Dans les publications et dans les débats, par une actualisation singulière, il est devenu commode, voire à la mode, de dénigrer le nucléaire, en usant de vocabulaires d’antan, politiquement connotés, à la fois giscardien : « le passé » (campagne de 74) et mitterrandien : « le passif » (campagne de 81). Des réminiscences efficaces pour signifier, en conjonction, une mise au ban de la filière, situation que les opposants (convaincus ou opportunistes) tentent chaque jour de rendre irréversible. Mais le contexte actuel, et ce qu’on peut déjà figurer du futur, devrait inciter les détracteurs et surtout les suiveurs d’opinion, afin de mieux fonder leur position, à ne pas se contenter de ces « disqualifiants » génériques. S’ils permettent de rester commodément à la surface des choses, il est urgent, pour le devenir énergétique du pays, de pouvoir passer sous le dioptre, et de questionner vraiment la réalité des tares dont on affuble le nucléaire.
Vocables et contestations recyclés
Le « passé », puisqu’on oppose au nucléaire la modernité renouvelable (point hautement discutable d’ailleurs, l’utilisation du soleil et du vent étant immémoriale). Le « passif» aussi, qui renvoie au démantèlement des centrales et au traitement final des déchets (vocable également contestable, car le premier est affaire de méthode, et se pratique déjà, et le second possède une solution qui n’attend que sa mise en œuvre).
Mais aujourd’hui, le conditionnement de l’opinion est si abouti, que déclarer qu’un problème qui possède une solution n’en est plus un, est hérétique, s’agissant spécifiquement du nucléaire…… qui ne saurait être qu’un problème et dont, en conséquence, il faut se débarrasser au plus vite, pour éviter que s’accroisse le passif du passé.
Tenter de remonter la pente argumentaire, ne se fait donc pas en partant à égalité, mais bien avec un handicap important (on pourrait parler de passif) !
S’essayer à établir méthodiquement une vraie comparaison « commodo-incommodo », s’agissant du nucléaire, s’avère impossible quand les arguments « pro-nuc » ne sont tout simplement pas reçus. Pourquoi, en effet, prendre « tous les risques », alors qu’une alternative existe et qu’elle coche toutes les cases vertes, les seules désormais probantes devant l’opinion.
Désarmement nucléaire
Certes, en 74, on démarrait tout juste le programme nucléaire, en mettant en œuvre le plan Messmer, et en 81, le train était déjà bien sur les rails, mais l’affaire du site de Plogoff, alors pendante, l’accident américain de TMI et les ambiguïtés du candidat de la gauche avaient, un temps, fait douter qu’on poursuive dans cette voie.
Toutefois, si le nucléaire gardait alors une bonne image dans l’opinion, mais avait déjà des opposants résolus, ce n’était pas l’enjeu politique qu’il devint ensuite, jusqu’à atteindre l’acmé qu’on connaît aujourd’hui, inextricablement lié au devenir d’EDF. Le nucléaire, un atout maître, devenu injouable, dans le contexte hostile actuel, fait de vertitude et de concurrence exacerbées, et de focus pré-électoral ; voilà une bien inquiétante situation.
Mais depuis le début de la contestation, le glossaire qui décrit le poison nucléaire et ses effets, est devenu beaucoup plus riche et beaucoup plus divers et d’ailleurs, trivialement, quand on veut noyer son chien, n’affiche t-on- pas qu’il a la rage, thème qu’on peut varier à l’infini, en puisant dans le catalogue ouvert des périls.
Ainsi, s’attache t-on à démonter, point par point, les solides arguments qui avaient conduit la France, à entreprendre et à poursuivre au long cours, un ambitieux programme de reconquête de son indépendance énergétique.
Pour cela, elle a su créé une filière industrielle complète, capable de générer en bout de chaine, un kWh électrique compétitif, fiable et sûr, ce qu’il demeure évidemment, malgré les dénégations réitérées, qui lui contestent même les très faibles émissions de GES !
Pourtant, indépendamment de la crise climatique, l’équation à résoudre reste obstinément la même, le pays, dans un contexte géopolitique qui s’est tendu a plus que jamais besoin de protéger son indépendance énergétique, et le levier électricité se trouve encore être l’un des plus efficaces, pour y parvenir.
Mais qu’est-il advenu dans l’intervalle pour que les orientations choisies s’inversent, sans qu’elles aient failli, bien au contraire ?
Subversion verte
Il se trouve que les énergies renouvelables intermittentes (EnRi(s)), se sont vues parer de vertus cardinales, présentées comme capables de challenger le nucléaire, le supplanter et à la fin, l’éradiquer. Pour les opposants, cette quête du Graal est désormais crédible, le chemin étant balisé par l’exemple allemand, nullement comparable en vérité, mais affiché comme le modèle à copier.
Mais les dites EnRi(s) ne possèdent pas, loin s’en faut, les qualités qu’on leur prête…. et il faut, tout au contraire, leur prêter une forte assistance technique, financière, législative et même judiciaire, pour qu’elles puissent se maintenir, artificiellement, en lice.
