De la crise sanitaire dont nous émergeons à peine, au moins provisoirement, les enseignements ne sauraient être tirés sans avoir compris les défis qui nous attendent.
Car c’est en évoluant avec son environnement que s’est perpétuée l’humanité et en affrontant chaque nouvel obstacle qu’elle s’est donné les moyens de répondre à celui qui suivait.
Notre adaptation aux défis à venir est à inventer et non à tirer du passé, dans un élan vital et non un repli frileux.
La nature vient d’illustrer la fragilité de notre condition, et nous interdit d’oublier que si l’infection par le Coronavirus semble pour l’instant sous contrôle, l’avenir reste lourd de menaces.
Car nous resterons exposés aux maladies, mais aussi à la faim, la soif, à la perte de liberté et aux effets inquiétants de la croissance démographique.
Mais contrairement à l’idée répandue par des chants de sirènes, pourtant dans l’air du temps, l’énergie la mobilité et le progrès proposent des réponses autrement plus cohérentes que celles induites par toute forme de décroissance ou de repli.
La maladie
L’économie mondiale a suspendu son vol le temps d’une pandémie au point que l’AIE y avait vu, fin avril, le « plus grand choc depuis plus de sept décennies », dans son analyse de l’impact de la crise sur le système énergétique.
En 2017, l’Organisation mondiale de la santé(OMS) publiait pourtant une mise à jour de la mortalité de la grippe saisonnière, qu’elle estimait être responsable de 290 000 à 650 000 décès par an. C’est pourquoi, avec « seulement » 589 695 décès confirmés au 17 juillet, selon l’excellent site « Our World in Data », on peut s’étonner d’un tel impact du Coronavirus.
Mais la saturation des systèmes de santé, provoquée par la rapidité de transmission et la durée des hospitalisations en soins intensifs, ont appelé des mesures exceptionnelles.
Ce qui doit rappeler que le risque 0 n’existe pas et que la survie de notre espèce dans un environnement dont les mutations remontent à la nuit des temps dépend du dynamisme de son adaptation.
Cette pandémie était prévisible, et notamment annoncée en 2015 par Bill Gates, qui avertissait, lors d’une conférence au caractère prophétique, que nous n’étions pas prêts, et que le pire ne manquerait pas de se produire si un nouveau virus combinait rapidité de contagion avec gravité des symptômes.
Le bilan humain des grandes épidémies du passé justifie en effet la nécessité de tout mettre en œuvre pour être en mesure d’affronter l’émergence de nouveaux agents pathogènes.
La grande peste noire du moyen âge aurait en effet tué entre le tiers et la moitié de la population de l’Europe après avoir sévi en Chine et en Asie Centrale. Ce qui montre d’ailleurs que les échanges internationaux de l’époque étaient déjà suffisants pour diffuser rapidement une pandémie à l’ensemble du monde connu, sans qu’il soit nécessaire d’incriminer de quelconques dérives de la mondialisation.
Plus près de nous, la grippe espagnole, en réalité d’origine également asiatique, n’a épargné aucune région du globe en tuant cinquante millions de personnes, soit 100 fois plus que le Covid-19.
Les agents pathogènes nous défient dans un combat perpétuel lié à leur aptitude à muter en interaction avec leur environnement. En février 2017, l’OMS publiait notamment une une liste des bactéries contre lesquelles il était urgent de trouver de nouveaux antibiotiques.
D’autre part, si le contact avec ces agents pathogènes permet une relative immunité grâce au développement d’anticorps, tout nouvel agent nous laisse démuni, comme ce fut le cas avec les salmonelles importées par les conquistadors en même temps que leurs animaux, et qui semblent avoir été la cause de la mort de millions d’Aztèques par la fièvre typhoïde.
C’est d’ailleurs ainsi que nos aïeux du Néolithique, lors de leur domestication de la « pentade de Pandore » (bœuf, mouton, chèvre, porc et chien), furent affectés par les premières épidémies de l’humanité.
Plus près de nous, un filovirus du nom d’Ébola sévit en Afrique depuis 2014, en provoquant des fièvres hémorragiques dont le taux de mortalité, selon les vagues épidémiques peut atteindre 90%. Fort heureusement, son degré de contagiosité est bien inférieur à celui de notre coronavirus (Sars-CoV-2) et notamment infiniment moindre que celui de la rougeole que les progrès de la médecine ont su enrayer.
