Il est grand temps qu’on cherche à pousser le curseur de la lutte contre le réchauffement climatique vers la prégnante nécessité de se protéger de ses effets, sans devoir considérer uniquement ses causes. D’aucuns diront « enfin » !
Sortir d’un seul sillon
Mais curieusement, ce glissement est récent et encore bien hésitant, comme si on avait considéré, jusque-là, que la bataille contre les causes était gagnable et que devoir envisager des parades aux conséquences n’était pas une priorité. Mais c’est à l’évidence bien mal appréhender la situation et son devenir, que raisonner ainsi.
Une Commission internationale (1), présidée par Pascal Lamy, vient de se créer pour étudier des mesures permettant la viabilité dans un monde en surchauffe, mais il semble bien qu’on y parlera surtout de captation du carbone ou de géo-ingénierie, quant au GIEC, fidèle à son cahier des charges, il reste largement arcbouté sur les mesures permettant la diminution des émissions.
Brice Lalonde, vient d’écrire un essai roboratif (2) dont l’objet est présenté sur un bandeau : « Pour défendre le climat, sortons des idées reçues ». L’écologiste engagé qu’il dit rester, y défend, entre autres, le nucléaire, prétendant que vouloir s’en passer est une dramatique bévue.
Mais il faut attendre le dernier chapitre de l’ouvrage : « Entrons en résistance » pour que soit rapidement abordée la question de la lutte contre les effets du changement climatique, et encore ces lignes chutent-elles sur l’impératif de la neutralité carbone en 2050.
L’ancien Ministre de l’Environnement juge ce dernier objectif accessible par une « Europe phare », entrainant forcément sur ses traces le reste de la planète, une lourde concession au conformisme et aux dévoiements pratiques qu’il implique, car rien n’est moins sûr.
Toucher au « net zéro », comme à la terre promise, formidable attracteur, situation hautement souhaitable certes, est sans doute hors de portée, même en y consacrant des sommes folles, lesquelles manqueront forcément ailleurs, en particulier sur le front de la viabilité même de nos sociétés, dans les conditions nouvelles crées par le réchauffement. In fine, le pragmatisme s’imposera, n’en doutons guère, mais à moyens comptés.
Une puissante force d’inertie
D’immenses intérêts politico-industriels sont derrière ce qu’on présente comme les outils de la décarbonation, en particulier les énergies électriques intermittentes (éolien et solaire) et les techniques de stockage, présentées comme leurs indispensables compléments. Ainsi l’hydrogène, est-il devenu une nouvelle coqueluche, richement dotée, malgré un gaspillage énergétique effrayant lorsqu’on considère, par exemple -non anecdotique- le rendement de la chaîne « power to power » [électricité (électrolyse) => électricité (pile à combustible)], où à peine un quart de la mise initiale est récupéré.
Aux EnRs intermittents (éolien et solaire), extrêmement capitalistiques, surtout au regard de leur efficacité, les Puissances Publiques garantissent des rentabilités confortables par des dispositions favorables accordées à leurs productions (priorités d’accès au réseau, rémunérations hors marché, où avec clauses protectrices).
Actuellement en France, malgré les allégations de manque de volonté publique, c’est la seule l’action des riverains qui limite (très relativement d’ailleurs) la cadence des implantations, la loi, modifiée à dessein, privant désormais les plaignants de leviers efficaces. Pour qui traverse régulièrement nos paysages, comment dire encore que rien ne s’y passe, mais peut-être, sous une pression médiatique monochrome, qui ne fait jamais relâche, sommes-nous déjà accoutumés à leurs fatales transformations, fâchés ou indifférents, voire satisfaits, c’est selon.
Protégeons-nous !
Ne doutons guère que lorsque devoir mieux se protéger de la chaleur et de la sécheresse se fera sentir davantage (ce besoin est déjà vital en certaines régions du monde), paraitront les politiques afférentes et leur cortège de dispositions pratiques (architecturales, agricoles, technologiques, équipements collectifs, aménagement du territoires, gestion de l’eau et des cours d’eaux, y compris en anticipant leurs foucades les plus dévastatrices,..). La tâche comme l’enjeu sont immenses et totalement inédits.
Au passage, gageons que les mêmes opportunistes qui développent actuellement des technologies largement inefficaces pour contrer le réchauffement à la source, seront en première ligne pour proposer leurs solutions. Seul, en effet, le déplacement de leurs intérêts pourraient faire qu’ils abandonnent ce juteux business, et encore aurons nous, à l’évidence, une nouvelle illustration d’un « en même temps ». Echaudés, c’est le cas de le dire, nous devrions cependant être plus vigilants.
Cette protection contre les effets du réchauffement, toute relative pourtant, va néanmoins demander d’énormes efforts dans la longue durée et, à ressources forcément limitées (physiques et financières), ces efforts vont entrer en compétition avec ceux engagés, jusqu’ici ad libitum, dans la lutte contre les sources du réchauffement. C’est d’autant plus vrai que les chantiers ouverts sur ce créneau, vont davantage encore montrer leurs limites, voire leur contre-productivité. Ainsi, lorsqu’une inévitable intermittence électrique (éolienne et solaire) est compensée par des sources carbonées, gaz en particulier, vite remplacé par le charbon en cas de pénurie, comme le démontre cruellement la durable période troublée dans laquelle nous venons juste d’entrer.