Certes le vent et le soleil sont gratuits et inusables, mais la manne qu’ils dispensent est instable, intermittente et diffuse, les très nombreux pièges, aux faibles rendements, nécessaires pour la capter, détruisent les paysages et stérilisent des hectares de terres ou de forêts ; de plus, ils sont soit « made in Denmark », soit « made in China » !
Les promesses ne sont donc pas tenues et l’ensemble, qui se développe vigoureusement et anarchiquement est bien peu seyant, mais les Français, non directement concernés par les nuisances, semblent s’en accommoder. La légendaire réactivité hexagonale, qui s’était colorée en jaune, a bel et bien été subvertie par la doxa verte.
Il faut dire que ce schéma, où les sources sont réparties (avec en filigrane, l’idée fallacieuse de zones électriquement auto-suffisantes), a été salué comme moderne, face aux dinosaures du passé que représentent les grosses unités de production centralisées (nucléaire de surcroît !), irrigant des réseaux tentaculaires. Une autre illusion rebattue qui, au final, a contribué à l’acceptation des parcs éoliens et solaires.
Par ailleurs, les nécessaires besoins de stockage-destockage dynamiques, pour pallier les intermittences n’existent pas (hors les STEP(s) (1)) et n’existeront pas demain. L’hydrogène, nouvelle venue dans la séquence, se présente pour relever le défi, mais la chaine à construire est complexe, les rendements piteux, la mise en œuvre difficile, et les quantités à générer colossales.
Mais la molécule magique a le vent en poupe et l’emballement médiatique récent, beau spécimen de pensée unique, devrait, plus tard, être présenté comme cas d’école…..dans les écoles de journalisme.
La paille dans l’œil du voisin…
Affubler ce qu’on veut détruire, de ses propres turpitudes, est un processus vieux comme le monde, et les opposants au nucléaire appliquent ces principes avec zèle, mais en juste retour, tendons-leur donc un miroir !
Pour mieux agoniser l’électronucléaire, toutes les vielles lunes sont sempiternellement recyclées et d’abord, qu’il est une source non modulable, l’électricité produite se trouvant souvent en excès, au point qu’il faille lui fournir continument des usages, quitte à les créer ou à les favoriser artificiellement.
Le recours systématique à cette ineptie devait rassurer les partisans de la filière, preuve que les contempteurs ne disposent pas vraiment d’arguments sérieux. Ainsi les « cumulus » qui fabriquent la nuit l’eau chaude de la douche du matin, seraient-ils des enfants obligés de la rigidité nucléaire (2), comme les généreux éclairages publics ?
Comment en effet imaginer que dans un mix, où l’électronucléaire est l’acteur dominant (75% voire 85% de la production), les réacteurs ne soient pas capables de s’adapter aux amples variations des demandes du réseau (typiquement : écarts jour-nuit, fluctuations de températures ou d’éclairement, cycle de l’activité diurne avec ses pics et ses creux caractéristiques) ?
Le nucléaire réalise aussi, avec les autres moyens pilotables (hydraulique, gaz, charbon) les ajustements, en temps réel, que requiert le strict maintien de l’équilibre production-consommation, via le réglage de la fréquence (dit réglage primaire).
Avec ces mêmes compères, il contrôle la qualité de la fourniture par le réglage de la tension, en pilotant le déphasage intensité-tension.
Enfin, il contribue, via ce qu’on nomme le réglage secondaire, au respect des engagements contractuels entre réseaux, un bouquet de réacteurs étant dédiés à l’exercice, pilotés par un signal national unique (typiquement, le nécessaire ajustement en puissance, consécutive à la défaillance d’une source nationale, et la situation symétrique, lorsque le défaut se situe dans un autre pays de l’espace interconnecté).
Boomerang
En résumé, le nucléaire rend complètement les « services réseau » qu’on attend des différents contributeurs et, une fois encore, comment pourrait-il en être autrement, compte tenu de sa prééminence ?
A l’inverse, éolien et solaire ne peuvent rendre ces services vitaux, de par leur caractères intermittents, mais aussi parce que leurs apports se font forcément au travers d’interfaces statiques (des onduleurs qui re-norment le courant brut produit) qui ne possèdent pas les propriétés inertielles des groupes turboalternateurs qui « tiennent le réseau », car physiquement en phase électrique avec lui (3).
Last but not least, les déversements des productions intermittentes étant prioritaires de par la loi (faite pour les favoriser car fortement inspirée de l’Energiewende allemande), ce sont les sources pilotables (dont le nucléaire) qui assurent leur back-up, et donc s’adaptent pour que le réseau reçoive, à tout instant, exactement ce qu’il demande.
Un exercice exigeant, d’autant plus difficile à réaliser que la proportion d’EnRi(s) augmente, accroissant l’ampleur des variations de leurs contributions (qui peuvent être rapides et profondes, à la hausse comme à la baisse).
Qui peut donc décemment dire que le nucléaire est une source rigide que le réseau subit ?