Mais on imagine le bilan humain d’un nouveau virus combinant contagiosité de l’un avec létalité de l’autre, et dont la transmission pourrait être d’autant plus insidieuse que certains porteurs seraient asymptomatiques.
Sans oublier l’éventuelle libération de virus très anciens et réputés éradiqués, à l’occasion de la fonte du pergélisol, ainsi que cela semble avoir été le cas pendant l’été sibérien de 2016. [1]
Il est souvent considéré de bon ton de se défier des progrès de la science en prônant le retour à la nature et le renforcement des défenses individuelles naturelles. Mais il faut alors en rappeler le corolaire qui est la participation à la circulation des agents pathogènes dont certains sont susceptibles d’anéantir une moitié de l’humanité.
La faim
C’est avec l’évolution des techniques agricoles et des transports des récoltes que la famine a disparu d’Europe.
En France, certains courants de l’écologie politique tels que la France Insoumise, prétendent aujourd’hui « rompre avec la mécanique et la chimie en agriculture», [2] et proposer ainsi du travail pour tous, sans recours au pétrole ni aux produits phytosanitaires.
Mais en oubliant le véritable esclavage de la condition paysanne d’autrefois ainsi que les ravages épisodiques des cultures, notamment par les insectes que le réchauffement du climat rend d’autant plus voraces en riz maïs et blé. Privée de la mécanisation et des produits phytosanitaires l’agriculture peinerait demain à nourrir le pays.
Un rapport du Sénat de 2019 [3] alertait en effet sur la décroissance de la balance commerciale de l’agriculture française qui menace la fin de notre autosuffisance dès 2023.
La surface agricole a chuté de 17% depuis 1961 et la sur-réglementation est pointée dans ce rapport parmi les responsables de sa perte de compétitivité.
Alors même que les produits importés ne répondent pas à ces normes.
France Stratégie dénonce également cette réduction importante et régulière de l’espace naturel agricole et forestier (ENAF) et son artificialisation sous la pression de l’urbanisation [4].
L’espace naturel, désormais affecté par la voracité des énergies renouvelables, constitue pourtant le bien le plus précieux. Faut-il donc rappeler qu’il n’est pas renouvelable lui-même ?
Malgré ces éléments, notre génération de bien nourris a fait de l’«agribashing » un sport national, et semble ignorer que l’agriculture française est régulièrement primée [5] en tant que modèle le plus durable au monde tandis que nous la sabordons allègrement au moment même où une dangereuse dépendance alimentaire se profile.
La soif
Cette pénurie d’aliments est d’autant plus à craindre que l’accès à l’eau est appelé à se restreindre.
Selon une publication d’août 2019 du World Ressources Institute, le quart de l’humanité serait déjà confronté à un sévère stress hydrique, c’est-à-dire qu’il disposerait de moins de 1700 mètres cubes d’eau par an et par personne pour l’activité humaine, agricole, industrielle et environnementale.
Quelles que soient les causes des modifications du climat, il faut voir dans l’accès à l’eau le principal défi des années à venir. L’accélération de ce bouleversement, annoncé par le GIEC, ne permettrait à personne de s’en croire à l’abri.
La technologie ouvre cependant la voie à la désalinisation de l’eau de mer et à son transport avec d’autant plus de pertinence que les océans seraient alors supposés submerger les côtes. Quelle que soit l’ampleur du chantier, l’énergie en est la clé, comme elle l’est pour la mécanisation de l’agriculture ou le transport de ses récoltes.
Car il ne conviendrait pas de s’obstiner sur une autonomie alimentaire ou hydrique de chaque territoire si une réponse plus rationnelle peut être trouvée dans la coopération entre tous.
Spécificités, coopération et solidarité
En effet, des spécificités locales doit naître une coopération dont mobilité et énergie sont les fondements. Il ne convient pas davantage de construire des barrages hydroélectriques en plaine au nom de l’autonomie d’un territoire qu’il ne serait sensé d’imposer aux montagnards de gérer leurs propres conserveries de poissons.
La coopération est un contrat qui met au profit de la collectivité les spécificités de chacun.
