L’exposition aux rayonnements nucléaires, malgré Tchernobyl, fait chaque année en Europe beaucoup moins de morts prématurées que l’exposition aux rayonnements solaires. Pourquoi alors l’opinion est-elle terrifiée par les premiers, et indifférente aux seconds ?
L’appréciation d’un danger peut mener à de graves erreurs de jugement quand ne lui est pas associée une évaluation du risque réellement couru, c’est-à-dire de la probabilité que l’exposition à ce danger se concrétise par des dommages physiques. Car l’esprit humain réagit de manière instinctive à un danger évident et immédiat, mais ne sait pas évaluer spontanément la nature et l’importance de dangers auxquels il est exposé, mais dont les dommages ne se concrétiseront pas dans l’immédiat. C’est donc pour cette catégorie de dangers qu’il est le plus nécessaire de faire des estimations de risques, d’autant plus que les dommages peuvent apparaître avec des temps de latence de plusieurs dizaines d’années.
Les risques des substances dangereuses sont estimés en probabilité de concrétisation du danger par un dommage en fonction des quantités (doses) reçues (absorbées) de ces substances, immédiatement ou sur le long terme. C’est ce qu’on appelle établir des relations doses-effets. Ils sont généralement exprimés en risque relatif, c’est-à-dire en % d’excès de risque par rapport au risque « normal » de réalisation du même dommage, mais dû à d’autres dangers, dans des populations non exposées. Pour cela il faut comparer lors d’examens cliniques des «cohortes» suffisamment larges de personnes exposées à des degrés (doses) divers, à des cohortes « témoin » au moins aussi larges de personnes non exposées. De plus ces cohortes doivent être « appariées » ce qui veut dire que la composition des cohortes témoin doit différer aussi peu que possible de celle des cohortes exposées, sauf bien sûr en ce qui concerne leur exposition au danger étudié. Plus la dose absorbée est faible, et donc plus le risque est faible, plus les cohortes examinées doivent être larges.
Ainsi, il est possible de faire des recommandations, qui seront ou non suivies en fonction du risque qu’un individu concerné est prêt à prendre. Malheureusement cette estimation du risque n’est qu’une probabilité que le danger se concrétise par un dommage pour un certain pourcentage de la population exposée en fonction des doses absorbées, et elle ne peut donc pas désigner nommément les individus qui en seront victimes. Chaque individu, selon son tempérament, peut penser qu’il ne fera jamais partie de ce pourcentage, ou qu’il s’y trouvera obligatoirement, ou peut même être indifférent à ce danger, d’où la grande difficulté pour lui de changer de comportement. De plus, à dose reçue (absorbée) égale, le risque couru peut différer assez largement d’un individu à l’autre.
Le but de cet article est de mettre en regard les risques de dangers souvent commentés par les médias, ceux créés par les rayonnements solaires, qui sont largement acceptés par l’opinion publique, et ceux créés par les rayonnements nucléaires (radioactivité), qui le sont très peu.
La nature de ces deux types de rayonnements reste toujours largement incomprise par l’opinion, d’une part parce qu’il faut pour les appréhender avoir un minimum de connaissances scientifiques appropriées, mais encore plus à cause du refus des médias de faire depuis très longtemps un minimum de pédagogie sur ces sujets, surtout en ce qui concerne les rayonnements nucléaires. Le citoyen ne peut alors s’y retrouver devant des discours contradictoires. Il existe donc un très gros écart entre les risques réels et les risques perçus par cette opinion. C’est ce qu’on appelle un biais cognitif. Nous espérons par cette comparaison permettre au lecteur de relativiser les risques de l’un par rapport à ceux de l’autre, c’est-à-dire de réduire l’ampleur de son biais cognitif, s’il en a un, sur ces sujets.
La partie la plus dangereuse des rayonnements solaires est ce qu’on appelle les rayonnements ultraviolets (UV). Ce sont des rayonnements électromagnétiques (photons) non visibles, de longueurs d’onde de 400 nm à 100 nm, soit dans la continuité de celles des photons de la lumière visible, mais inférieures. On les classe en 3 catégories selon leur longueur d’onde : UV-A, de 400 à 315 nm, UV-B, de 315 à 280 nm et UV-C, de 280 à 100 nm.
Les UV-A, dont la longueur d’onde est la plus grande, sont les moins énergiques (l’énergie d’un rayonnement électromagnétique croît quand sa longueur d’onde décroît). Mais ils peuvent pénétrer dans les couches profondes de la peau.