Diabolisation inopportune
A la différence de nombre de ses détracteurs, Bruxelles reconnaît au nucléaire ses faibles émissions de GES, mais lui ferme pourtant la porte s’agissant des avantages de la taxonomie verte (qui permet l’obtention de crédits de développement) car déclaré inéligible, sous la forte pression du lobby vert, à cause des déchets produits, pour lesquels, aucune solution n’existerait.
Par contre, le gaz naturel, se voit intégrer cette même élite verte, au motif que son usage, en remplacement du charbon, permet une amélioration de la situation.
Autrement dit, c’est une performance relative (gain en gros d’un facteur 2 sur les émissions / charbon) qui qualifie le gaz naturel, alors que le nucléaire, qui n’émet quasiment rien à l’échelle du charbon et du gaz et se place avantageusement par rapport à l’éolien et au solaire PV, se voit privé de subsides à cause des déchets qu’il produit.
Mais là encore, c’est un artifice, et mettre les déchets dans la balance alors qu’on a validé un moyen de s’en débarrasser est parfaitement arbitraire. Suède et Finlande, comme la France, ont choisi l’enfouissement géologique, principe qui présente des avantages et des garanties insignes et permet de fermer complètement le cycle du combustible nucléaire, sans risque potentiel crédible pour les générations futures (4).
Le nucléaire se trouvant gratifié par la complétude de ce schéma, mieux vaut, pour ses opposants, que la question des déchets reste pendante…et faire considérer l’enfouissement comme la tentative « de cacher la poussière radioactive sous le tapis géologique » et arguer que le diable ressort toujours de sa boite.
Et c’est ainsi que le site de Bure se verra contesté, qu’une ZAD se réactivera, qu’aucun document d’engagement ne sera signé, et que la procrastination deviendra la règle pour tout politique voulant ne pas obérer sa réélection du lendemain…L’ouvrage restera sur le métier et les générations qui viennent pourront alors, fort justement, nous reprocher notre inaction.
Confusions et cécité volontaire
En confondant volontairement risque et danger dans l’argumentation, on peut aisément diaboliser le nucléaire (et d’autres d’industries et modes de transport), et nos sociétés ont développé les phobies correspondantes, bien conditionnées par les ennemis de l’atome qui mêlent, à dessein, les deux notions.
Bien connaître le danger et prendre les dispositions afférentes font diminuer notablement le risque, pour le ramener à un niveau sociétalement acceptable, certes non nul, mais très faible. Mais s’agissant du nucléaire, c’est justement ce reliquat qui fait la différence, car ici, on réclame le risque « zéro » !
Des chiffres, pourtant probants classent le nucléaire comme la moins létale des sources électriques (rapporté au kWh produit), mais ils ne parlent pas à ceux qui ne veulent considérer que le danger…et le nucléaire, c’est bien connu, c’est dangereux, à preuve, Tchernobyl, Fukushima,…. !
« La messe est donc dite » pour qui ne veut rien entendre de plus, et pourtant, l’essentiel reste à considérer.
Qu’on en juge en effet : la technologie régulièrement bonifiée de nos réacteurs (une spécificité française), leur confère un haut niveau de sûreté de conception, la qualité et l’expérience des opérateurs produisent un haut niveau de sûreté d’exploitation, les Autorités de contrôle françaises (ASN-IRSN) font, justement, autorité, considérées comme les plus exigeantes au monde, elles sont dotées de pouvoirs de coercition importants (lesquels s’exercent face à des organisations parfaitement légalistes), le retour d’expérience national et international est très bien partagé, la longue expérience accumulée (en France, plus de 2000 années-réacteur) qui, si elle ne délivre pas un brevet d’immunité, n’en reste pas moins un atout d’importance,….etc.
Que faut-il davantage …aurait ajouté le fabuliste ?
(1) STEP : station de transfert d’énergie par pompage.
(2) C’est même souvent l’inverse, ainsi, la réglementation thermique qui s’applique au chauffage des locaux neufs (RT) a longtemps été très défavorable à l’électricité, offrant au gaz une belle opportunité, pleinement saisie d’ailleurs, au vu de la situation actuelle, explosion des choix gaz, effondrement de l’électricité. Le nouveau texte (RT 2020) qui prend enfin en compte les rejets de GES, devrait corriger partiellement cette anomalie, mais ce qui est fait est fait.
(3) Dans la récente étude RTE-AIE (01 2021) présentée comme n’identifiant pas de points rédhibitoires pour un réseau 100% alimenté par des sources renouvelables, la résolution préalable de points cruciaux faisait partie des attendus de l’avis et celui de trouver des capacités de réglage n’était pas le moindre.
(4) Comme la mise en défaut technique de l’enfouissement est difficile (appui sur des études et des expérimentations avec suivi parlementaire régulier), c’est sous l’angle éthique que l’attaque est portée : « ce legs aux générations futures n’est pas acceptable », alors que la finalité du projet est justement de les décharger du fardeau.
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