Il n’y a sans doute pas de sujet plus clivant que celui des insecticides. Entre promoteurs de la biodiversité et agriculteur souvent le torchon brûle. Alors que cette querelle bat son plein, la lecture du livre Insecticides, insectifuges ? : Enjeux du XXIe siècle s’avère être plus que jamais nécessaire. Publié en 2021 rédigé par André Fougeroux et préfacé par Franck Garnier cet ouvrage fait le tour du sujet. Ecrit d’une main de maître par un ingénieur agronome, membre de l’Académie d’Agriculture et de l’AFIS, cet ouvrage passe en revue une problématique qui touche directement le secteur agricole et indirectement les consommateurs. Petit plus non négligeable : bien que technique l’exposé reste accessible au plus grand nombre.
A l’occasion de l’été European Scientist diffuse les bonnes feuilles d’ouvrages en lien avec la politique scientifique. Voici un extrait de l’ouvrage d’André Fougeroux « Insecticides, insectifuges ? : Enjeux du XXIe siècle. » Ci-dessous un extrait du Chapitre 1 – Insectes : méfaits et bienfaits en agriculture, la conclusion du Chapitre 3 ainsi qu’un extrait de la conclusion générale de l’ouvrage.
Les échanges commerciaux et les migrations humaines
L’histoire nous a montré combien les échanges commerciaux influent sur les cortèges de ravageurs des cultures. Au XIXe et au début du XXe siècle, les échanges ont surtout été intenses entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Il en a résulté des introductions de ravageurs d’importance économique dont certains restent les préoccupations majeures des producteurs. C’est le cas du puceron lanigère du pommier Eriosoma lanigerum (Hartig) introduit en 1789 et qui demeure un ravageur difficile à maitriser pour les producteurs d’arbres fruitiers à pépins. Il en est de même pour le doryphore Leptinotarsa decemlineata (Say) qui s’est installé durablement en France au cours de la première guerre mondiale et qui constitue encore de nos jours un des ravageurs clés de la culture de la pomme de terre. La tordeuse orientale du pêcher Cydia molesta (Busck) l’a suivi de peu en étant identifiée dans lesvergers français en 1920. Elle constitue, avec les pucerons, le ravageur numéro un de nos productions de pêches et nectarines, justifiant à elle seule six applications d’insecticides par an ou une protection par confusion sexuelle.
De nos jours, l’impact économique de ces introductions est considérable. Bien qu’encore insuffisamment documenté, celui-ci est estimé à environ 70 milliards de dollars au niveau mondial. Ces ravageurs introduits affectent aussi bien les denrées alimentaires que les matériaux comme le bois ou les tissus. Ces coûts doivent être complétés par ceux concernant les effets de ces introductions sur la santé humaine. Ces derniers sont estimés à 6,9 milliards de dollars. Précisons qu’il s’agit seulement des coûts additionnels liés aux introductions et non des coûts totaux liés à la transmission de maladies par les insectes déjà localement établis comme la malaria, la fièvre jaune, la maladie de Chagas, …
Le plus souvent, ces ravageurs invasifs ont rendu impératives une nouvelle organisation de la protection des cultures et la mise en place de mesures de quarantaine, également la recherche de nouveaux moyens de lutte, etc. C’est ainsi que pour certains de ces «intrus», la lutte a nécessité l’introduction d’auxiliaires eux aussi exotiques. Dans ce cas, et pour éviter des effets non intentionnels sur la biodiversité, plusieurs années de recherche sont indispensables pour évaluer les risques que cette importation peut faire courir à la biodiversité locale. Certaines introductions ont connu des succès retentissants comme celle de la coccinelle Rodolia cardinalis (Mulsant) pour lutter contre la cochenille australienne des agrumes Icerya purchasi (Mask). Cette cochenille, rentrée accidentellement en 1868 dans des vergers d’agrumes en Californie, a remis en cause la production agrumicole de cet État américain. Face à cette catastrophe annoncée et les diverses méthodes de lutte de l’époque s’étant avérées inopérantes, Charles Valentine Riley, responsable de la division «Entomologie » du département de l’agriculture, constatant qu’en Australie, pays d’origine d’I. purchasi, celle-ci n’était pas nuisible, fit l’hypothèse qu’elle était limitée par des organismes antagonistes. Une mission dépêchée dans ce pays rapporta divers insectes entomophages (5) dont N. cardinalis. Après sa mise en élevage aux États-Unis, cette coccinelle prédatrice de la cochenille australienne fut distribuée aux producteurs d’agrumes. En deux ans, les populations de cochenilles furent réduites et les dégâts de ce ravageur devinrent acceptables. Cette réussite démontra en grandeur nature l’efficacité de la lutte biologique dans la protection des