Dans cette analyse Jean-Pierre Schaeken Willemaers se penche sur les objectifs d’Elia, entreprise belge de transport d’électricité (de 30 kV à 380 kV) chargée d’assurer la stabilité du réseau électrique haute tension au cours de la présente décennie, dans le contexte de la transition énergétique. Elia est le gestionnaire de ce réseau, des interconnexions avec le réseau trans-européen ainsi que du réseau 50 Herz de l’est de l’Allemagne. Elle assure le développement et l’entretien de son infrastructure. Les grandes entreprises y sont directement raccordées. Elle veille à chaque instant à l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité. Vue sa position géographique au cœur de l’Europe, elle est également un acteur essentiel du marché de l’électricité et du réseau interconnecté. Le développement du réseau électrique belge s’inscrit dans la politique climatique européenne qui vise à une décarbonation quasi totale de ce secteur d’ici à 2050, via l’intégration massive de sources d’énergie renouvelable et l’intégration avec le réseau de transmission européen.
Pour réaliser ces objectifs dans les délais, le développement du réseau belge devient plus proactif que réactif vu que la construction de l’infrastructure prend en moyenne 10 ans, alors que les projets de production sont réalisés en 3 à 5 ans. La gestion d’Elia dépend des décisions des Autorités fédérales pour les matières dont l’indivisibilité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène sur le plan national.
L’auteur entend mettre au jour les conséquences des contraintes imposées par la transition énergétique européenne, dont la politique zéro carbone d’ici à 2050, ainsi que des moyens, exposés par Elia dans son rapport (1), pour assurer l’équilibre du réseau H.T. , soit :
– La pertinence de la capacité des interconnexions électriques avec les pays voisins
– La disponibilité tardive de la capacité supplémentaire d’éoliennes offshore (impliquant des coûts indirects importants)
– Les conséquences de l’arrêt de 4000 MW nucléaire (décision politique) sur le système électrique belge qui mettent notamment en exergue le rôle essentiel des centrales à gaz
– Le stockage d’énergie, avatar de la pénétration élevée du renouvelable intermittent: une technologie à préciser
– Les contraintes imposées aux consommateurs.
Externalités négatives d’un système électrique européen intégré
Élia déclare au début de son rapport, que « l’idéal pour la Belgique serait d’avoir un système électrique européen intégré qui s’appuierait sur des sources d’énergie renouvelable et dans lequel l’ensemble du potentiel national serait valorisé et complété par l’importation d’électricité via des interconnexions supplémentaires ». Elle souligne l’importance des échanges transfrontaliers qui, soit dit en passant, contribuent à l’amélioration de son bilan.
Or les expériences récentes montrent à suffisance que dépendre des importations n’est pas sans risques. Il suffit, en effet, que les pays voisins aient des problèmes avec leurs propres productions d’électricité (une situation susceptible de se répéter plus fréquemment à l’avenir avec la pénétration croissante du renouvelable intermittent et le manque de réalisme des pouvoirs publics), résultant de gestions déficientes ou de manque d’anticipation, pour n’être plus en mesure d’en exporter et ainsi priver le réseau belge du complément de capacité anticipé par Elia.
En outre, dans un environnement inflationniste qui pourrait s’installer dans la durée, de repli sur soi et de souci de souveraineté, il apparaît présomptueux de compter sur des importations massives qui devraient nécessairement être vertes, pour se conformer aux exigences de la transition énergétique.
En cas d’urgence extrême, que ferait la Belgique si elle n’avait d’autres possibilités que d’acheter de l’électricité allemande générée à partir de charbon, voire, de lignite, la seule disponible en cas de manque de vent et de soleil ? Aurait-elle le choix de s’en abstenir au détriment de la santé de sa population et de son économie, en particulier, de ses activités industrielles ?
Élia ne surestime-t-elle pas le besoin de capacité des interconnexions avec les pays voisins? N’est-il pas temps de s’en inquiéter, le surcoût étant finalement payé par les consommateurs ?