Elle ne doit pas être confondue avec la solidarité, qui est une valeur morale de mise au service des autres. Car aussi noble que soit cette valeur, l’organisation économique et sociale ne saurait faire dépendre ses fondements de sa permanence. Et l’histoire, même récente, est riche en désillusions quand survient la pénurie, qu’il s’agisse de produits de première nécessité, de masques ou de sécurité électrique entre États. [6]
Ce n’est pas sur la solidarité que doit miser un gouvernement avisé, même entre États prétendus alliés. La sécurité alimentaire même ne saurait y faire exception.
Bill Gates proposait en 2015 de mettre en place un corps de réservistes médicaux disponibles pour être répartis sur le territoire en cas de pandémie. La Chine a surpris le monde entier en construisant un hôpital à Wuhan en à peine 10 jours. L’une comme l’autre de ces solutions réclame la coopération au sein de structures centralisées.
Mobilité et disponibilité de l’énergie en sont les bras armés.
Mobilité et énergie
Pour autant, la problématique de la mobilité est déformée par le prisme des énergies fossiles sur lequel elle butte aujourd’hui. A la fois en raison du spectre de l’épuisement de celles-ci et de leur impact sur l’environnement. En tout état de cause, les analyses se multiplient pour montrer que l’accès au pétrole posera à court terme un problème majeur. Celle de juin du « Shift Project » détaille cette menace de « contrainte forte » en Europe pour la décennie en cours.
Pour autant, imagine-t-on sérieusement le génie humain incapable de développer d’alternative pour se déplacer en cas de d’épuisement du pétrole ? Les aléas de son approvisionnement ont notamment amené l’armée à s’en affranchir par le développement de la propulsion nucléaire de ses sous-marins depuis plus d’un demi-siècle.
Et si l’énergie peut aussi servir à piller les ressources naturelles, notamment des océans, ce n’est pas la mobilité en soi qui est une menace, ainsi que certains le professent, si l’énergie utilisée reste largement disponible et neutre sur le plan environnemental.
Mais, délaissant toute recherche dans une alternative propre et pérenne, les grands groupes pétroliers ont choisi la facilité des investissements dans la production généreusement subventionnée des énergies renouvelables dont le retour sur investissement est garanti.
Quelle que soit leur efficacité.
L’histoire montre pourtant que les bonnes idées s’imposent d’elles mêmes après une éventuelle courte période de subventions pour en faciliter la mise en place. L’entêtement à injecter aujourd’hui tant d’argent public dans des technologies séculaires, comme l’éolien, ne saurait faciliter les conditions nécessaires à l’émergence des alternatives aux énergies fossiles, d’autant que celles-ci restent indispensables pour pallier son intermittence.
C’est au nom du progrès qu’ont été retirées de nos villes les infrastructures permettant aux tramways de fonctionner à l’électricité. Ces tramways font un retour en force et leur version moderne peut même désormais se dispenser de caténaires grâce à une alimentation électrique sans fil. [7]
Rappelant ainsi que si les batteries semblent poser un problème majeur à la mobilité électrique, le moteur électrique lui-même, qui reste 3 fois plus efficace que le moteur thermique, peut aussi contourner la question du stockage de l’électricité.
L’énergie, nerf de la guerre
Agents pathogènes, déficit hydrique, montée des océans ou famine, de grands périls menacent l’humanité. Ces menaces ne sont ni pires ni moindres que celles qu’ont affrontées nos ancêtres. Et depuis la nuit des temps notre espèce déploie des trésors d’ingéniosité, de mobilité, de courage et d’énergie pour survivre.
L’évolution technologique, et son corolaire : l’énergie, nous confèrent désormais un avantage déterminant, ainsi que l’illustre la vitesse stupéfiante de la Chine pour séquencer le génome d’un nouveau virus, construire des hôpitaux et produire le matériel et les structures nécessaires pour détecter et prendre en charge tout nouveau cas. Car si l’énergie peut être utilisée pour détruire ou piller des richesses naturelles, elle permet aussi de rendre potable et transporter l’eau des océans, de nourrir l’humanité par une agriculture raisonnée, de transporter les malades fabriquer rapidement des médicaments en quantité ou construire des hôpitaux.
C’est aussi l’énergie qui permet aux États de résister aux politiques expansionnistes, notamment de la Chine.
Mise à part la question de son usage, qui peut ainsi en faire la meilleure ou la pire des choses, cette énergie doit répondre à 2 défis : celui de son impact sur l’environnement et celui de la sécurité de son approvisionnement.