cultures. Elle fut suivie d’expériences semblables pour limiter d’autres ravageurs (hanneton, doryphore, eudémis, cochylis de la vigne…) qui ne furent pas aussi réussies. Ces difficultésmontrèrent que ces mécanismes de régulations doivent être bien étudiés avant de trouver leurs débouchés pratiques et économiques. Ces constats ont conduit à toujours chercher à réguler les ravageurs introduits accidentellement sur notre territoire par l’introduction de leurs ennemis présents naturellement dans leur région d’origine. Cette technique de lutte biologique est dite par acclimatation. Si elle nécessite des études complexes pour éviter des effets indésirables, elle est à l’origine de plusieurs succès dans la limitation de ravageurs exogènes. Il en fut ainsi pour le puceron lanigère du pommier E. lanigerum avec l’introduction du microhyménoptère Aphelinus mali (Haldeman). Ce fut aussi le cas pour réguler un autre ravageur introduit plus récemment, le flatide pruineux Metcalfa pruinosa (Say) qui s’attaque à de nombreuses cultures, notamment à la vigne, et dont les populations ont été limitées grâce à l’introduction d’un petit hyménoptère parasitoïde Neodrynus typhlocybae (Malaus et al 2003).
Parmi les introductions accidentelles de ravageurs lors d’échanges commerciaux, un puceron, le phylloxéra, a profondément marqué les esprits, les habitudes et les paysages en raison des bouleversements économiques et sociaux qu’il a entraînés en France et dans toute l’Europe. La vigne représentait au XIXe siècle 25% du revenu de la «ferme France». Cette culture a été remise en cause dans de nombreuses régions. En France, la vigne qui couvrait 2,5 millions d’hectares a été ramenée à moins d’un million et demi d’hectares. De nombreux artisans associés à la viticulture ont été contraints de changer d’activité avec tous les drames sociaux consécutifs. N’ayant pas supporté le choc économique que ce puceron avait provoqué, de nombreux vignobles ont tout simplement disparu.
Dans certains cas, ces ravageurs invasifs obligent les producteurs à modifier les techniques de culture. Ainsi le thrips californien Frankliniella occidentalis (Pergande) s’est introduit en France depuis les États-Unis via les Pays-Bas. Ce thrips, particulièrement dommageable pour les cultures sous serre, a amené à repenser les techniques contre les ravageurs en raison des virus transmis. La lutte biologique sous serre, qui avait été mise au point avant l’arrivée de ce thrips, tolérait des populations de ravageurs en dessous d’un seuil de nuisibilité. En effet, cet insecte transmet un virus dont on ne peut en aucun cas tolérer la présence si minime soit-elle. La tolérance zéro imposée par F. occidentalis limitait donc l’intérêt de cette lutte biologique. Cette introduction a été concomitante de l’arrivée de la mouche blanche (aleurode) Bemisia tabaci (Gennadius) qui posait le même type de problème en raison de sa capacité à transmettre, aux productions de tomate, un virus de type non persistant : le virus des feuilles jaunes en cuillère, Tomato Yellow Leaf Curl Virus ou TYLCV. Dans ce dernier cas, et bien que l’on connaisse plusieurs insectes antagonistes de B. tabaci, ceux-ci s’avèrent insuffisants pour assurer une protection de la culture de tomate contre ce nouveau virus. Dès son arrivée dans les zones de production de tomate du Bassin méditerranéen, cet aleurode et le virus qui l’accompagnait ont bouleversé le mode de production. Effectivement, les tomates de plein champ enregistraient entre 50 et 100 % de perte, les serres ouvertes entre 40 et 70 % de perte et seules les serres dites insect proof permettaient de réduire les dégâts à des niveaux acceptables au plan économique (entre 1 et 15 % de perte).
Ce sont toutes les méthodes de production qui ont été remises en cause par cette petite mouche blanche, obligeant les producteurs à investir lourdement dans des serres insect proof munies de filets de protection dont la maille doit être inférieure à la taille de B. tabaci, soit 50 mesh (50 mailles par pouce linéaire de toile). Ces filets ont des conséquences sur l’aération et la température au sein de la serre et dans la conduite de la culture. Ils impliquent aussi une surveillance renforcée pour éviter l’apparition de trous dans les filets, l’organisation de sas à l’entrée des serres pour éviter d’introduire ce ravageur et le nettoyage systématique autour des structures pour limiter la présence de plantes hôtes à proximité des cultures de tomates. Il a fallu enfin organiser une méthode rigoureuse de production et de transplantation des plants pour empêcher l’arrivée du virus et de l’aleurode dans les serres de production. La culture traditionnelle de tomates en plein champ a évolué vers une culture sous serre nécessitant une très haute technicité.