Les UV-B, de longueur d’onde moyenne, ont des effets biologiques plus importants que les UV-A, mais une partie en est filtrée par l’atmosphère. Ils ne pénètrent pas au-delà des couches superficielles de la peau, et sont en partie absorbés par la mélanine de l’épiderme.
Les UV-C, de courte longueur d’onde, sont les UV les plus énergétiques ainsi que les plus nocifs, mais ils sont complètement filtrés par la couche d’ozone de l’atmosphère et n’atteignent donc pas la surface de la Terre sauf là où cette couche est absente.
Les UV-A représentent environ 5 % de l’énergie du rayonnement solaire qui parvient au sol, et les UV-B environ 2,5.10 ^-4. Ces proportions augmentent avec l’altitude.
Les effets de ces UV sur la peau sont multiples. Certains sont bénéfiques : les UV-B permettent la synthèse de la vitamine D, et soignent le psoriasis. Mais la plupart sont dommageables.
Des expositions intenses et/ou prolongées au soleil provoquent un dessèchement de la peau, des érythèmes (brûlures, coups de soleil) qui peuvent parfois entraîner des morts rapides, mais surtout peuvent provoquer tumeurs et cancers. Les photons des rayonnements UV sont absorbés par les bases de l’ADN, principalement thymine mais aussi cytosine. L’irradiation provoque alors une dimérisation à partir de bases voisines avec rupture de la chaîne ADN. Les cellules impactées peuvent réparer les dégâts, d’autres meurent par autodestruction, c’est ce qu’on appelle l’apoptose, d’autres enfin subissent des mutations génétiques qui peuvent conduire au développement de cancers de la peau. C’est ce qu’on appelle la photo-carcinogenèse. Les cancers de la peau (cutanés) ainsi provoqués sont des carcinomes : carcinome épidermoïde (dit aussi spinocellulaire), qui affecte les cellules de l’épiderme, carcinome basocellulaire, qui affecte les cellules des couches inférieures de la peau, et des mélanomes, les plus virulents, qui se développent à partir des mélanocytes, c’est-à-dire des cellules qui produisent la mélanine, alors que celle-ci est pourtant la molécule protectrice de la peau.
Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS, en Anglais World Health Organization (WHO), 50 à 90 % des cancers de la peau sont imputables aux UV solaires, faisant des UV le premier facteur de risque pour ces cancers. 65 % de la carcinogenèse seraient dus aux UVB et 35 % aux UVA (1).
Les UV peuvent aussi être la cause :
- de cancers oculaires, souvent des mélanomes,
- de photokératites, c’est-à-dire des inflammations de la cornée,
- de photoconjonctivites (inflammations de la membrane conjonctive de l’œil) et/ou cataractes,
- de ptérygiums (lésions pseudotumorales le plus souvent bénignes de la conjonctive (2)),
- d’hyperplasies (épaississements de l’épiderme) conduisant à un vieillissement prématuré de la peau,
- d’immunodépressions (affaiblissement des défenses immunitaires) au niveau de la peau, qui favoriseraient la photo-carcinogénèse.
Un document commun de l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale (Afsse), de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) et de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) décrit toute la variété et la complexité des effets du rayonnement solaire sur les organismes (3). La liste en est impressionnante et montre la dangerosité potentielle de l’exposition à la lumière solaire. Mais le risque correspondant s’évalue comme dit plus haut par l’importance de la dose reçue.
Nous nous bornerons ici à évaluer les risques des seuls cancers de la peau en fonction de la dose reçue. En effet, c’est le meilleur point de comparaison avec les risques de la radioactivité aux doses couramment reçues, qui consistent essentiellement en risques de cancers.
L’unité de dose de rayonnement solaire reçue utilisée par les médecins spécialistes est le joule/m2 de surface exposée de peau.
La puissance de l’irradiation solaire reçue au sol par temps clair au midi solaire en été est en France de l’ordre de 1 kW/m2, et la surface de peau d’un adulte de l’ordre de 1,5 m2. Un adulte s’exposant alors nu sur une plage sans bouger pendant une heure va donc exposer au soleil 0,75 m2 de peau qui recevra au total une énergie de 0,75 kWh, soit 2,7 millions de joules. Cependant la part en énergie des UV-A reçue n’est que d’environ 5 % de celle du rayonnement solaire total, et celle des UV-B, les plus dangereux, de 5% des UVA. Cet adulte recevra donc au total pendant cette heure de l’ordre de 180 000 joules/m2 en rayonnements UV- A et de l’ordre de 9 000 joules/m2 en rayonnements UV-B.
