L’information a fait récemment grand bruit (1) : des sourciers géobiologues sont sollicités dans les campagnes pour intervenir sur les chantiers d’éoliennes, parfois même, ils sont prescrits par les chambres d’agriculture. Leur mission rechercher « de supposés « courants telluriques » qui perturberaient les bovins » aux pieds des éoliennes. Pour expliquer cette tendance nous avons pu interviewer Sébastien Point, ingénieur dans la recherche académique, Docteur-ingénieur en physique, licencié en psychopathologies, cet expert, auteur de nombreux articles et ouvrages sur les sujets liés au rayonnement et santé a bien voulu répondre à nos questions
The European Scientist : Présence de sourciers géobiologues, recours au Pneumatit pour les socles en béton, que se passe-t-il sur les chantiers d’éoliennes et dans les fermes riveraines ? Pouvez-vous nous expliquer ces pratiques qui ont marqué l’actualité récente ?
Sébastien Point : Il se passe quelque chose que vous m’aviez donné l’occasion de dénoncer dans ces colonnes, voilà trois ans déjà, dans un article intitulé « Des parlementaires à l’école des sorciers » : la progression de l’influence, auprès des éleveurs et agriculteurs, mais également auprès des élus ruraux et des collectivités territoriales, de la géobiologie, une pseudoscience dont les praticiens prétendent pouvoir détecter et chasser les « mauvaises » ondes, énergies ou tensions qui seraient issues de prétendues cheminées cosmo telluriques ou autres failles géologiques ou encore d’installations comme les antennes de téléphonie, les postes électriques, ou les éoliennes.
Les géobiologues proposent ainsi aux éleveurs, en amont d’un aménagement ou lorsque ceux-ci sont en difficulté à cause de maladies apparues dans leurs cheptels, de réaliser un diagnostic des lieux, dont ils tirent ensuite un rapport et des recommandations ; certains mettent en place des actions curatives ou préventives. Leur intervention peut être sollicitée par les éleveurs eux-mêmes – ce que l’on peut regretter mais qui relève finalement de choix personnels. Mais ce qui est très problématique, c’est que de nombreux géobiologues sont mandatés- sinon employés- par les chambres d’agriculture pour aller pratiquer leur sorcellerie auprès des éleveurs.
La géobiologie n’est pas nouvelle mais elle s’installe ainsi durablement dans le paysage et se réinvente constamment, comme toute pseudoscience libérée de la nécessité de prouver ce qu’elle affirme : par exemple, récemment, comme vous le mentionnez, des géobiologues ont conseillé l’ajout d’adjuvant au béton destiné à couler les socles d’éoliennes ou les fondations des bâtiments d’élevage, afin de « vivifier » ce béton et le rendre « bienfaisant »…
TES : Selon vous “La géobiologie n’est qu’une pseudo-science qui enrobe sa nature ésotérique d’un jargon scientifique et de pseudo-mesurages scientifiques”. Pourquoi les éleveurs ont-ils recours à ces solutions ?
SP. : Effectivement, la géobiologie est une pseudoscience, parce qu’elle détourne et aliène des notions scientifiques, en inventant par exemple des pseudo champs d’énergie, comme les champs de torsion ou les réseaux géo telluriques qui n’ont aucune réalité en physique ou en géophysique. Dans le prolongement de l’utilisation de ces notions scientifiques travesties ou aliénées, l’utilisation d’instruments de mesure lui confère même un aspect pseudo expérimental. Mais ne nous y trompons pas, la géobiologie n’a pas été construite suivant la démarche expérimentale et rien ne la distingue fondamentalement des autres pratiques ésotériques basées sur la pensée magique. D’ailleurs, faute de pouvoir passer à travers les fourches caudines de la validation expérimentale, les géobiologues arguent souvent que leur discipline est basée sur la sensibilité personnelle du praticien, son ressenti, sa vision intérieure : c’est commode, car rien ne permet d’infirmer des notions aussi subjectives. Ceci dit, ça ne répond pas à votre question : pourquoi les éleveurs ont-ils recours à ces solutions ?
Les problématiques rencontrées par les éleveurs , pour lesquels ils consultent un géobiologue, peuvent être très diverses : mammites, baisse de productivité, etc.. les causes peuvent être variées, les problèmes multifactoriels. C’est complexe. Face à cela, je dirais que le discours des géobiologues se maquille des mots de la science pour se donner l’apparence de la probité , ce qui contribue certainement à convaincre les gens du sérieux de la démarche et à leur donner le sentiment de comprendre ce qui leur arrive. Et en leur proposant des solutions simplistes, les géobiologues rendent leurs clients acteurs et leur donnent sans doute une forme d’espoir. On est proche de l’abus de confiance, me semble-t-il… Il ne faut d’ailleurs pas oublier que les géobiologues sévissent aussi auprès des particuliers, en amont de la construction de leurs maisons ou bien pour traiter des symptômes, très souvent non spécifiques, qu’ils parviennent fallacieusement à relier à leurs cheminées cosmo telluriques imaginaires ou à la présence d’une antenne ou d’une éolienne à proximité. Certains flirtent dangereusement avec l’exercice illégal de la médecine ou les pratiques sectaires, et ça n’est pas pour rien que la miviludes s’y intéresse.