Mais nous sommes déjà de plain-pied dans la problématique de la protection, car les sommes que doivent consacrer les assureurs à l’indemnisation de leurs contractants (agriculteurs, industriels, collectivités, particuliers..) victimes du dérèglement climatique (gels, sécheresse, grêle, inondations, tempêtes,..) sont devenues vertigineuses. En France, en quelques années, elles ont été multipliées par dix pour atteindre 10Mds€ ….Il est plus que temps de penser prophylaxie !
Nécessité peine à faire loi
Bousculant les usages, ou créant des contraintes spécifiques, il n’est pas surprenant que les premières parades imaginées ou déjà mises en œuvre contre les effets du réchauffement soient contestées, avec des arguments qu’il faut évidemment considérer, si on recherche honnêtement un consensus préservant le maximum d’efficacité.
Un débat idéologique fait rage à propos de l’utilisation de la climatisation. En ville, elle contribuerait au développement d’îlots de chaleur, pénalisant ceux qui ne peuvent profiter des climatiseurs. Certes l’usage actuel des climatisations est contestable, le niveau de température fixé étant souvent bien trop bas, en particulier dans les zones commerciales, voire dans les bureaux. A l’exercice, plus de raison devrait permettre de trouver le juste milieu.
Mais la critique des climatisations porte surtout sur le surcroit d’électricité consommée qu’elles impliquent, pointé du doigt par les tenants de la sobriété énergétique, même en France où le mix est très largement décarboné, grâce au nucléaire (dont les électrons ne sont pas jugés « propres sur eux » par les écologistes.., ce qui les disqualifieraient).
Si ne sont pas mis en regard les avantages procurés, jugés aujourd’hui de confort, ils deviendront vite indispensables au vu de la cinétique de l’évolution climatique, c’est juste une affaire de temps. On parle aussi, à raison cette fois, de fuites incontrôlées de fluides frigorifiques, hautement efficaces pour accroître l’effet de serre.
Outre des climatisations adaptées et non anarchiques, la viabilité urbaine en période de canicule passera par réduction des zones asphaltées, véritables réservoirs à calories, et surtout par la plantation massive d’arbres, ombrelles efficaces créant et protégeant des îlots de respiration. Là encore, c’est un nécessaire changement de paradigmes, les coûts induits seront très conséquents (entre autres, il faudra largement repenser la mobilité urbaine) et les plantations sont gourmandes en eau, ressource qui se raréfiera.
De même, la création de « bassines » destinées à l’irrigation des cultures fait débat (on profite de l’abondance pour faire des réserves…) elle est vigoureusement critiquée au motif que ces stockages se feraient au détriment des nappes phréatiques, vrai soutien des rivières en période d’étiage. Cette question interroge plus largement sur la nature des cultures à pratiquer sous des cieux aux précipitations devenues pingres ou erratiques. Là encore, des changements radicaux sont inéluctables, qu’il faudra accompagner.
A contrario, l’isolation des bâtiments est consensuelle, puisque ambidextre, diminuant les consommations énergétiques et protégeant du chaud comme du froid, mais sa mise en œuvre consomme en abondance matériaux et énergie, au point qu’un équilibre est sans doute à rechercher avec l’utilisation de sources énergétiques décarbonées pour le conditionnement des bâtiments et des logements.
Un boisement massif, rural et urbain, semble, lui aussi, faire consensus, captant le CO2, générant de l’oxygène mais surtout, créant des parasols efficaces (faites l’expérience de passer sous un grand chêne en pleine canicule…).
Ce reboisement se voit pourtant contrarié par l’utilisation de la biomasse, martingale écologique indiscutée, mais pourtant discutable, tant pour sa finalité que par sa mise en œuvre. A propos, réalise-t-on bien l’ineptie (forme faible), qu’est la production d’électricité à partir de bois (se pencher sur les chiffres, donne le vertige (3)).
Un paysage encore confus
On rencontre de plus en plus souvent le mot « adaptation » dans les propos techniques ou politiques se rapportant au sujet, mais la bascule n’est pas encore de mise dans les esprits et, comme dit déjà, le problème du réchauffement climatique reste le plus souvent envisagé comme celui des moyens idoines pour le contrer à la source.
Leurre, mais réalité, la multiplication des champs solaires et éoliens, bien visibles, rassure, puisqu’elle réifie notre réponse au réchauffement. Ces équipements sont ainsi devenus les totems géants de notre réactivité. L’argument est utilisé sans retenue par leurs promoteurs, et comme la tâche est immense (les préoccupantes évolutions des températures et des sécheresses en attestent), il en faut donc toujours davantage, sans qu’on cherche jamais (et pour cause..) à mesurer l’efficacité de telles politiques, pourtant incroyablement dispendieuses, dans une société qui doit faire des choix.