Compte-tenu de la grande variation de dangerosité du rayonnement solaire en fonction des longueurs d’onde de son spectre, les médecins spécialistes ont élaboré une unité approximative d’estimation du risque appelée dose érythémale. Un érythème est la rougeur caractéristique qui apparaît à la suite d’un coup de soleil. On distingue ainsi la dose érythémale minimum (DEM), celle qui fait apparaître la première rougeur caractéristique, la dose érythémale standard (DES), qui vaut 100 joules/m2, la dose érythémale effective (DEE), celle qui est réellement efficace. Cette dernière est fonction de l’exposition au soleil, mais aussi du type de peau, les peaux claires étant plus sensibles que les peaux foncées, riches en mélanine protectrice, de l’âge (les enfants sont plus sensibles que les adultes) et des circonstances de l’exposition (à même dose totale reçue une exposition modérée régulière est moins risquée qu’une exposition importante occasionnelle). On utilise aussi pour la communication vers le grand public l’index UV qui varie de 1 à 8 et quantifie approximativement l’intensité des effets des UV sur une peau européenne « moyenne ».
La relation entre la dose reçue et l’apparition d’un cancer cutané est donc très difficile à établir précisément. Cependant, des travaux récents (4) ont permis d’établir des relations entre dose érythémale effective (DEE) annuelle reçue et les prévalences, c’est-à-dire le nombre de personnes affectées dans un nombre donné de personnes, ici 100 000, des trois principaux types de cancers cutanés pour une peau « moyenne » de type européen. Il s’agirait de sigmoïdes (courbes en S), c’est-à-dire faites de deux parties où les effets augmentent lentement avec la DEE, reliées par une partie où ces effets augmentent rapidement.
Les prévalences maximales observées sont de l’ordre de 500 pour 100 000 pour le carcinome épidermoïde (dit encore spinocellulaire), 1800 pour 100 000 pour le carcinome basocellulaire et 45 pour 100 000 pour le mélanome, qui se développe à partir des cellules fabriquant la mélanine, les mélanocytes.
Actuellement en France, il y a de l’ordre de 100 000 cancers de la peau diagnostiqués chaque année, soit à peu près le quart des cancers tous types confondus, dont 70 % de basocellulaires, 20 % d’épidermoïdes et 10 % de mélanomes (5). Les deux premiers sont assez facilement curables et n’entraînent qu’une faible mortalité. Mais le mélanome, s’il n’est pas diagnostiqué à temps, est très dangereux. Il est responsable actuellement en France d’environ 2000 décès par an. Il est aussi en croissance rapide, à cause d’un changement de mode de vie entraînant une exposition accrue au soleil, mais aussi du développement des cabines de bronzage par les UV.
Les rayonnements nucléaires sont de cinq types, alpha, béta, gamma et X, protonique et neutronique. Nous ne parlerons pas ici du dernier auquel il est très rare d’être significativement exposé.
Le rayonnement alpha est fait de noyaux d’hélium 4, association de deux neutrons et de deux protons, soit une masse de 4u* et deux charges électriques positives. De forte énergie cinétique (5 à 6 millions d’électrons-volts, Mev*) mais de masse importante, ils interagissent fortement avec la matière et ont de ce fait une portée très faible dans l’air, quelques cm, et donc une portée encore plus faible dans une matière plus dense que l’air.
Le rayonnement béta est fait d’électrons ou moins fréquemment de positrons, et ont donc une masse très faible, 1/1836 u et une charge électrique négative ou positive selon le cas. Leur énergie cinétique est de l’ordre de la dizaine de kev au Mev, soit plus faible que celle des rayonnements alpha. Leur portée dans l’air est de quelques mètres.
Les rayonnements gamma et X sont des rayonnements électromagnétiques (photons), donc sans masse et sans charge, de très faible longueur d’onde et donc beaucoup plus énergiques que la lumière. Les X ont des énergies de l’ordre de quelques dizaines de kev, et les gammas de l’ordre de la centaine de kev au Mev. La portée des gammas est de l’ordre du km dans l’air.
Ces rayonnements sont principalement le fait de la désintégration des isotopes radioactifs contenus dans la croûte terrestre.