Après que des tests aient été réussis sur 700 000 m2 de chauffage résidentiel en cogénération grâce à la récupération de la chaleur des 2 réacteurs nucléaires de Hayang, la presse chinoise vient d’annoncer le démarrage de la 2ème phase de l’opération avec le chauffage de 30 millions de m2. [8]
Le même article évoque les horizons du nucléaire chinois, aussi bien par la réussite de son homologue de notre EPR : le Hualong one, que les progrès de ses travaux sur la 4ème génération nucléaire, permettant à la fois de résoudre la question d’approvisionnement en uranium tout en facilitant amplement le traitement de celle des déchets.
Malheureusement, une certaine écologie racole ses adeptes en flattant les archétypes les plus archaïques de l’inconscient collectif, à travers la mise en valeur de l’autarcie et du repli sur une activité locale. Elle condamne à la fois l’énergie, la mobilité ainsi que les progrès de la technologie en brandissant la menace d’un effondrement notamment lié à la démographie.
La croissance infinie
Depuis 2 siècles, les avancées de l’hygiène et de la médecine ont considérablement allongé la durée de vie, et multiplié par 7 une population mondiale qui ne comptait pas plus d’1 milliard d’habitants en 1800. Pour autant, la vitesse de cette croissance a brusquement ralenti à la fin des années 1960 en raison des politiques de baisse de natalité qui ont accompagné les progrès économiques. Ramenant la moyenne mondiale à 2,4 enfants par femme aujourd’hui contre le double dans les années 1950. Ce taux de fécondité est même désormais inférieur à 2 en Europe (1,61) aux États-Unis (1,77) ou en Chine (1,70) selon l’Institut national d’études démographiques. Seule la natalité de l’Afrique, avec une moyenne de 4,22 et notamment 6,74 au Niger, alimente encore une croissance démographique mondiale qui ne devrait se stabiliser qu’autour de 2100, avant de décroître inexorablement.
Et il faut y voir l’illustration du fait que la population n’augmente plus actuellement que dans les régions les plus déshéritées, auxquelles l’évolution technologique et la disponibilité de l’énergie font précisément défaut. Et non l’inverse.
Ce qui contraste singulièrement avec le message que voudraient faire passer les chantres de la décroissance.
Le temps des poètes
Mais il est constant que, sourde aux discours rationnels, l’opinion est d’autant plus sensible au chant des sirènes que nos nouveaux poètes l’ornementent d’épithètes creux et racoleurs tels que « solidaire », « responsable », « durable », « positif », « local » ou notamment « renouvelable », dont le concept même, archaïque, ambigu et trompeur, corrompt toute réflexion de fond à son sujet [9].
Et permet du même coup de présenter les énergies qui s’en prévalent comme un but en soi tout en évitant d’avoir à expliciter des atouts douteux destinés à une cause mal cernée, en l’occurrence, décarboner à grands frais un système électrique qui l’est déjà pour 95% de sa production depuis ¼ de siècle [10].
Ce chant des sirènes s’engouffre dans la brèche laissée par la religion, ainsi que l’avait perçu André Malraux lorsqu’il écrivait : « Je pense que la tâche du prochain siècle (…), va être d’y réintégrer les dieux ». Et décrivait ces dieux « sous une forme aussi différente de celle que nous connaissons, que le christianisme le fut des religions antiques », mais des dieux nécessaires, tels des « torches une à une allumées par l’homme pour éclairer la voie qui l’arrache à la bête ».
Les conditions de notre survie interdisent aujourd’hui que le culte de Gaïa puisse remplacer la raison.
Elles interdisent que le mythe de la « croissance infinie dans un monde fini » puisse remplacer l’élan vital par un repli frileux.
2 https://www.dailymotion.com/video/x7u8zpd
3 http://www.senat.fr/rap/r18-528/r18-528_mono.html
5 https://agriculture.gouv.fr/lagriculture-francaise-primee-modele-le-plus-durable-du-monde
8 http://news.bjx.com.cn/html/20200430/1068437.shtml
10 http://lemontchampot.blogspot.com/2019/01/2019-la-fuite-en-avant.html
« Quelles que soient les causes des modifications du climat, »
Que voulez-vous dire ?