Incertitude des projets d’Eolien Offshore
En ce qui concerne la production d’électricité, l’éolien offshore (en mer) est considéré comme une composante importante de la transition électrique adoptée en Belgique.
En plus d’environ 2300 MW existant au large de la côte belge, l’objectif du plan susmentionné est de construire environ 3500 MW supplémentaires dans la deuxième zone de la mer du Nord, baptisée princesse Élisabeth. Le développement du réseau offshore implique pour son intégration dans le réseau national une capacité d’interconnexion (projet Ventilus) et un renforcement du réseau (boucle du Hainaut). Ces projets très onéreux (indispensables dans la logique de la transition énergétique) font l’objet d’une forte opposition qui ne semble pas faiblir. Quand seront-ils réalisés ? Il apparaît de plus en plus vraisemblable qu’ils ne seront pas achevés à temps pour éviter la construction de nouvelles centrales à gaz nécessaires à la stabilité du réseau étant donné le mix électrique prévu en 2025.
Conséquences de l’arrêt du Nucléaire
Pour sortir de ce cercle vicieux, il faudrait décider rapidement de prolonger 2000 MW nucléaires (judicieusement choisis) en plus de Doel 4 et de Tihange 3, au-delà de 2025 (productions considérées comme vertes par l’UE, même si elles ne sont pas labellisées comme telles), ce qui n’est pas prévu à ce jour. L’idéal serait de prévoir une extension de deux fois 10 ans, donc jusqu’en 2045, (ce qui porterait à 60 ans leur durée totale de fonctionnement) de manière à pouvoir, à terme, remplacer les installations existantes par celles de quatrième génération (technologie disruptive, brûlant très peu de combustible nouveau et produisant de faibles quantités de déchets radioactifs). Ces dernières pourraient au point avant 2035 et donc, étant donné une durée d’études et de construction de 10 ans pour les unités de 1000 MW et beaucoup moins pour les SMR (Small Modular Reactor, de puissance inférieure à 300 MW), être connectées au réseau entre 2040 et 2045. Encore faudrait-il que les capacités de fabrication et les moyens financiers suivent. La date de 2045 n’est toutefois pas fatidique. Un débordement éventuel de quelques années ne devrait pas poser de problèmes techniques ce qui laisse une marge pour le remplacement progressif des 4000 MW précités. Aux États-Unis, la durée de vie totale de quelques réacteurs a été portée à 80 ans.
Si la production nucléaire devait être limitée aux 2000 MW déjà décidés, il ne faudrait pas renoncer, a priori, d’avoir recours aux centrales à gaz pour assurer la sécurité d’approvisionnement électrique, au motif qu’elles ne sont pas un mode vert de production d’électricité. Avant d’en décider ainsi, il serait utile de s’interroger sur la contribution réelle des éoliennes et du photovoltaïque au verdissement de la génération électrique. Émettent-ils nettement moins de gaz à effet de serre (GES) par kWh que la génération thermique ? En fait, les défenseurs du renouvelable intermittent ne tiennent pas compte des d’émissions globales des GES associées, entre autres, au renforcement des lignes de transmission et de distribution et au stockage d’énergie (important émetteur de CO2) indispensable pour assurer la continuité d’approvisionnement électrique. Selon Jean-Marc Jancovici (2), les émissions totales se situent entre 100 et 250 g de CO2/ kWh pour le renouvelable, les centrales à gaz émettant environ 350 g pour les plus récentes. Pourquoi dès lors s’entêter à générer massivement de l’électricité intermittente pour gagner quelques dizaines de g/kWh et fragiliser le système électrique?
Pourquoi vilipender les centrales à gaz, dont celles de dernière génération ont des rendements de plus de 60% voire, de 80% pour celles de co-génération, alors qu’elles assurent une production continue et flexible et qu’elles posent moins de problèmes d’implantation vu leur haute densité énergétique par unité de surface et qu’elles disposent d’espace, notamment, sur des terrains où se trouvent déjà des unités de production thermique. En outre, leur durée de vie est 3 à 4 fois plus longue que celle des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Les prix élevés du gaz sont censés être temporaires pour peu que l’Union européenne et les États-Unis fassent preuve d’autant de détermination à négocier la paix dans le cadre de la guerre en Ukraine que dans leur lutte contre les émissions de GES.