S’y ajoutent les rayonnements issus du rayonnement cosmique : celui-ci est constitué de protons (masse 1 u, une charge positive) de très grande énergie (jusqu’à 10 à 20 Gev) venant de l’espace. Ils provoquent la formation dans l’atmosphère de « douches » de rayonnements constituées en particulier d’un rayonnement protonique de bien moindre énergie, mais aussi de rayonnements alpha, bêta et gamma.
Comme dans le cas des UV, les cellules impactées soit peuvent réparer les dégâts, soit meurent par apoptose, soit encore subissent des mutations génétiques qui peuvent conduire au développement de cancers.
Les dommages créés par la radioactivité sont, en fonction des doses reçues, la mort à court terme à de très fortes doses, puis, jusqu’à des doses dix fois inférieures à la dose létale, des cancers, des maladies cardiovasculaires et des troubles de régénération de certains tissus, et à long terme, aux faibles doses, uniquement des cancers, cancer solide ou cancer du sang (leucémie).
L’unité de dose reçue est ici le joule/kg, appelée le gray (G). Mais les effets sanitaires sur un organe sont pour une même dose reçue très variables selon la nature (alpha, bêta, gamma…) des rayonnements qui la délivrent. Les médecins ont donc créé une unité de dose dite équivalente pour en tenir compte. Elle est exprimée en sieverts (Sv) *. Ils ont aussi créé une unité de dose dite efficace pour le corps entier, exprimée également en sieverts, qui tient compte à la fois de la nature des rayonnements reçus, et des différentes sensibilités des organes concernés à ces rayonnements en matière d’induction de cancers.
En fait la « dose efficace », c’est, comme la DEE pour le rayonnement solaire et la peau, un paramètre calculé pour intégrer toutes les irradiations reçues au cours du temps par les différents tissus de l’organisme, afin de relativiser le poids relatif des rayonnements dans l’ensemble des facteurs cancérigènes d’un individu. Ce paramètre n’a donc d’utilité et de valeur que comme un repère en radioprotection, et ne doit pas servir à quantifier mathématiquement un risque, et encore moins pour un individu particulier à calculer une probabilité de présenter un cancer. Elle n’a d’intérêt que pour estimer les excès de risques dus à des doses très faibles à moyennes, dont les effets sont dits stochastiques (aléatoires) et ne peuvent pas être attribués seulement à la radioactivité, et cela pour l’ensemble d’une population exposée et non pour un individu en particulier. Cela par opposition aux expositions entraînant des risques dits déterministes, attribuables de manière évidente à la radioactivité chez un individu donné, qui sont ceux encourus aux fortes et très fortes doses, supérieures au gray.
Nous n’examinerons pas le domaine des fortes et très fortes doses, car celles-ci ne sont reçues que dans un très petit nombre de cas, en situation accidentelle, et ne concernent qu’un nombre très limité de personnes. Ce domaine relève du secours immédiat. Nous traiterons donc seulement des doses moyennes à très faibles, ayant potentiellement des effets à long terme. Ce sont celles qui angoissent le plus le grand public, car il n’a pas de repère permettant de savoir à quoi s’attendre, et quand il est exposé.
Le domaine des faibles doses est défini, selon l’UNSCEAR*, selon une échelle allant de 10 millisieverts (mSv) à 100 millisieverts de dose efficace, et celui des très faibles doses par une dose efficace inférieure à 10 mSv (6).
La règle établie, mais contestée de plus en plus par les médecins spécialisés, est d’utiliser pour évaluer le risque supplémentaire de décès par cancer dans une cohorte exposée, par rapport au risque de décès par cancer dans une cohorte appariée non exposée (cohorte témoin), une relation dite linéaire entre la dose efficace et l’excès de risque, c’est-à-dire une proportionnalité. Cette relation linéaire résulte de la comparaison des observations cliniques entre cohortes exposées et cohortes appariées «témoin» . Elle ne représente bien sûr qu’une estimation statistique de la tendance de l’ensemble des observations.
Cette relation est relativement bien assurée au-dessus de 100 mSv, mais ne l’est plus en-dessous : en effet l’excès de risque devient alors tellement faible qu’il devient impossible de l’estimer par rapport aux risques de décès par cancer dans des cohortes témoin, donc pour d’autres causes que la radioactivité, sauf peut-être en examinant des cohortes extrêmement nombreuses, impossibles à prendre en compte dans la pratique. Cette situation est comparable à la recherche d’un signal sonore précis dans un bruit de fond dont l’intensité moyenne lui est très largement supérieure. D’autre part, les cancers radio-induits ne peuvent pas être distingués cliniquement des cancers non radio-induits. On ne peut donc pas exclure formellement qu’à faible dose quelques cancers radio-induits ne s’ajoutent pas à l’ensemble des cancers normalement observés, mais il s’agit là d’une affirmation gratuite, car il est impossible de le prouver. Il est sûr par contre qu’ils ne pourraient être qu’en nombre très faible, statistiquement insignifiant (7).