TES. : Où en est le bilan des connaissances scientifiques concernant l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage demandé par l’OPECST ? Comment expliquez-vous que des politiques fassent confiance à une discipline telle que la géobiologie pour résoudre ces problèmes ?
S.P. : Il n’y a pas d’élément aujourd’hui qui permette de mettre en cause un quelconque effet des champs électromagnétiques rencontrés communément sur la santé des animaux – pas plus que sur celle des Hommes. Les niveaux d’exposition restent faibles, très en deçà des seuils qui provoqueraient le début d’un effet biologique… c’est un fait, sauf pour les géobiologues qui voient des mauvaises ondes à chasser partout ! Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir un problème électrique qui dérange les bêtes d’un élevage : des fuites de courants à la terre depuis un poste électrique, de mauvaises liaisons équipotentielles sur une exploitation… mais on est là dans le registre pur de la sécurité électrique qui relève de la compétence… de l’électricien.
Le problème, très profond me semble-t-il, que je soulignais en 2021, lorsque je reprochais à l’OPECST d’avoir auditionné des géobiologues comme experts et souligné dans son rapport (2) leur rôle croissant en réponse « aux angles morts de la science », c’est celui-ci : comment des parlementaires peuvent-ils autant s’égarer sur les chemins de la crédulité et y perdre le sens de la plausibilité? Je rappelle que, parmi les solutions que les géobiologues préconisent pour lutter contre les mauvaises ondes et autres énergies négatives qu’ils inventent, il y a l’accrochage d’étoiles en PVC protectrices sur les murs ou encore la dispersion de poudre de perlimpinpin… Savez-vous comment est fabriqué ce béton Pneumatit dont les géobiologues préconisent l’utilisation pour les ouvrages en béton ? En mélangeant des fragments de coquilles, des ailes de papillons, des herbes, le tout en lisant la Bible et en allumant des bougies !
Voir une telle magie prospérer dans les esprits, recevoir la bénédiction de chambres d’agriculture ou d’élus, vraiment, c’est assister à la défaite de la raison. Comment je l’explique ? Par la crédulité ; ou par la complaisance à l’égard de la géobiologie pour des raisons purement électoralistes : j’imagine qu’il peut être de bon ton pour un élu rural de montrer qu’il se préoccupe des problèmes des citoyens, fusse en faisant appel à des marabouts…
Vous me demandez où en est la situation ? J’avais, en 2021, échangé avec des membres de l’OPECST pour les exhorter à laisser la géobiologie et son cortège de formules magiques en dehors des travaux d’évaluation des effets des champs électromagnétiques sur les animaux d’élevage. C’est resté lettre-morte car j’ai constaté qu’un autre rapport (3), datant de 2023, établi cette fois par des hauts fonctionnaires pour le ministère de l’agriculture, préconise que la recherche investisse le domaine de la géobiologie et regrette qu’elle soit « largement décriée par bon nombre d’organisations scientifiques qui refusent de s’y intéresser ». Certaines hautes sphères de l’état continuent donc sciemment de s’enfoncer dans le marécage ésotérique…Mais la recherche scientifique a autre chose à faire que d’y sombrer avec elles.
TES.: Cournot défendait la thèse selon laquelle la civilisation rationnelle accéderait à un progrès indéfini et que la phase historique est transitoire entre la période ethnique et ce stade de civilisation. Ne peut-on pas dire qu’on assiste à une forme de retour de l’ethnicité avec toutes ces croyances ? Comment y faire face ?
S.P. : Je n’ai pas la prétention d’être capable d’analyser la réémergence des pseudosciences au prisme de la philosophie. Et votre question est sans doute plus pertinente que ne le sera ma réponse. Néanmoins, je constate deux choses : premièrement, nous assistons me semble-t-il à une multiplication et une diversification sans précédent des pseudosciences et des pseudothérapies, rendues possibles par les nouveaux moyens de communication, mais aussi sans doute parce que la fibre religieuse des humains vient, en occident tout au moins, d’être laissée libre par les grandes religions. C’est Chesterton qui disait que depuis que les hommes ne croyaient plus en Dieu, ils étaient prêts à croire en tout… cela inclut les croyances ancestrales, qui entrainent parfois un repli sur des formes archaïques de connaissances et le retour à une sorte, c’est vrai, d’ethnicité. Ce n’est pas un hasard si, par exemple au Canada, certaines populations autochtones réclament l’introduction, dans la physique, qui doit être pourtant universelle, de leur savoir traditionnel, dans le cadre d’un mouvement insensé de « décolonisation de la science »…
Pour y faire face, il faut repenser et massifier l’enseignement de la compétence scientifique, et je ne parle pas de la simple maîtrise des mathématiques. La compétence scientifique, c’est autre chose qu’un simple talent pour la manipulation des équations : c’est la compréhension profonde de la nature de la science, de son fonctionnement ; il faudrait donc, je le pense, introduire trois choses fondamentales, du collège jusqu’à l’université : l’enseignement de l’épistémologie des sciences, pour en comprendre la nature, l’enseignement de l’esprit critique, par la lecture de penseurs rationalistes, et enfin, l’enseignement de la notion de plausibilité, qui, si elle était maîtrisée, permettrait à tout à chacun de débusquer les discours pseudo-scientifiques et autres croyances ésotériques et d’éviter, comme certains de nos élus, d’en faire la promotion…
(2) http://www.senat.fr/rap/r20-487/r20-4871.pdf
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