Six mois après le début des réflexions sur le sujet, le gouvernement a présenté en avril dernier sa première feuille de route pour développer l’économie circulaire en France. Comme les biens de consommations et les emballages en tout genre, les déchets nucléaires se plient également depuis longtemps à cette tendance de fond, qui invite à recycler plutôt que jeter.
La bataille anti-déchets et anti-gaspillage est lancée
Le 23 avril 2018, Édouard Philippe et Brune Poirson ont présenté le « plan de bataille anti-déchets et anti-gaspillage » du gouvernement, des mots du Premier ministre. Réunis dans une usine du fabriquant de petit électroménager Seb en Mayenne, le chef de l’exécutif et la secrétaire d’État à la transition écologique ont détaillé le plan de marche de l’État pour diviser par deux les déchets ménagers en 2025 et rendre le recyclage plus compétitif que la mise en décharge, notamment en recyclant tous les plastiques d’ici sept ans. Le chantier s’annonce colossal au vu des 350 millions de tonnes de produits jetés chaque année en France. En conséquence, la feuille de route ministérielle dévoilée à la presse était particulièrement longue afin de fixer le cap pour chacune des filières et des formes de consommations à intégrer ou améliorer via l’économie circulaire. « Aujourd’hui, on extrait, on fabrique, on vend, on casse, on jette avec d’un côté, des mines toujours plus profondes et de l’autre des montages de déchets toujours plus hautes. Il est grand temps de fermer les circuits de production et de consommation », a tweeté le Premier ministre. Une référence directe au mouvement d’économie circulaire, qui vise à limiter le gaspillage des ressources ainsi que l’impact environnemental de l’Homme tout en augmentant l’efficacité à tous les stades de la vie du produit.
Parmi plus d’une cinquantaine de mesures annoncées par Édouard Philippe et Brune Poirson figure l’instauration à partir du 1er janvier 2020 d’un indice de réparabilité sur les produits électroménagers pour aider les usagers à réparer et à trouver des pièces détachées. Autres nouveautés : la baisse de la TVA de 10 % à 5,5 % pour la collecte séparée, de tri et de valorisation des déchets, ainsi que la hausse progressive de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) versée pour la mise en décharge. Pour ne pas pénaliser les collectivités territoriales qui se lanceront dans une tarification incitative (prix plus élevé en fonction du volume), les frais de gestion perçus par l’État sur la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) seront réduits de 8 % à 3 % pendant trois ans. Le plan gouvernemental prévoit également d’élargir le principe du pollueur-payeur à 14 filières jusque-là exonérées d’écocontributions, comme les emballages des cafés-hôtels-restaurants ainsi que les articles de sport, de loisirs, de jardin et de bricolage. Le Premier ministre a également indiqué vouloir « mobiliser les producteurs de cigarettes pour gérer les mégots » et les fabricants de téléphones portables pour améliorer le recyclage des mobiles via des incitations financières. D’autres actions doivent enfin être menées concernant les déchets générés par les entreprises et le soutien aux matières recyclées via un bonus-malus pouvant excéder 10 % du prix de vente HT, mais leur mise en œuvre semble encore relativement floue.
Le recyclage des déchets nucléaires pratiqué depuis plus de 40 ans
Gagnant en popularité depuis une dizaine d’années, le développement de l’économie circulaire est né dans un contexte de hausse du prix des matières premières, de raréfaction et de dégradation des ressources, rappelle la Société française de l’énergie nucléaire (SFEN) dans sa Revue générale nucléaire. Fondé sur le principe qu’il n’est pas possible d’envisager une croissance infinie dans un monde aux ressources limitées, le mouvement s’est déployé à tous les secteurs d’activités comme à l’ensemble des activités industrielles. Premier concerné par cette démarche de préservation des matières premières, le marché de l’énergie nucléaire est, contrairement aux idées reçues, l’un des précurseurs de l’économie circulaire. Dans cette filière stratégique qui pourvoit à plus de 70 % des besoins en électricité sur le territoire français, le cycle du combustible est en effet un modèle du genre afin de tirer le maximum des ressources naturelles exploitées en amont comme en aval, et de préserver son impact sur l’environnement. Équivalent à une tonne de pétrole, 1,5 tonne de charbon, 2,5 tonnes de bois et 11 MWh électriques, 1 gramme de plutonium (ou 100 grammes d’uranium) est en moyenne réutilisable à 96 %. Grâce à la recherche des ingénieurs d’EDF et Orano (ex-Areva), l’assemblage d’uranium et de plutonium issus de combustibles usés ou à l’état naturel permet de créer un mélange d’oxydes baptisé MOX, qui fournit autant d’électricité que huit fois la même quantité d’uranium naturel, soit de quoi alimenter une ville de 100 000 habitants pendant un an.
En France, nation à la pointe de l’atome mondial avec une électricité décarbonée à 97 %, les progrès dans le traitement et le recyclage des déchets nucléaires ont permis de réduire par cinq leur volume et par 10 leur radiotoxicité. Sur une année, la quantité de matière non recyclée représente moins de 5 grammes par habitant, soit le poids d’une pièce d’1 euro. Le début du traitement des combustibles usés à La Hague remonte à 1976, soit bien avant celui des déchets plastiques, métaux et autres verres. Quid, cependant, des 4% de matière nucléaire qui ne peut être recyclée ? Principale source d’opposition au programme nucléaire, leur traitement répond pourtant à un protocole minutieusement étudié et surveillé par l’autorité de sûreté nucléaire (ASN). Dans l’Hexagone, ces matières seront enfouies à plus de 500 m sous la surface du sol afin d’éviter tout exposition humaine. Depuis 25 ans, l’État français planche sur un projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo), conçu pour conserver ces déchets radioactifs dans une épaisse couche d’argile censée confiner et réguler la radioactivité. Confiée à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), la réalisation de Cigéo prévoit l’enfouissement des premiers résidus d’ici 2030-2035 sur le site de Bure (Meuse), avec une option réversible permettant de récupérer les colis pendant 100 ans en cas de changement d’orientation politique sur la gestion des déchets nucléaires. Le savoir-faire français en la matière ne souffre d’ailleurs pas de la concurrence étrangère. La preuve : Orano a récemment conclu trois nouveaux accords d’une valeur totale de 9 milliards d’euros pour le traitement et la gestion des déchets sur trois sites du CEA à Fontenay-aux-Roses et Cadarache. D’autres établissements à La Rochelle, Saint-Laurent-des-Eaux, Marcoule ou encore Saclay permettent également de stocker les rejets dans l’attente de l’ouverture de Cigéo.
À l’heure de réviser la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la question de la place de l’atome dans le mix énergétique français pourrait ne pas seulement tenir compte de ses capacités à produire une électricité fiable, décarbonée et compétitive. Elle doit également considérer, à l’image des mesures annoncées par le gouvernement sur l’économie circulaire, l’expérience et l’efficacité de l’industrie nucléaire dans le traitement et le recyclage des ressources consommées, voir même élargir ses bonnes pratiques à d’autres secteurs.