L’agriculture est le premier et plus ancien secteur économique de l’humanité. Depuis plus de 10’000 ans elle s’intègre dans les écosystèmes, les modifie même, afin de produire les aliments, les fibres et d’autres matériaux qui nous sont nécessaires. Elle y a si bien réussi que des esprits chagrins et ignares le regrettent. Comment l’agriculture peut-elle sortir par le haut et par elle-même de l’ornière où elle se trouve ? La Nouvelle Zélande nous fournit un exemple intéressant.
Agri-bashing
Selon eux, l’agriculture porterait atteinte à la biodiversité d’une nature bonne en soi ; elle contribuerait aux changements climatiques, mauvais en soi ; elle polluerait démesurément, intolérable à quelque dose que ce soit ; elle abimerait les sols, devenus irrécupérables ; elle consommerait trop d’eau, voleuse à l’étalage ; elle serait productiviste, bassesse sociale. Bref, depuis la nuit des temps elle prouve son inaptitude à la durabilité.
Mais il y a pire, car, libérés du servage depuis plus de deux siècles, les agricultrices et les agriculteurs sont des entrepreneurs, gestionnaires de terres agricoles et sylvicoles, d’immeubles, de bétail, de chédail, de stocks d’intrants et de denrées produites. Ce sont donc d’affreux capitalistes, certes endettés jusqu’au cou, mais capitalistes quand même, des koulaks, classe sociale haïssable.
Subventions pour services rendus et sur contrôlés
Ils ne sont pas que des producteurs mais fournissent aussi un service à l’environnement qui n’est pas en relation avec la production de denrées. Ils méritent donc rétribution pour les paysages qu’ils aménagent, le bien-être qu’ils procurent aux animaux avant de les faire abattre, la biodiversité qu’ils veulent bien laisser éclore au-delà de leurs champs. Personne n’étant en mesure de déterminer une valeur économique de ces bienfaits, cela se règle par des négociations dans lesquelles c’est l’État ou ses fonctionnaires qui tient le couteau par le manche, soutenu par les lobbies d’ONG écologistes qui savent tout mieux que tous. Le moins-disant international s’en réjouit.
Cela a permis de mettre ce secteur sous le boisseau, de le réguler jusque dans ses moindres détails. Le code rural français téléchargé fait 1060 pages de format A4. En Suisse, la loi fédérale sur l’agriculture fait 76 pages d’un format A5. Mais dans ces deux pays, ce sont les innombrables décrets et arrêtés, avec les procédures formulaires et agents administratifs et de contrôle que cela entraîne, qui étranglent toute velléité d’esprit d’entreprise. Ce secteur est donc gardé en état de dépendance économique par un régime de subventions. Il y a de quoi se révolter. Ce n’est pourtant pas une fatalité : en Nouvelle-Zélande la production agricole est soutenue à raison de 0,32 % de ses revenus, la moyenne dans l’Union européenne est de 15,1 %, en baisse constante depuis 30,3 % en l’an 2000. En Suisse, ce sont 44,6 %. Dans beaucoup de pays, riches par ailleurs, les prix obtenus par les producteurs à la sortie de la ferme (paiements directs inclus) sont plus élevés que ceux des marchés internationaux, de +3,1 % dans l’UE et +36% en Suisse. Mais ce n’est pas le cas partout, voire très inférieur en Argentine (12,5 %), en Inde (26,7%) ou au Vietnam (10,5%).
Des entrepreneurs au service de la demande
C’est devenu un poncif de raconter combien les rats des villes s’acharnent contre les rats des champs. Il y a pourtant du vrai là-dedans, avec la glorification de l’ignorance d’intellectuels et autres idéologues déconnectés des réalités du terrain. Un des sommets est atteint à la Commission européenne qui, de la ferme à la fourchette, ne sait plus qu’inventer afin de saborder l’agriculture de ce continent.
Comme pour toute activité humaine, le progrès agricole passe par des pesées d’intérêts – risques d’atteintes à la santé ou à l’environnement mis en balance avec les risques d’un approvisionnement insuffisant et économiquement inabordable. Les agriculteurs sont les premiers à en reconnaître la nécessité ; c’est par eux-mêmes et avec le soutien des industries connexes que leur secteur n’a pas cessé de s’améliorer. Contrairement au mensonge qui se répète au point d’être devenu une vérité, la production est apte à satisfaire la demande d’une démographie encore croissante, la santé des agricultrices et agriculteurs est meilleure que celle de la population en général, les pesticides ne sont pas singularisés comme une cause de cancer.
L’exemple de la Nouvelle-Zélande
À l’instar de la Nouvelle-Zélande il serait souhaitable que l’intervention étatique se limite aux conditions cadres qui sont à respecter (normes et standards) sans plus user de la subvention pour menacer les conditions économiques des producteurs. De leur côté, ces derniers seraient bien avisés de réformer leurs structures coopératives et associatives pour prendre une part plus active, directe et tangible dans la mise en valeur de leurs produits, comme l’ont fait les éleveurs et producteurs néo-zélandais après le choc de la suppression des subventions qu’un ministre travailliste ordonna en 1985. Les viticulteurs savent bien faire cela, pourquoi donc une entreprise comme Lactalys n’appartiendrait pas à des sociétaires/producteurs de lait ?
Exemple : En Nouvelle Zélande la coopérative Fonterra (chiffre d’affaires de 13,9 milliards d’euro en 2022/23) valorise les produits laitiers et leur exportation ; statutairement, elle doit payer un dividende de 40 à 60 % de son bénéfice net à ses coopérateurs. Dans ce pays, cette intégration verticale et une consolidation du nombre et de la taille des exploitations (actuellement de 440 têtes de bétail sur 157 ha en moyenne) fut la réponse à la suppression du subventionnement de l’agriculture en 1985. La filière viande a effectué une mutation similaire. C’est remarquable pour un pays de 5,2 millions d’habitants et loin de tout.
Alors non, l’agriculture moderne n’est pas condamnée à la petitesse des circuits courts, aux médiocrités du bio et aux subventionnements. Elle n’a en fait besoin d’aucun conseil ni directives pour mener sa barque. Elle accepte volontiers des normes de protection pour les gens et l’environnement, la seule condition étant qu’elles soient réalisables et libres d’idéologies. Avec ses nouvelles biotechnologies, des protections phytosanitaires efficaces et sûres, une fertilisation bien ciblée, des techniques d’irrigation efficientes, des méthodes de protection des sols et des outils numériques de précision, elle dispose de tous les ingrédients pour bien effectuer son travail sans l’aide de quiconque prétendant à son bien. La stabulation libre lui conviendra mieux que l’entravée.
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Merci pour cet article.
Un très bon exemple bien documenté sur la culture un peu confidentielle de la noisette https://www.agriculture-environnement.fr/2024/03/20/une-france-sans-producteurs-de-noisettes.
Le même exemple peut s’appliquer à toutes les productions agricoles.
Nous importons tous les jours massivement et à bas prix des productions agricoles végétales et animales produites dans des conditions qui sont strictement interdites à nos agriculteurs.