Quid du stockage de l’énergie
Quant au stockage d’énergie, indispensable pour assurer l’équilibre d’un système électrique avec pénétration élevée de renouvelables intermittents, la technologie hydraulique (les stations de transfert d’énergie par pompage, STEP) est de loin la meilleure, mais elle n’est pas suffisante.
En dehors de celles-ci, les batteries Lithium ion constituent le complément le plus déployé actuellement, Elles sont onéreuses, difficilement recyclables et ne sont pas des plus propres (dans le sens écologique du terme), tant s’en faut. Amnesty International lançait d’ailleurs, début 2019, un défi aux leaders de l’industrie de fabriquer des batteries éthiques (3). En outre, elles ne sont pas la solution adéquate pour des applications stationnaires impliquant un stockage massif d’énergie requis par un système électrique à forte pénétration d’électricité renouvelable intermittent (4).
En revanche, la batterie à flux, en particulier la batterie vanadium à flux redox (VRB), est beaucoup plus performante. C’est une batterie rechargeable dans laquelle l’électrolyte (stocké dans des réservoirs à l’extérieur de celle-ci) circule à travers une cellule d’échanges d’ions (dont les deux compartiments sont séparés par une membrane) qui convertit l’énergie chimique directement en électricité. Si tous les composants électro-actifs sont dissouts dans l’électrolyte, la batterie est dite redox.
L’énergie fournie par ce type de batterie est liée au volume de l’électrolyte et donc à la dimension des réservoirs dont question ci-dessus (possibilité d’augmenter sa capacité par la simple augmentation de la taille des réservoirs).
Ces batteries ont une durée de vie bien plus longue que celles à Li ion, ne présentent pas de risque d’incendie et utilisent un matériau, le vanadium, qui est présent dans la croûte terrestre en plus grandes quantités que le lithium, mais présentent l’inconvénient d’occuper de plus grandes surfaces au sol.
Toutefois, le recours aux batteries à flux pour un stockage massif d’énergie prendra vraisemblablement encore quelque temps.
Contraintes sur les consommateurs
Bref, la conversion d’une production électrique à partir de gaz et de combustible nucléaire à 100% de renouvelables d’ici à 2050, dont la production sera très largement intermittente, implique des investissements extrêmement coûteux (stockage d’énergie, renforcement des réseaux électriques et accroissement des connexions transfrontalières pour n’en citer que quelques-uns) dans des équipements, dont la technologie est encore en développement pour certains d’entre eux. De tels investissements sans aides financières publiques et donc aux dépens des citoyens, sont illusoires.
En outre, les promoteurs de la transition énergétique déclarent que pour équilibrer le système électrique tout en respectant les objectifs de décarbonation en 2050, il faudrait adapter la demande à l’offre alors que c’est l’inverse qui a fait ses preuves. En d’autres mots, les populations et les entreprises seront soumises à des contraintes liberticides et antidémocratiques (restrictions drastiques et obligatoires de leurs consommations, de la liberté du choix des moyens de déplacement et de transport de marchandises, à des interruptions inopinées de fourniture d’électricité, etc.) et, plus spécialement pour les entreprises, à une bureaucratie gonflée due, entre autres, aux rapports réguliers de conformité de gestion avec les normes nombreuses et en évolution constante accompagnant la transition énergétique.
Les évènements de cette dernière décennie en Europe ont été riches d’enseignement quant aux conséquences de mesures autoritaires prises aux dépens du bien-être des gens, de la compétitivité et de l’économie de manière générale.
(1) https://www.elia.be/fr/publications/etudes-et-rapports#reports
(2) Éléments de base sur l’énergie au 21e siècle, partie 7 : les renouvelables, Jean-Marc Jancovici.
(3) Le recyclage des batteries lithium ion, Ivan Lucas et Antoine Gajan, 1er mars 2021.
(4) « Péril sur l’électricité belge », J.P. Schaeken Willemaers, Texquis, 2018.