Enfin, et c’est plus récent, la chrysomèle des racines du maïs, Diabrotica virgifera virgifera (Le Conte) est arrivée des États-Unis en Europe avec les troupes américaines engagées dans la guerre des Balkans. Son aire d’extension s’est rapidement agrandie en Europe jusqu’à inclure notamment toute la France. Si l’impact économique en France reste faible pour l’instant, les populations se constituent progressivement et on peut s’attendre à des dégâts affectant la rentabilité des cultures de maïs ou pour le moins nécessitant de repenser les systèmes culturaux dans lesquels le maïs tient une place prépondérante.
Si le flux de ravageurs d’Amérique du Nord vers l’Europe a été intense et coûteux pour notre agriculture, l’Europe a aussi expédié volontairement ou involontairement des ravageurs qui ont toujours des conséquences économiques importantes sur ce continent. Ce sont les cas du carpocapse des pommes Cydia pomonella (L.) en 1750, de la cécidomyie destructrice ou mouche de Hesse Mayetiola destructor (Say) sur les céréales dans les années 1780, du bombyx disparate Lymantria dispar (L.) en 1868, ravageur des forêts de feuillus et des arbres d’alignement, puis du pou de San José Quadraspidiotus perniciosus (Comst.) en 1871 qui se développe au détriment des arbres fruitiers ou encore de la pyrale du maïs Ostrinia nubilalis (Hbn) en 1910. La liste est longue et loin d’être exhaustive. Cet inventaire reflète l’intensité des échanges au XVIIIe, XIXe et début du XXe siècle entre le continent Nord-américain et l’Europe.
Plus récemment les échanges ont été surtout soutenus entre le Moyen Orient, l’Asie du Sud Est et l’Europe, avec leur lot de nouveaux ravageurs posant des problèmes agronomiques nouveaux. Le charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus (Olivier), la pyrale du buis Cydalima perspectalis (Walker), le cynips du châtaignier Dryocosmus kuriphilus (Yasumatsu), la drosophile suzukii Drosophila suzukii (Matsumura) sur cerisiers, groseilliers, fraisiers et vignes, pour ne citer que quelques-uns des plus « populaires ».
Actuellement en France, environ 40 200 espèces d’insectes sont dénombrées, auxquelles il convient d’ajouter les arachnides et les myriapodes (millepattes). Parmi ces espèces d’arthropodes, environ 2 200 sont identifiées comme étant des ravageurs des plantes cultivées ou d’ornement. Entre 1950 et 1999, 79 nouvelles espèces d’insectes ravageurs ont été introduites, soit un rythme moyen annuel de 1,58 espèce d’importance agronomique par an. Toutefois ce rythme s’accélère en raison de l’intensification des échanges commerciaux mais aussi en raison des migrations humaines. Facteur favorisant ces introductions de nouveaux ravageurs, l’augmentation de la rapidité de ces échanges permet à nombre d’arthropodes de mieux « voyager » et ainsi d’avoir plus de chances d’arriver « en bonne santé » à bon port. C’est ainsi que sur la période 2 000 à juin 2014, 102 nouvelles introductions ont été signalées, soit un rythme situé entre 6 et 8 nouvelles espèces par an [7]. Certaines d’entre elles défraient la chronique comme le charançon du palmier qui ravage les individus qui décorent le sud de la France, la mouche Drosophila suzukii dont les attaques mettent en péril la filière de production de cerises en France ou encore la pyrale du buis qui détruit les jardins patrimoniaux « à la française ».
