médecine 2018 qui a consacré les travaux de JP Allison a braqué les projecteurs sur l’intimité des relations entre les cellules cancéreuses et les cellules immunitaires. Dès lors que peut-on attendre de CRISPR dans le traitement des cancers ?
CRISPR est une technique dont les possibilités s’avère presque infinies. La valeur ajoutée est bien évidemment dans la modification du génome et non dans l’outil qui permet de la pratiquer. Quelle que soit la valeur inestimable de cet outil précis, finalement peu onéreux et efficace, ce qui est le cas de CRISPR. Par ailleurs, il n’y a pas de contradiction entre l’approche qui consiste à modifier le génome des tumeurs pour les re-différencier ou les rendre moins agressives et celle qui consiste à modifier le génome des cellules immuno-compétentes, pour rétablir leur capacité à détruire les cellules tumorales.
L’utilisation de CRISPR dans le traitement du cancer est aussi un sujet extrêmement sensible, compte-tenu des implications pour les patients mais aussi en raison des bouleversements possibles dans l’industrie pharmaceutique.
Depuis une dizaine d’années l’immunothérapie à l’aide d’anticorps monoclonaux dirigée contre des cibles identifiées sur les cellules tumorales a permis la mise au point de traitements efficaces. La nouvelle étape dans laquelle se sont engagés les chercheurs grâce à CRISPR est totalement inédite. Il s’agit de créer grâce à une ingénierie cellulaire sophistiquée de véritables médicaments vivants. Des cellules entraînées et équipées ex vivo pour détruire le cancer en question. Les CAR T-cells par exemple (pour cellules T porteuses d’un récepteur chimérique) sont des lymphocytes T, prélevés à partir du sang du patient, puis modifiés génétiquement in vitro de manière à leur faire exprimer un récepteur artificiel, dit chimérique. Ce récepteur est tel que sa partie extra-cellulaire reconnaît un antigène tumoral, le plus spécifiquement possible afin d’éviter les effets néfastes sur d’autres cellules. La partie intracellulaire va, elle, se charger de l’activation du lymphocyte après fixation sur les cellules tumorales.
Dans l’essai clinique en cours aux USA il s’est agit de supprimer trois gènes « bloquants » et d’en ajouter un susceptible de rendre efficaces ces cellules T (des globules blancs spécialisés dans la défense contre le cancer).
Cette approche apparaît relativement sûre selon les résultats qui auraient été rapportés récemment [2]. Les données sur l’efficacité du traitement seront présentées au mois de décembre à la société américaine d’hématologie, puisque les trois premiers patients traités par ces cellules modifiées à l’aide de CRISPR sont atteints pour deux d’entre-eux d’un myélome multiple et pour le troisième d’un sarcome synovial.
Il est important de mettre cette nouvelle étape en perspective: on assiste depuis quelques années à trois grandes transformations dans le traitement des cancers.
Le cancer n’est pas une maladie d’organe
C’est un changement de conception de la nature du cancer. On ne traite plus une tumeur de l’estomac, on traite un cancer né au niveau de l’estomac mais qui présente des caractéristiques génétiques, métaboliques et de survie qui le caractérisent et vont déterminer le traitement le plus efficace. Connaître la localisation anatomique d’un cancer est de plus en plus secondaire par rapport aux caractéristiques intrinsèques des cellules qui le composent. Ainsi traiter un cancer dans une unité dévolue à un organe est de moins en moins pertinent. Singulièrement, en France, le développement des centres de lutte contre le cancer avait anticipé cette approche biologique il y a plusieurs décennies.
Le défi des dernières cellules
Plusieurs cancérologues ont bien conceptualisé le défi de la dernière cellule. Il faut rappeler en France les travaux de Georges Mathé[3] et Lucien Israël[4]. Où qu’elle soit dans la tumeur, en phase quiescente du point de vue de la division cellulaire, à l’abri des missiles pharmacologiques, ou circulante et déjà essaimée dans un organe où sa taille ne permet pas la détection, la dernière cellule est inaccessible aux traitements conventionnels. De surcroît les cellules ont des programmes de survie. Les cellules cancéreuses n’échappent pas à cette constatation. C’est pourquoi les traitements allopathiques du cancer (chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie) ont besoin pour obtenir une guérison du système immunitaire de l’individu. Ce n’est pas un moindre paradoxe de rappeler que les traitements conventionnels sont aussi immunodéprimants. Dans ces conditions, le rôle de l’immunothérapie est essentiel même si jusqu’à présent il n’a pas permis de mettre au point une stratégie thérapeutique généralisée contre les cancers.
De l’immunothérapie idéalisée à l’ingénierie cellulaire
Qu’il s’agisse de la rémission spontanée des cancers dont les cas ont été authentifiés même s’ils sont exceptionnels, ou bien des preuves solides que la stimulation non spécifique du système immunitaire contribue à guérir certains cancers comme le cancer superficiel de la vessie[5], l’immunothérapie est longtemps restée un wishful thinking. Une connaissance très précise des mécanismes d’échappement des cellules cancéreuses à l’immunosurveillance de notre organisme, le développement d’anticorps monoclonaux contre des cibles présentes à la surface des cellules cancéreuses, et maintenant l’utilisation de CRISPR pour entraîner et équiper des cellules immunitaires autologues représentent des découvertes et des innovations capables de changer la donne. Ainsi nous arrivons à l’étape clinique où des cellules immunitaires de l’individu ont été modifiées et réinjectées aux patients pour qu’elles atteignent toutes les cellules cancéreuses immédiatement ou ultérieurement en fonction du développement tumoral..
C’est un encouragement immense pour les patients atteints de cancer comme c’est un encouragement pour les médecins qui les soignent. Ces derniers ont petit à petit transformé certains cancers en maladie chronique grâce au rythme accéléré de l’apparition des nouveaux traitements qui prennent le relais les uns des autres. Il y a tout à attendre de la recherche et tout à perdre dans le déni scientifique ou le non investissement dans les nouveaux traitements du cancer, c’est un véritable test pour notre boussole politique.
[1] https://www.npr.org/sections/health-shots/2019/11/06/776169331/crispr-approach-to-fighting-cancer-called-promising-in-1st-safety-test )
[2] https://www.statnews.com/2019/11/06/first-use-of-crispr-against-cancer-in-patients-clears-early-safety-hurdles/
[3] « La dernière cellule », in: Presse méd, 75 (1967): 2591-2593
[4] https://academiesciencesmoralesetpolitiques.files.wordpress.com/2019/01/3israel.pdf
[5] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/820877 et https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/350390
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