Il est d’usage alors de prolonger arbitrairement la relation linéaire en-dessous de 100 mSv, c’est ce qu’on appelle la relation linéaire sans seuil (RLSS). L’excès de risque ainsi calculé est très faible. Mais il est très probable, comme le rapporte la très grande majorité des médecins du nucléaire, que cette méthode surestime pourtant cet excès de risque dans des proportions très importantes. Cette convention correspond donc à une pratique de précaution, car personne n’a constaté sans ambigüité d’effet notable en dessous d’une dose efficace de 100 mSv (8,9,10). Encore s’agit-il de dose reçue rapidement, en une année ou deux. Car des doses bien plus fortes, mais plus étalées dans le temps, n’affectent pas non plus significativement l’organisme humain, comme le montrent de nombreux exemples dans le monde (au Brésil, en Chine, en Iran, en Inde, et même en Europe…) où les doses reçues par radioactivité naturelle au cours d’une vie peuvent être beaucoup plus fortes.
La pente de cette relation linéaire dose/effets est de 5 % de mortalité supplémentaire due à un cancer par sievert de dose efficace reçue.
Les doses reçues par les Français du fait de la radioactivité sont en moyenne annuelle très en dessous de 100 mSv. Il faut distinguer les doses internes, reçues du fait de la radioactivité du corps humain (due essentiellement au potassium 40 et au carbone 14 qu’il contient), environ 0,25 mSv par an en moyenne, ou de l’inhalation de radon 222, 1 mSv par an, des doses externes, reçues du fait des rayonnements venant des roches environnantes (dits telluriques), 0,45 mSv par an, des rayonnements cosmiques, 0,3 mSv par an, mais aussi des examens médicaux, 1,5 mSv par an, soit au total 3,5 mSv par an (11). On est là dans le domaine des très faibles doses.
Cependant, il ne s’agit là que de moyennes. Les doses reçues sont plus fortes pour les habitants des pays granitiques. Les doses reçues du fait du rayonnement cosmique augmentent rapidement avec l’altitude et sont donc plus fortes pour les habitants des régions montagneuses et pour les personnes voyageant en avion, en particulier pour les équipages. Certains examens médicaux, en particulier par scanner X, délivrent des doses notables, de l’ordre de 10 à 20 mSv. Mais les médecins spécialisés considèrent que, l’un dans l’autre, cette radioactivité « ordinaire » ne fait nulle part courir de risque significatif en France, sauf peut-être celui dû au radon 222.
Le radon 222 est un descendant très radioactif de l’uranium 238, et c’est un émetteur de rayonnements alpha. Il a la particularité d’être gazeux et d’avoir comme descendants des métaux émetteurs également de rayonnements alpha, polonium 210 et plomb 210 entre autres. Or le rayonnement alpha, s’il n’est pas dangereux quand il provient d’une source externe, même quand on en est très proche, car il est facilement arrêté par les vêtements, le devient quand il est produit par une source interne, ce qui est le cas du radon inhalé et de ses descendants. Il peut alors dans ce cas produire à la longue des cancers du poumon. Dans les environnements riches en uranium, qui sont surtout les pays granitiques, de grandes quantités de radon sont émises. Cela n’a pas de conséquences en milieu aéré, car la dose inhalée est alors insignifiante, mais peut présenter des risques dans des milieux confinés où le radon s’accumule dans l’air, ce qui peut se produire dans les habitations, les caves et autres cavités du sous-sol non aérées. On estime qu’il y a environ 3000 personnes en France qui « pourraient mourir » chaque année d’un cancer du poumon ainsi provoqué. Mais, comme on va le voir, le risque radon est probablement très surestimé par sa méthode de calcul. Quoi qu’il en soit, dans ces régions on mesure maintenant de plus en plus les quantités de radon présentent dans les habitations, et l’on prend des dispositions pour éviter les accumulations réputées dangereuses. C’est donc un cancer évitable si des aménagements adéquats sont faits dans les habitations.