D’autres, moins médiatisés, remettent en cause les pratiques et l’économie de filières agricoles traditionnelles. La tordeuse de la tomate, Tuta absoluta (Meyrick), a nécessité la mise au point et l’emploi de nouvelles méthodes de lutte combinant de nouvelles familles insecticides et des nouveaux moyens de protection biologique. De même, la mouche du brou de la noix, Ragoletis completa (Cresson), a conduit la filière de production de noix à réaménager les techniques de protection des noyers pour répondre à ce nouveau défi. La présence simultanée de noyers sauvages et cultivés favorise la dispersion de cette mouche et rend difficile les mesures de limitation des populations. C’est aussi la difficulté que pose le cynips du châtaignier, Dryocosmus kuriphilus (Yasumatsu), qui a déjà étendu son aire d’activité à la châtaigneraie française. Ce nouveau ravageur est particulièrement délicat à contrôler en raison de l’absence de méthode de lutte insecticide efficace dans les châtaigneraies cultivées, mais encore plus difficilement dans les châtaigniers dispersés dans nos forêts. Dans les zones touchées, ce petit hyménoptère entraîne des pertes de production pouvant atteindre 80 % de la récolte, et en zone forestière, il est à l’origine d’une diminution de la croissance des jeunes rameaux. De plus, il impacte indirectement la production de miel par la réduction de la floraison des châtaigniers. Ces fleurs constituent une source de nectar très prisée par les abeilles et les apiculteurs constatent dans les zones infestées une forte baisse de la production de ce miel.
D’autres insectes introduits présentent des risques sérieux pour l’économie agricole française, comme la punaise diabolique Halyomorpha halys (Stål), très polyphage, arrivée en 2007 en Suisse. Elle a été signalée en France en 2012 et identifiée en 2013 à partir d’échantillons collectés en Alsace. À ce jour, les dégâts ne sont pas encore constatés. Cependant, l’Anses dans un avis a conclu que cette punaise était susceptible d’infliger des pertes sérieuses en arboriculture, viticulture et maraichage notamment. Comme sa collègue la punaise du Kudzu, les risques pour la santé humaine sont limités. Cependant, là où elle a été introduite, H. halys a causé d’importants désagréments aux populations en entrant dans les habitations à l’automne et on pourrait penser qu’une augmentation des allergies est à craindre [8].
(5) Entomophage : se dit d’organismes se nourrissant d’insectes
Extrait de la conclusion du chapitre 3
Voilà plus de 100 ans que des recherches sont menées intensivement pour trouver des solutions aux problèmes posés par les insectes et les acariens ravageurs des cultures. Ces recherches sont liées à celles intéressant la santé humaine et vétérinaire. Aujourd’hui, un nombre limité de « cibles » a été identifié. Une grande majorité des insecticides utilisés agissent sur l’acétylcholine estérase, les canaux sodium des cellules nerveuses, les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine et les récepteurs GABA. De nombreux travaux se poursuivent pour trouver d’autres sites d’action originaux. Mais ceux-ci nécessitent des moyens de plus en plus conséquents pour répondre aux difficultés que chaque solution a mises en évidence : risques pour la santé humaine, pour l’environnement, mais aussi contraintes pour aller sans cesse vers des solutions de plus en plus spécifique, en s’intéressant à des produits de moins en moins persistants dans l’environnement et sans risque pour la santé. Cette recherche a pour ambition de trouver des insecticides systémiques qui agissent plutôt par ingestion que par contact et ce, dans un souci de sélectivité vis-à-vis des insectes utiles qui ne consomment pas la plante. Elle a aussi pour objectif de rechercher des insecticides qui visent d’autres cibles que les systèmes nerveux. De plus cette « course à l’armement » doit aussi sans cesse répondre à cette capacité que de nombreux ravageurs possèdent pour développer des populations résistantes aux pression de sélection des insecticides.
Tout ceci a des conséquences ; les coûts de recherche et de développement de nouvelles solutions sont devenus colossaux. On parle de 200 à 250 millions de dollars pour une nouvelle molécule insecticide. Les délais entre la découverte et les premières ventes s’allongent en dépassant la dizaine d’année. Tous ces facteurs conduisent à une concentration importante des entreprises et seules quelques multinationales ont aujourd’hui la capacité d’assurer ces temps et ces coûts de développement. Cela a aussi comme conséquence des rationalisations dans les priorités des entreprises qui sont amenées à ne pas soutenir certains insecticides. Par ailleurs, les retraits de substances actives justifiés par l’amélioration des connaissances en toxicologie et écotoxicologie se sont accélérés, alors que la découverte de nouveaux principes actifs ralentit. Même si de nouveaux insecticides faisant appel à des modes d’action originaux, comme le triflumezopyrim ou le spiropidion sont toujours en développement au niveau mondial, de plus en plus de productions nationales sont en manque de solutions comme cela a pu être mis en évidence récemment pour les producteurs de betteraves face aux pucerons vecteurs de jaunisse ou pour les producteurs de colza face aux agressions des altises et des charançons.
