Afin d’établir un bilan des connaissances scientifiques concernant l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), présidé par le député et mathématicien Cédric Villani, a organisé en février 2021 une audition publique d’un panel d’experts et de représentants ou intervenants du monde agricole. Cette audition a fait l’objet d’un rapport (1) établi par monsieur Philippe Bolo, député, en mars dernier. L’objectif était notamment de comprendre si les ondes électromagnétiques ou d’éventuels courants parasites de l’environnement pouvaient être responsables de certaines anomalies comportementales ou biologiques des cheptels.
Un rapport favorable à la poursuite de « l’effort de recherche sur la géobiologie »
Si l’intention est entendable, la prise en compte de « l’expertise » et des recommandations de géobiologues auditionnés par les parlementaires rend surréaliste la lecture du rapport synthétisant les auditions. Au cours de celles-ci, Monsieur Yves Daniel, député de la sixième circonscription de Loire-Atlantique, précisa ainsi que « l’effort de recherche doit donc être poursuivi avec beaucoup de pragmatisme en mobilisant l’ensemble des compétences scientifiques, géobiologiques, celles des agriculteurs sur le terrain et des opérateurs d’électricité » et interrogea l’assistance en ces termes : « Comment devons-nous faire évoluer la loi, notamment en termes de reconnaissance de la géobiologie ? Les travaux menés par les différents ministères concernés doivent être mis en commun ». Monsieur Philippe Bolo précisa quant à lui, lors de la présentation du compte-rendu des auditions, que « cette discipline, non scientifique, existe bel et bien et permet, dans certains cas, de résoudre les situations, alors même que la science n’y parvient pas. (…) je crois qu’il faut vraiment faire preuve en la matière d’une grande ouverture d’esprit et considérer que cette discipline existe et a son intérêt. Nous avons tous entendu parler ou vu des sourciers qui parviennent à trouver de l’eau ». Finalement, on apprend, entre autres recommandations de l’office, qu’une gestion plus efficace des problèmes rencontrés par les agriculteurs nécessite d’« accélérer la structuration du métier de géobiologue en instaurant une obligation de formation et le respect d’un code de déontologie à l’instar de celui édicté par la confédération nationale de géobiologie ».
Les murs ont bonne mémoire
Il nous paraît opportun de rappeler quelques fondamentaux à ceux de nos élus pensant devoir légitimer la géobiologie et autres sorcelleries, en dépit de la vacuité de leur nature et des profonds dangers de dérives sectaires qu’elles représentent.
La géobiologie prétend étudier l’influence sur notre santé ou celle des animaux, notamment d’élevage, des rayonnements ionisants et non-ionisants et des courants électriques présents dans notre environnement. Les géobiologues appliquent en particulier les préceptes du Dr Hartmann, pour qui tout organisme vivant subit en permanence les influences de son environnement, en particulier de différentes énergies ou radiations de la terre et du « cosmos », et distinguent ainsi plusieurs types de nuisances : les perturbations d’origine naturelle, qui seraient liées à la présence de cours d’eau, de failles géologiques, sans qu’aucun élément scientifique n’étaye cette association…; les perturbations d’origine artificielle, induites par les installations électriques ou les émetteurs radiofréquences. Mais aussi des phénomènes invisibles et hautement folkloriques comme la mémoire des murs, les âmes errantes ou autres entités surnaturelles.