Cette comparaison montre qu’exposition au rayonnement solaire et à la radioactivité naturelle présentent à première vue en France des risques voisins de mortalité annuelle. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de morts immédiates, mais d’une perte d’espérance de vie, qui calculée sur l’ensemble de la population, est extrêmement faible. Il s’agit aussi de morts évitables, en ne s’exposant pas à des doses trop fortes d’UV dans le premier cas, et de radon dans le deuxième cas.
Toutefois, à y regarder de plus près, la prévalence des cancers dus au rayonnement solaire est très supérieure à celle des cancers attribués au radon 222. Si les mortalités prématurées induites estimées pour la population française sont à peu près les mêmes, c’est d’abord parce que le pronostic de survie est bien meilleur pour les cancers basocellulaires et épidermoïdes, qui représentent 90 % des cancers dus au rayonnement solaire, que pour le cancer du poumon dû au radon.
Cela dit, observons que les décès par cancers de la peau sont faciles à identifier et comptabiliser comme dus principalement à une exposition aux UV. Par contre, dans le cas du radon, les décès sont impossibles à lui attribuer formellement car on ne sait pas faire cliniquement la différence entre un cancer du poumon dû au radon et un cancer du poumon dû à d’autres causes, tabac par exemple : or le risque relatif lié au tabac est de l’ordre de 10 fois plus important que celui lié à de très fortes concentrations de radon. Les risques du radon ne peuvent donc être qu’estimés avec la RLSS, exagérément pessimiste aux faibles doses comme on l’a dit.
Il y a donc bien moins de raisons objectives d’avoir peur de la radioactivité naturelle que d’avoir peur des rayonnements solaires. Or ce n’est pas du tout le cas dans l’esprit de la plupart des gens : c’est essentiellement dû à la dissymétrie de l’information donnée par les médias, qui ont entretenu avec application et constance depuis des années la grande peur de la radioactivité, sans jamais la relativiser par une comparaison avec d’autres dangers.
Mais, dira-t-on, il y a les accidents nucléaires. Considérons le plus important d’entre eux, Tchernobyl. Une fois l’émotion passée, qui avait suscité une surenchère par les associations antinucléaires de chiffres épouvantables de mortalité alors repris avec gourmandise et sans le moindre discernement par tous les médias, les médecins spécialisés du monde entier ont pu se mettre sérieusement au travail : Il y a eu en réalité quelques dizaines de morts immédiates ou rapides chez les intervenants sur le site, du fait de fortes doses (déterministes) de radioactivité reçues. Pour les morts différées dues aux faibles doses (stochastiques), les chiffres les plus élevés cités par des médecins, qui sont ceux du rapport TORCH (The Other Report on CHernobyl), commandité par les écologistes allemands (12), seraient au total de 30 000 à 60 000, dont environ la moitié pour l’Europe hors Bielorussie, Russie et Ukraine sur la période de 70 ans suivant l’accident, soit une moyenne de l’ordre de 200 à 400 par an pour l’Europe à l’exclusion de ces pays. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, un organisme des Nations-Unies fonctionnant sur les mêmes principes que le GIEC, il s’agit plutôt de 4 000 à 6 000, soit environ 10 fois moins (13). Notons bien dans les deux cas que pour l’essentiel ces chiffres ne correspondent pas à des observations sur le terrain, mais sont estimés avec la RLSS, dont on a dit qu’elle était exagérément pessimiste aux faibles doses.
400 par an au maximum estimé avec la RLSS par le rapport TORCH, c’est environ 40 fois moins que la mortalité totale annuelle identifiée actuellement en Europe comme due indubitablement à l’exposition au soleil ! Et l’estimation de l’OMS, toujours avec la RLSS, est dix fois plus faible !
Notons bien également encore une fois qu’il ne s’agit pas de morts immédiates mais d’une perte d’espérance de vie qui pour la très grande majorité des personnes exposées n’est au plus, estimée avec la RLSS, que de l’ordre de quelques semaines.
Quant à Fukushima, il n’a jusqu’à présent fait aucune mort immédiate du fait de la radioactivité et au vu des doses reçues, il est très peu probable selon l’UNSCEAR (14) que celle-ci provoque sur le long terme de morts différées même estimées avec la RLSS.
Par contre, la peur de la radioactivité a eu et aura encore de très graves conséquences. C’est en réalité la principale cause de la mortalité observée à Tchernobyl et Fukushima, en créant chez les personnes évacuées des conditions de vie très dégradées et un stress psychologique entraînant des conduites à risques et des maladies . A cet égard, il faudrait revoir les règles d’évacuation en cas d’accident nucléaire affectant les populations, les évacuations non maîtrisées représentant l’essentiel du danger (15). Mais c’est un autre débat, dont on aimerait qu’il ait un jour lieu ouvertement sur la place publique.