Aujourd’hui, les problèmes de ravageurs des cultures ne diminuent pas et on peut penser que le réchauffement climatique devrait les amplifier. Cette situation couplée à la diminution des solutions disponibles et aux oppositions sociétales qui se développent contre les pesticides de synthèse interpellent sur l’avenir. Comment protéger les productions agricoles contre les ravageurs ?
Les exemples présentés dans les chapitres 2 et 3 montrent que l’idée de détruire les ravageurs est utopique et que les solutions futures doivent moins porter sur cette idée de destruction que sur l’idée de les détourner des plantes que l’on veut protéger. En clair de passer des insecticides aux insectifuges. »
Extrait de la conclusion du livre
Demain ?
Pour l’économiste Peter Drucker « Le plus grand danger en période de turbulence ce n’est pas la turbulence mais c’est d’agir avec la logique d’hier. » La lutte contre les insectes ravageurs est dans cette phase de turbulence. Les insecticides conventionnels en agriculture sont remis en cause, et quels qu’en soient les avantages, leur emploi n’est plus accepté par nos concitoyens. Pour la protection des cultures, de nombreuses méthodes citées dans ce livre sont des compléments utiles mais elles ont leurs limites techniques, environnementales ou économiques.
Même s’ils évoluent, les ravageurs seront toujours là et la protection des cultures contre leurs déprédations restera d’actualité. Force est de constater que, malgré toutes les techniques mises en oeuvre et décrites dans les chapitres 2 et 3 de cet ouvrage pour les « éradiquer », les pertes dues aux ravageurs demeurent toujours importantes. Les solutions employées depuis l’aube de l’agriculture n’en sont pas venues à bout. En ce sens, les ravageurs ont gagné ! Il faut donc changer notre façon d’agir et avoir une approche plus raisonnable. Plus modestement, il nous faut passer des méthodes qui détruisent les ravageurs à celles qui évitent leurs dégâts. Cette mutation ne se fera pas en quelques semaines, mais le progrès des connaissances scientifiques et le développement de nouvelles technologies permettent d’espérer une transition réussie. Par ailleurs, de récentes opportunités se présentent ; elles méritent d’être intégrées à la palette des solutions disponibles.
Au XXIe siècle, les méthodes de régulation des ravageurs des cultures seront assurément différentes de celles qui avaient cours au XXe siècle. Cependant, il serait présomptueux de penser qu’une seule d’entre elles, aussi séduisante soit-elle, constituera une panacée à même d’assurer durablement une protection. La boîte à outils des moyens de protection doit être la plus remplie possible. C’est la condition sine qua non de la protection intégrée des cultures.
Dans cette boîte à outils, l’usage des insecticides tels que nous les connaissons aujourd’hui reste encore nécessaire pour plusieurs années. Cependant, les progrès des connaissances sur la communication entre les insectes et les plantes, ou entre les insectes eux-mêmes, ainsi qu’une meilleure compréhension du rôle du microbiote qui est associé aux ravageurs, vont offrir des opportunités de remplacement aux solutions chimiques conventionnelles. Dans ce contexte, la citation du journaliste scientifique Michel Rouzé parue dans le n°2 des Cahiers de l’Afis en 1969 reste d’actualité :
« L’espèce humaine ne saurait subsister sans lutter contre les insectes, les rats et d’autres animaux nuisibles. La lutte ne peut être victorieuse qu’avec les armes fournies par la science. Les lamentations “naturistes” ignorent ces vérités fondamentales. C’est encore la science qui permettra de choisir et de perfectionner les armes qui ne risquent pas de se retourner contre l’Homme lui-même. »
Pour conclure cet ouvrage, il faut s’interroger sur les relations entre hommes et insectes dans les espaces agricoles, et sans doute aussi dans d’autres secteurs. L’avenir des techniques de protection doit s’orienter vers la recherche d’équilibres. Pour cela, il est indispensable de changer de paradigme en oubliant la notion de destruction, d’éradication qui a prévalu jusqu’alors, pour se tourner vers des méthodes de dissuasion à l’encontre des insectes ravageurs. Il convient, d’une part de favoriser leur régulation naturelle par les organismes antagonistes (arthropodes auxiliaires, microorganismes entomopathogènes, faune sauvage) et, d’autre part, d’investir massivement dans les méthodes dérivées de l’écologie chimique : phéromones, kairomones, plantes attractives, plantes répulsives et probablement aussi dans une meilleure compréhension du microbiote associé aux ravageurs avec pour objectif de passer des insecticides aux insectifuges. »
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