Les mystérieux réseaux Hartmann
Comme en fut impressionné semble-t-il le député Bolo, qui indiqua dans le rapport que « les géobiologues les plus sérieux s’appuient sur une connaissance de la physique et utilisent des équipements permettant de mesurer des paramètres physiques » les géobiologues « manipulent » en effet des instruments scientifiques pour mesurer ces nuisances et, entre autres choses, des champs de torsion qui n’ont néanmoins… aucune réalité, aucune description en physique ; ou encore pour cartographier les réseaux Hartmann qui sont un enchevêtrement de lignes de champs magnétiques… purement imaginaires et ne correspondant à aucune structure géologique ou géophysique. Mais là ne réside pas leur seul talent : certains géobiologues savent mettre à profit leur sensibilité, considérant que leur corps est l’outil le plus facile à utiliser pour la détection des ondes puisqu’il aurait la capacité de perception et le ressenti nécessaire pour appréhender le potentiel de nuisance d’une zone. Pourtant le ressenti n’a pas sa place en science : le témoignage humain, le vécu, le ressenti constituent le plus bas niveau de preuve scientifique car potentiellement approximatifs, erronés ou falsifiés. Le cerveau humain est sujet à environ 200 biais cognitifs, depuis la réception de l’information jusqu’à l’émission de la réponse comportementale. Se fier à un témoignage, à un ressenti, c’est accepter que l’erreur devienne un fait. Quant à l’utilisation des baguettes de sourciers, dont les mouvements sont pour certains la preuve d’une action magnétique des cours d’eau que les géobiologues seraient capables d’ainsi détecter, les expériences conduites par le chimiste Michel-Eugène Chevreul, au début du 19e siècle, permettent de comprendre que l’orientation de la baguette varie en fonction de micro-mouvements musculaires provoqués automatiquement par le mouvement des yeux, de sorte que les observateurs et même l’expérimentateur peuvent croire que la baguette bouge en réponse à une excitation extérieure… Reste à savoir pourquoi certains trouvent de l’eau : l’explication est peut-être à chercher dans le fait que la probabilité de trouver de l’eau en creusant, quel que soit l’endroit, n’est pas nulle, que certains indices biologiques ou géologiques peuvent guider l’observateur attentif, et qu’il y a certainement un effet loupe mettant en lumière ceux qui trouvent « par chance » ou perspicacité et cachant la forêt de géobiologues-sourciers qui ne trouvent pas par « malchance » ou manque de perspicacité…
En 2021, la domothérapie, la bio-énergétique, la chromatothérapie, la bioélectronique ont l’avenir devant eux
La géobiologie n’est qu’une pseudo-science qui enrobe sa nature ésotérique d’un jargon scientifique et de pseudo-mesurages scientifiques, et qui entretient de vastes et nombreuses connections avec d’autres disciplines, comme la domothérapie, la bio-énergétique, la chromatothérapie, ou encore la bioélectronique, autant de pseudo-sciences qui éloignent nos esprits de la rationalité, déroutent parfois des malades de leurs parcours de soins, isolent des personnes crédules dans un « monde parallèle » et hypothèquent de la sorte gravement, par leur emprise grandissante sur nos concitoyens et visiblement certains de leurs élus, nos chances de construire une société libérée des pratiques obscurantistes et des dérives sectaires. Doit-on rappeler au rapporteur de ces auditions que l’UNADFI enregistre depuis plusieurs années une augmentation des dérives et des signalements liés aux praticiens de la géobiologie, notamment pour exercice illégal de la médecine ? Mais il s’agit d’un business juteux qui semble trouver des relais politiques.
Nous en sommes donc là en 2021: des élus d’une nation qui fut celle des Lumières appellent à accélérer la structuration professionnelle d’un réseau charlatanesque pour répondre à une question technique par des formules magiques. Nous avons un problème désormais fondamental d’instruction et de culture scientifique dans ce pays, au plus haut niveau.
Image par Andrew Martin de Pixabay
Pour aller plus loin :
(1) http://www.senat.fr/rap/r20-487/r20-4871.pdf
Sébastien Point, Géobiologie de l’habitat : un simulacre de science, Science et pseudo-sciences, n°316.
La géobiologie, Une pseudo-science en expansion, Science et pseudo-sciences, n°277.
Sébastien Point, interrogé par Victor Garcia, La géobiologie, « un business juteux, en plus d’être une dangereuse pseudoscience », L’express, 2020.
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