Pourquoi l’opinion publique est-elle alors terrifiée par la radioactivité, mais ne s’inquiète pas vraiment du rayonnement solaire ? C’est parce qu’ici intervient le biais cognitif que nous avons mentionné dans l’introduction. Ces biais ont été recensés (16). Parce qu’ils sont instinctifs, ils sont très difficiles à combattre par la communication scientifique (17). Ils sont même présents chez beaucoup de scientifiques quand ils ne sont pas spécialistes de ces questions. A risque égal et même très supérieur, les dangers familiers, compréhensibles, sont instinctivement beaucoup mieux acceptés que ceux qui le sont moins. Les dangers très médiatisés sont aussi beaucoup moins acceptés que ceux qui ne le sont pas. J’ai un jour demandé à de brillants étudiants Allemands, à l’occasion d’un séminaire, de m’expliquer pourquoi ils n’avaient pas peur du charbon, dont la pollution tuait de toute évidence beaucoup en Allemagne, alors qu’ils avaient si peur du nucléaire, qui ne tuait guère. La réponse a été, nous sommes habitués au charbon depuis deux siècles, avec lequel nous vivons avec en permanence. On ne nous dit jamais rien des risques du charbon, mais du nucléaire on ne nous dit que du mal.
Et c’est là qu’interviennent les médias et la politique, qui pendant des années ont attisé à dessein la peur de la radioactivité pour en tirer profit, et se sont donc refusés à faire de la pédagogie à ce propos. Cette peur de la radioactivité, au-delà des évacuations non fondées et leurs conséquences très graves en cas d’accidents, conduit aussi à des dépenses folles et inutiles de l’argent public : par exemple les modifications de locaux publics à la suite du renforcement des normes radon.
La désinformation leur a bien sûr été rendue plus facile parce que la radioactivité n’est associée à aucun plaisir ou addiction, contrairement au tabac ou à l’exposition solaire, pour ne citer que ces deux exemples…
Notes :
*u : unité unifiée de masse des atomes. Elle vaut 1/12 de la masse d’un atome de carbone 12, soit environ 1,7 10^-24 g. Les protons et les neutrons ont des masses très légèrement différentes, que l’on arrondit toutes deux à u.
*ev, kev, Mev, Gev : l’électron-volt, unité d’énergie utilisée en physique des particules, est l’énergie acquise par un électron accéléré par une différence de potentiel de 1 volt. Il vaut 1, 609 10^-19 joules. C’est une quantité d’énergie extrêmement faible, mais très importante à l’échelle d’une particule. 1 kev = 1000 ev, 1Mev=1 million d’ev, 1 Gev = 1 milliard d’ev.
*UNSCEAR = United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiations
C’est un organisme international né en 1955 à la suite de la résolution 913 (X) de l’Assemblée générale des Nations unies. Son organisation, son mandat et son fonctionnement sont similaires à ceux du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat (GIEC) dont ils partagent le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en tant qu’organisme de tutelle.
* Le sievert (Sv) est l’unité de dose absorbée efficace des rayonnements nucléaires. L’unité de dose absorbée est le gray (Gy) qui vaut un joule par kilogramme (J/kg), mais les effets biologiques (l’efficacité) de la dose reçue varient en fonction de la nature du rayonnement, mais aussi des organes qui le reçoivent. La dose efficace est une fonction de tous ces facteurs après pondération par des coefficients. C’est la seule grandeur à prendre en compte pour prédire les effets biologiques.
Bibliographie
1- De Laat, A.et al.,1997 : Carcinogenesis induced by UVA (365- nm) radiation: the dose–time dependence of tumor in hairles mice. Carcinogenesis , 18 (5), p. 1013-1020.
2 Livezeanu et al., 2011 : Angiogenesis in the pathogenesis of pterygium. Rom J Morphol Embryol 2011, 52(3):837–844.
3- Afsse, InVS, Afssaps, 2005 : Ultraviolets – Etat des connaissances sur l’exposition et les risques sanitaires – Mai 2005.
4- Juzeniene A1 et al., 2014 : Minimal and maximal incidence rates of skin cancer in Caucasians estimated by use of sigmoidal UV dose incidence curves. Int. J. Hyg. Environ. Health 2014; 217: 839-44. doi: 10.1016/j.Ijheh.2014.06.002.