Certes, les champs éoliens offshore sont plus efficaces pour produire de l’électricité, grâce à de véritables « tour Eiffel à pales », mais ils sont aussi plus intermittents, ce qu’on sait moins et l’adaptation du réseau électrique en est rendue plus difficile. Parallèlement, les prix des panneaux solaires ont beaucoup chuté, mais on sous-estime grandement le coût des raccordements des sources dispersées et les dommages causés par les tranchées kilométriques qu’il faut creuser dans les champs et les bois pour rejoindre un réseau, lequel, de plus, n’a été ni conçu ni dimensionné pour ça. Quant aux besoins induits en cuivre ou en aluminium, ils sont démesurés (au sens propre d’ailleurs, puisque la puissance de transit qui norme l’installation, donc la section des conducteurs, est un valeur de crête, très sporadiquement atteinte).
Il est notable et interrogateur, que les oppositions aux champs solaires, mais surtout éoliens, se situent d’abord en regard de la déprédation des paysages, mais questionnent rarement le bienfondé foncier de ces choix, prêtes d’ailleurs à les considérer comme des maux nécessaires, mais à condition qu’on ne les implante pas « in their backyards ».
Beaucoup d’intérêt se sont trouvés aiguisés par les opportunités offertes et de larges sillons technico-idéologiques se sont creusés, présentés comme des évidences à l’opinion, assorties de l’urgence à aller de l’avant, plus vite et plus fort (électricité renouvelable, voitures électriques, hydrogène) pour ne citer que les plus illustratifs.
Mieux, un conditionnement implacable a réussi à rendre hémiplégique l’esprit critique (un caractère qu’on dit pourtant exacerbé en France) qui, naturellement, devrait constater qu’en voulant rapidement abandonner de mauvaises habitudes (l’usage des combustibles fossiles), on en a institué d’autres (le pillage à très grande échelle des ressources nécessaires aux « transitions » et le saccage de la planète que nécessite leur exploitation).
Par ailleurs, à vouloir trop vite basculer dans le nouveau monde, des dépendances se sont immédiatement créées, toutes les batteries (et leurs composants) sont produites en Asie (Chine, Japon, Corée), pays qui se sont assurés la main sur la chaine des ressources nécessaires, rendant quasiment impossible l’évolution de la situation, même à moyen terme.
A une autre échelle, la France s’équipe quasi exclusivement de panneaux solaires chinois et les éoliennes installées (en rangs serrés..) sont des technologies allemandes ou danoises, même si on commence à en assembler les éléments sur notre sol et à les fabriquer sous licence ; réelles mais maigres consolations.
La frugalité énergétique, pratiquée sans discernement, peut se révéler contre-productive et on commence tout juste à réaliser que la mise en place de parades efficaces contre les effets du réchauffement sera énergivore et qu’il faudra d’abord veiller à ce que ces nouveaux besoins soient couverts par des énergies décarbonées, « pour ne pas ajouter la guerre à la guerre », comme aurait dit feu le Président Mitterrand, avant que de se désoler de ces consommations supplémentaires.
Inaction climatique
Le risque dans ces situations évolutives est de persister à les regarder du « petit côté », voire de les appréhender par le « mauvais côté ». Notre approche sociétale du réchauffement du climat, lequel semble s’accélérer, conformément aux modèles, semble bien constituer un archétype de méjugement, que les générations qui suivent pourraient vivement reprocher aux décideurs actuels. Une forme d’inaction climatique dans une acception beaucoup plus concrète, cette fois.
Formatée dans une bien-pensance idéologique, ne voulant pas considérer l’inefficacité des dispositions mises en œuvre et persistant à les regarder comme les parades robustes qu’elles ne sont pas, nos sociétés ne vont-elles pas se retrouver fort démunies, quand demain, le péril devenu réalité, nous trouvera largement impréparés.
1) Le 17 05 2022, une commission mondiale sur « la gouvernance des risques liés au dépassement climatique (Climate Overshoot Commission) » a été créée Elle se donne comme objectif de réfléchir à « l’après dépassement… ».
Composée de 16 membres, principalement des anciens dirigeants (pays du nord et pays du sud), elle vise à élaborer une approche réduisant les risques induits par le dépassement des 1,5 C, en examinant la faisabilité, les coûts et les challenges que poserait chacun des leviers envisagés.
2) Brice Lalonde, « Excusez-moi de vous déranger » Edition l’aube 01 2022
3) l’unité 5 de la centrale thermique de Gardanne, site qui brûlait jadis la production des « Houillères de Provence » a été reconvertie pour être alimentée au bois (sans cogénération).
Pour une puissance électrique de 150 MW (et une production d’électricité annuelle escomptée d’environ 1TWh), il faut brûler 850 000 t de bois /an, largement au-delà de ce que pourrait fournir l’exploitation raisonnable et même excessive, des ressources forestières de la région
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