A l’occasion de la réédition de l’ouvrage collectif Plant Biotechnology. Experience and Future Prospects dirigé par Agnès Ricroch, Surinder Chopra, Marcel Kuntz (Springer, 2021) et de l’article Next biotechnological plants for addressing global challenges: the contribution of transgenesis and New Breeding Techniques (Agnès Ricroch, Jacqueline Martin-Laffon, Bleuenn Rault, Victor C. Pallares and Marcel Kuntz), Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS a bien voulu répondre à nos questions pour présenter ces deux publications qui visent à rendre compte des réalisations et des possibilités des biotechnologies des plantes.
The European Scientist : pouvez-vous nous parler du livre collectif Plant Biotechnology. Experience and Future Prospects
Marcel Kuntz : Ce livre contient 19 chapitres écrits par un panel international de scientifiques dont la plupart mènent des recherches fondamentales dans des domaines aussi divers que la biologie moléculaire ou l’amélioration des plantes de culture, ou l’impact des réglementations ou de la propriété intellectuelle. Le livre fait une large place aux « New Breeding Technologies », c’est-à-dire la sélection variétale des plantes qui utilisent l’ « édition de génome », dont bien sûr le système CRISPR-Cas couronné par un Prix Nobel, accordé en 2020 à Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier.
Les chapitres plus spécialisés dans les apports concrets incluent les réductions de l’usage des pesticides et des émissions de carbone permises par les OGM, les résistances aux bio-agresseurs, dont les virus et les insectes, ainsi que la gestion durable de ces variétés de plantes. En lien avec les sols, un chapitre traite des traits génétiques liés aux racines afin d’améliorer l’acquisition de l’azote (et donc de réduire l’épandage de nitrates), un autre de la santé des sols et un autre de la phytoremédiation (dépollution, en l’occurrence des métaux lourds). Trois chapitres traitent d’aspects liés à la santé : la production de produits biopharmaceutiques par les plantes, la possibilité de créer des blés avec un faible contenu en gluten, ainsi que de l’évaluation des effets des composés phytochimiques sur la santé et les maladies chroniques.
TES : allons-nous enfin dépasser la querelle des OGM ?
M.K. : Comme le souligne Claude Debru dans sa préface, la question de l’évaluation des risques est souvent posée par l’aphorisme « l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence ». Ce que ce philosophe juge être « une histoire assez ambiguë aux fondements logiques douteux ». De plus, l’esprit du principe de précaution ne devrait-il pas favoriser la recherche plutôt que de l’entraver ? Nous n’en sommes pas là, en Europe notamment.
Dans un chapitre, je recense les différentes visions du monde qui se sont exprimées sur les OGM et m’interroge pourquoi l’accumulation de données scientifiques solides sur les OGM n’a pas permis de dépasser la querelle. En fait, les scientifiques, l’évaluation scientifique des risques et même, plus généralement, la science ont été entraînés dans cette bataille politique. La vision postmoderne, aujourd’hui largement répandue, contribue à l’idée que la science est une opinion parmi d’autres, qui doit être débattue par des « parties prenantes » avec des agendas divergents. Ainsi, il s’est avéré difficile pour la plupart des gens de distinguer les véritables controverses scientifiques des controverses politiques.
TES : quelle a été l’approche de la publication dans le journal scientifique New Biotechnology
M.K. : Nous avons voulu recenser les innovations des biotechnologies des plantes dans la période récente (depuis 2015) : à la fois celles qui ont atteint le stade de la commercialisation, ou au minimum une autorisation dans au moins un pays ouvrant ainsi potentiellement la voie à une mise sur le marché, et aussi celles, plus en amont, qui ont fait l’objet d’un brevet. Les documents décrivant les brevets étant en effet une précieuse mine d’informations. Nous avons distingué, dans les deux cas, les innovations utilisant la transgénèse qui est aujourd’hui « classique » (elle a été inventée en 1983 !) et celles qui s’appuient sur le « gene editing ». Nous avons aussi recensé les acteurs, publics ou privés, et leur localisation géographique. Nous avons également classé ces innovations en catégories d’application : agronomiques (dont les résistances à des bio-agresseurs ou à des stress causés par l’environnement, comme la sécheresse), nutritionnelles, industrielles (huiles industrielles par exemple) ou pharmaceutiques.
TES : Quelles sont vos principales conclusions ?
M.K. : L’édition de génome est souvent présentée comme devant remplacer la transgénèse classique. Les industriels concernés par le marché européen, peu accueillant pour les « OGM », espéraient même rendre ainsi obsolète la querelle des OGM. Les faits montrent que bien que l’on constate une augmentation du recours à l’édition de génome, l’utilisation de la transgénèse ne faiblit pas : elle représente 70% des traits génétiques qui ont obtenu une autorisation ou ont été commercialisés depuis 2015. On pouvait s’attendre à ce que l’édition de génome se taille une part dominante dans les brevets, c’est-à-dire les innovations les plus en amont dans notre compilation, mais il n’en est rien : la part du « gene editing » n’est que de 14%. Il semble en fait que les deux voies technologiques se complètent : « éditer » un gène est adapté pour des modifications ponctuelles dans un ou des gènes existant dans une espèce, mais lorsqu’il y a besoin d’ajouter un gène, alors la transgénèse possède des protocoles bien rodés.
De plus, les proportions des espèces concernées et des diverses catégories d’applications n’est pas la même entre transgénèse et édition de génome, ce qui semble aller dans le sens d’une complémentarité. Les deux contribuent donc à augmenter le champ des possibles. Mais ce champ n’est pas même suivant les pays…
TES : Et les gagnants sont ?
M.K. : Dans le paysage de la propriété intellectuelle, la Chine avec 91% des brevets que nous avons recensés. En revanche, cette hégémonie ne s’est pas (encore ?) traduite en produits mis sur le marché, ou autorisés à l’être. Dans ce dernier cas, la domination des Etats-Unis demeure avec 76% de ces produits.
Dans la catégorie des perdants toutes catégories, figure sans surprise l’Europe. Notre analyse conforte les observations antérieures des économistes quant à l’influence, positive ou négative, de la réglementation sur l’innovation, et notamment du coût imposé de l’évaluation des risques. La question qui demeure est : pourquoi charger la barque réglementaire d’une innovation jusqu’à la faire couler, alors que ses bénéfices sont évidents (voir l’expérience acquise depuis 25 ans dans les pays utilisateurs) et les risques minimes voire inexistants (voir aussi dans les pays utilisateurs). Mon explication, déjà formulée, est que le projet de l’Europe a été de renoncer, collectivement comme individuellement, à la puissance politique, en tant qu’empire face aux autres empires, dont les Etats-Unis et la Chine. L’utopie européenne est celle d’un monde sans tragique, atteignable en affichant sa vertu en tous domaines, dont le précautionnisme en matière technologique. Jusqu’à accepter de sortir de l’Histoire, en l’occurrence des biotechnologies, mais ce n’est pas le seul domaine. Quand la « virtue signaling » atteint de tels niveaux de ce qu’il faut bien appeler du nihilisme, redresser la barre nécessiterait une prise de conscience qui n’est pas encore visible… Puissent nos publications y contribuer…
Plant Biotechnology. Experience and Future Prospects, Editors: Agnès Ricroch, Surinder Chopra, Marcel Kuntz, Springer, 2021
Next biotechnological plants for addressing global challenges: the contribution of transgenesis and New Breeding Techniques. Par Agnès Ricroch, Jacqueline Martin-Laffon, Bleuenn Rault, Victor C. Pallares and Marcel Kuntz. New Biotechnology
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