5- Institut national du cancer, 2019 : Epidémiologie des cancers cutanés.
6- United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR) :
SOURCES, EFFECTS AND RISKS OF IONIZING RADIATION. 2012 Report to the General Assembly with Scientific Annexes.
https://www.unscear.org/docs/publications/2012/UNSCEAR_2012_Report.pdf p.23
7- Jean-Philippe Vuillez, 2016: Les paradoxes des faibles doses d’irradiation. Science et pseudo-sciences n°316, avril 2016.
8- La relation linéaire sans seuil : Une mise en œuvre du principe de précaution http://www.laradioactivite.com/site/pages/larelationlineairesansseuil.htm
9-Calabrese, E., 2009 : The road to linearity: why linearity at low doses became the basis for carcinogen risk assessment. Archives of Toxicology, 83(3):203-25 · March 2009 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19247635
10-Pierre Bey, Jean-Pierre Gérard, Martin Schlumberger, 2013 : Faut-il avoir peur de la radioactivité ? Editions Odile Jacob
11-La radioactivite.com : Expositions naturelles : Une exposition permanente mais bénigne.
http://www.laradioactivite.com/site/pages/lesexpositionsnaturelles.htm
12- Ian Fairlie, 2016 : TORCH-2016 version 1.1 March 31, 2016 The Other Report on Chernobyl An independent evaluation of the health-related effects of the Chernobyl nuclear disaster. https://www.ianfairlie.org/wp-content/uploads/2016/03/chernobyl-report-version-1.1.pdf
13-World Health Organization (WHO), 2006 : Health Effects of the Chernobyl Accident and Special Health Care Programmes. Report of the UN Chernobyl Forum Expert Group « Health » .
14- UNSCEAR 2013, report to the general assembly, scientific annex A : Levels and effects of radiation exposure due to the nuclear accident after the 2011 great east-Japan earthquake and tsunami.
http://www.unscear.org/docs/reports/2013/13-85418_Report_2013_Annex_A.pdf
15- Nifenecker, H.,2015 : review of post-nuclear-catastrophe management. Reports on Progress in Physics, 78, 7.
16- Dauphiné A.et Provitolo D. 2013 : dans Risques et catastrophes. Observer, spatialiser, comprendre, gérer, chapitre 5. Editions Armand Colin, Paris.
17- Tournay,V., 2018 :Substances préoccupantes à l’état de traces : une communication scientifique sensible…
Remerciements : un grand merci à Roland Masse et Jean-Philippe Vuillez pour les discussions que nous avons eues au sujet de cet article.
Seule la connaissance ou à défaut la culture peut changer le comportement de nos concitoyens qui confondent danger et risque.
Cette confusion n’apparaît pas quand la compréhension de la situation est triviale : par ex. Mme Michu a peur du lion (= gros danger) mais n’a pas de crainte quand elle le voit derrière des barreaux au zoo (= faible risque).
Il lui manque les connaissances lui permettant de comprendre pourquoi l’énergie nucléaire civile (centrales nucléaires) ne présente pas de risque – pour ne citer que cet exemple. Ou la confiance dans les scientifiques qui ont analysé la situation et ont conclu à un risque négligeable.
Autre ex : le Pr Pellerin (SCPRI, ancêtre de l’IRSN) avait conclu à l’absence de risque lié au nuage de Tchernobyl, ce qui ne veut pas dire qu’il affirmait que l’irradiation et la contamination suite à un accident nucléaire étaient inoffensives. L’ennui c’est qu’il n’était pas quelqu’un de connu ni reconnu, et même que son discours était trop « techno » ce qui n’a pas permis de le rendre crédible. Mamère en revanche a eu des propos scélérats qui ont eu un gros impact dans l’opinion, car c’était un personnage populaire (présentateur de TV). Heureusement que les juges ont pris la peine d’analyser son comportement avant de le condamner. Mais Mme Michu ne le sait pas et elle n’a retenu que le nuage qui s’est arrêté à la frontière…
@ Studer, je ne suis pas sûr que la connaissance ou la culture soient suffisantes pour empêcher cette confusion, quand je vois le nombre de scientifiques qui font les mêmes erreurs. Il y a là une infirmité de l’esprit humain, qui ne pourrait être corrigée que par une éducation dès le jeune âge, ce qui n’est pas l’esprit du temps.