Alors que nos concitoyens aspirent à des vacances bien méritées mais qu’une nouvelle vague de COVID 19 pourrait venir perturber leur programme estival, en coulisse un vent de panique souffle dans les chancelleries européennes. Et pour cause ! La Russie a décidé de réduire significativement ses exportations de gaz vers l’Union Européenne notamment via le gazoduc Nord Stream 1 qui ne débite plus qu’à 40% de sa capacité. Après les restrictions imposées à l’historique Brotherhood (via l’Ukraine) puis au controversé Yamal (via la Biélorussie) les exportations de gaz russe vers l’Europe ont ainsi été réduites de près de 60%. En conséquence, dix pays directement concernés ont activé leur premier niveau d’alerte.
Embargos manqués
Juste après le déclenchement du conflit Russo-Ukrainien, l’Europe avait « bombé le torse » en menaçant la Russie d’un embargo (jamais appliqué) sur les importations de gaz, puis décrété un double embargo sur le pétrole et le charbon. Mais, le maître du Kremlin ne l’entend pas de cette oreille et veut rester « maître des horloges ». Plutôt que d’attendre un embargo hypothétique, Vladimir Poutine a d’abord imposé aux pays « inamicaux » de régler leur gaz en Roubles sous peine d’être privés d’approvisionnement. En refusant de se conformer à ces nouvelles règles de paiement, la Pologne, la Bulgarie, les Pays-Bas, le Danemark et la Finlande ont vu leur approvisionnement s’arrêter. Premier avertissement. Ayant conforté ses exportations de pétrole vers la Chine et l’Inde, tous deux non-signataires de la résolution de l’ONU, il met maintenant les européens au pied du mur en inversant le sens de l’embargo gazier. Second avertissement. Il sait qu’en agissant de la sorte, il va de facto diviser des Nations Européennes dont les situations gazières sont très différentes.
Pénuries vs stocks stratégiques
Confrontés à cette réduction drastique d’approvisionnement, de nombreux pays européens seront incapables de remplir leur stock stratégique pour l’hiver prochain qui arrive à grands pas et s’annonce très tendu. En cas de pénurie, les prix du gaz qui ont déjà touché des sommets (135€/MWh fin de semaine dernière) pourraient atteindre des niveaux stratosphériques.
Pour palier la prévisible pénurie (40% du gaz européen est importé de Russie !), les européens ont réagi avec trois séries de mesures. Suffiront-elles à court terme ?
La première est d’essayer par tous les moyens de remplir les stocks stratégiques nationaux d’ici début novembre. Permettant à l’Europe de tenir environ trois mois, ce remplissage serait principalement effectué à partir de Gaz Naturel Liquéfié en provenance du Qatar, d’Australie et des Etats-Unis (gaz de schiste). Pour accroitre leur capacité de regazéification, certains pays dont la France et l’Allemagne comptent mettre en œuvre à la hâte des terminaux méthaniers flottants plus économiques mais surtout beaucoup plus rapides à construire que les terminaux méthaniers terrestres. Encore faut-il que l’Europe puisse importer suffisamment de GNL pour remplir ses stockages alors que le marché mondial est aujourd’hui saturé. Sachant que 5 pays (dont la France) cumulent à eux seuls les trois quarts de la capacité de stockage, il s’agira aussi d’un test vraie grandeur de la solidarité européenne : en dépit d’un engagement de consacrer 15% des volumes stockés au profit des Etats Membres ne disposant pas de stockage, les stockeurs sont-ils prêts à assumer politiquement vis-à-vis de leurs opinions publiques le partage du gaz en cas de pénurie ? Enfin, les prix très élevés du gaz n’encouragent pas aujourd’hui à stocker mais à vendre : les stockeurs n’assumeront pas le risque sans la garantie des Etats. Achats groupés, mise en commun de ressources et solidarité, tout cela n’est pas sans rappeler la saga européenne des vaccins durant l’hiver 2021 !
Centrales à charbon à plein régime
La seconde mesure consiste à réouvrir le maximum de centrales à charbon pour minimiser l’utilisation du gaz dans la génération électrique. Allemands, Hollandais et Autrichiens ont annoncé vouloir utiliser leurs centrales à charbon à plein régime cet hiver. Les objectifs climatiques attendront ! Pour une fois grâce à sa génération électrique nucléaire mais aussi à ses quatre terminaux de regazéification, la France est dans une situation beaucoup plus favorable que nombre de ses confrères européens.
En parallèle de ces deux mesures, économiser l’énergie tant pour les particuliers que pour les entreprises et les administrations représente un levier majeur permettant de passer l’hiver dans des conditions acceptables. Des efforts mesurés devraient permettre d’économiser assez aisément 10% de consommation.
Conscients qu’une pénurie d’énergie se dessine, les trois grands énergéticiens français (TotalEnergies, EDF & Engie) ont lancé un appel aux économies d’énergie dans les transports et l’habitat. Des efforts mesurés devraient permettre d’économiser assez aisément 10% de consommation.
Exploration gazières précipitées
A moyen terme, au grand dam de la Commission, de nombreux pays européens souhaitent relancer l’exploration et le développement de champs gaziers sur leur territoire pour mettre fin à la dépendance au gaz russe.
Ainsi, allemands et hollandais ont débloqué en quelques jours un projet de forage gazier off-shore en Frise. L’activité pourrait être également relancée en Italie où des réserves significatives sont actuellement « verrouillées par la loi ». Le ministre de la Transition écologique, Roberto Cingolani, a qualifié « d’erreur historique » la réduction de la production domestique italienne de 20 % en 2000 à 3 % en 2020. Tous les regards se tournent aussi vers la Roumanie dont les réserves off-shore en Mer Noire sont significatives. Jusqu’en avril, ces réserves étaient bloquées. La coalition au pouvoir souhaite modifier la loi pour permettre aux investisseurs d’exploiter les réserves. Même stratégie en Slovaquie : malgré l’opposition des écologistes un projet de développement gazier gelé dans le passé sous la pression des écologistes pourrait être relancé. Quant à la Norvège (second fournisseur de l’Union), elle a accepté d’accroitre sa production pour aider l’Union Européenne à se passer du gaz russe
La France dispose de son côté d’un potentiel gazier certain à la fois conventionnel mais surtout non conventionnel (gaz de schistes). Les différentes lois votées sous les précédentes mandatures interdisent aujourd’hui la fracturation hydraulique mais aussi l’exploration et le développement de nouveaux champs d’hydrocarbures.
La guerre russo-ukrainienne a bouleversé les certitudes européennes ancrées autour du green deal. Mis au pied du mur par les faits, le vieux continent est-il prêt à réviser ses certitudes idéologiques sous la pression de ses opinions publiques. Nucléaire pour les Allemands ou encore gaz de schistes pour les Français, les prochains mois devraient répondre à nos interrogations.
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