Cet article est une collaboration avec la revue Progressistes.
Nous vivons dans une société où il est devenu « naturel », y compris pour nos aînés, de surfer sur Internet, et tout aussi « naturel » de bénéficier, à l’aide d’un simple interrupteur, des avantages d’un chauffage, d’une climatisation et d’autres serviteurs électriques et électroniques. De même, les images des sondes spatiales envoyées sur Mars ou sur Saturne ne semblent plus vraiment relever de l’exploit technique et ne nous émerveillent plus. Néanmoins, sous leur apparente banalité, les objets du quotidien cachent des prouesses technologiques majeures. Ils traduisent une connaissance profonde du monde réel, rendu possible par la démarche scientifique. Ils sont la preuve de la supériorité du discours scientifique sur tous les autres pour comprendre le réel et en particulier sur les discours religieux concernant le Monde.
Dans le même temps, les cultes de déraison ne se sont jamais aussi bien portés : les sites de voyance par Internet sont florissants, l’astrologie est largement répandue dans les media et l’homéopathie est remboursée par la Sécurité Sociale. Tout ceci est d’autant plus incompréhensible que ces domaines reposent tous sur des principes en contradiction avec les lois de la physique les plus solidement établies.
Pourtant, par un étrange retour des choses, les pseudo-sciences et autres pseudo-médecines constituent un formidable terrain pour (re)découvrir la Science et la méthode scientifique…
De bric et de Broch…
Dans les années 1970-80, un scientifique s’intéresse aux phénomènes « paranormaux » et les teste à l’aide de la démarche scientifique. Il s’agit du Professeur Henri Broch. Il va chercher à vérifier la véracité de ces phénomènes pendant des années et en tire deux conclusions : leur existence n’est pas démontrée, et, les étudier a un grand intérêt pour enseigner la démarche scientifique…
Les Hommes, documents et méthodes du « paranormal »
Tout d’abord, l’étude du domaine « paranormal » renseigne sur les comportements des « tenants », ces personnes qui considèrent pour vrais ces phénomènes hors réalité. Henri Broch observe qu’elles ont des comportements de croyants : rien ne peut les faire changer d’avis sur ce qu’ils tiennent pour vrai, à l’inverse du scientifique qui ne cesse de remettre en question et vérifier ses certitudes à chaque nouvelle découverte ou nouveau constat contradictoire.
Ensuite, il constate que les productions « paranormales » présentent des similitudes qui les caractérisent. Généralement, elles transgressent des connaissances scientifiques les plus solidement établies, comme dans le cas, par exemple, de divers « miracles » tels que le « sang » de Saint Janvier à Naples, ou celui du « Suaire » de Turin pour ne citer que les plus répandus. Dans le monde « para », plus l’explication du phénomène est nébuleuse, incohérente et mystérieuse, plus elle est considérée comme Vérité… à l’inverse du monde de la Science, dans lequel la cohérence et le respect des connaissances antérieures sont constamment recherchés.
Enfin, restent les méthodes. Henri Broch identifie des lignes de démarcations claires, qui vont de la naïveté à la simple incompétence, en passant par la fraude ou la possibilité de fraude. Par exemple, des confusions entre les notions de corrélation et de causalité : constater la présence d’un briquet dans la poche d’un malade atteint d’un cancer du poumon (corrélation) ne signifie pas que le briquet cause de manière « paranormale » le cancer du poumon (causalité)…
D’où la Zététique…
L’utilité paradoxale des pseudo-sciences apparaît maintenant clairement : en montrant ce qui n’est pas Science, elles contribuent à guider la démarche critique vers ce qui est Science. Plus encore, elles procurent un support stimulant. Henri Broch a donc systématisé tout cela en une démarche qu’il a appelée Zététique. Elle repose sur deux catégories de recommandations, les facettes et les effets.
Les facettes sont des principes généraux à respecter dans toute démarche critique, ou action qui se veut respectueuse de la méthodologie scientifique.
Les effets sont des erreurs ou biais de raisonnements qui, lorsqu’on les repère dans un discours, permettent d’en évaluer la qualité. Vous en trouverez quelques exemples dans l’encadré qui suit ce texte.
Reste maintenant à pratiquer…
À ce propos, plusieurs ressources sont disponibles : celles du laboratoire de zététique de l’université de Nice – Sophia Antipolis, ou encore, sur internet, les productions remarquables de la chaîne La tronche en biais, prix Diderot 2016. Sur le plan européen : le mouvement initié à Londres par le Docteur Scott Campbell en 1999, Skeptics in the Pub : il s’agit, autour d’un verre, d’échanger sur des sujets tels le créationnisme ou les Ovni par exemple, souvent après intervention d’un orateur compétent sur le sujet.
Vous n’avez maintenant plus d’excuses pour ne pas pratiquer…
Quelques effets de la zététique
L’effet Puits
Vous avez besoin que les autres personnes vous aiment et vous admirent mais vous êtes tout de même apte à être critique envers vous-même. Bien que vous ayez quelques faiblesses de caractère, vous êtes généralement capable de les compenser. Vous possédez de considérables capacités non employées que vous n’avez pas utilisées à votre avantage. Quelques-unes de vos aspirations ont tendance à être assez irréalistes. Discipliné et faisant preuve de self-control extérieurement, vous avez tendance à être soucieux et incertain intérieurement. Quelquefois vous avez même de sérieux doutes quant à savoir si vous avez pris la bonne décision. Vous préférez un petit peu de changement et de variété et êtes insatisfait lorsque vous êtes bloqué par des restrictions ou des limitations[1].
N’est-ce pas une bonne description de votre personnalité, qui pourrait être émise par un voyant, un horoscope ou un test de personnalité de responsable RH ? Elle surprend et impressionne fortement parce que nous nous y retrouvons alors qu’elle est produite par une personne qui ne nous connaît pas.
Comment est-ce possible ?
En utilisant des phrases vagues, floues voire contradictoires, mêlant tout et son contraire. Ainsi, la phrase « Bien que vous ayez quelques faiblesses de caractère, vous êtes généralement capable de les compenser » en est un parfait exemple : nous avons tous des faiblesses de caractère que nous allons plus ou moins bien compenser. Dès lors, c’est une banalité toujours vraie dans laquelle tout le monde peut se reconnaître. L’absence de contexte particulier permet aussi à chacun de donner le sens qui lui appartient. Par exemple, une phrase comme « Vous allez faire partie des forts » n’a pas de sens sans son contexte : fort en quoi ? En mathématiques ? En sport ? En macramé ? En tartes aux fraises ? En … faiblesse ? C’est ce contexte que chacun ajoutera à ce texte imprécis afin de lui donner un sens particulier (pour lui) et dès lors, se reconnaître.
Il s’agit, en psychologie, de la manifestation de l’effet Forer, du nom du psychologue ayant la première fois testé cet effet en 1948, ou encore, en sciences humaines, de l’effet Barnum. Pour la zététique, elle est dénommée effet puits et s’explique ainsi : plus un discours est vague (profond dans le sens de creux), plus les personnes qui l’écoutent peuvent se reconnaître, et se reconnaître majoritairement, dans ce discours.
Effet Boule de neige : accumuler les détails dans un récit de Ne main
Untel déclare que Machin a dit que Chose avait appris chez Truc que etc. C’est le témoignage de Ne main où chaque intermédiaire rajoute un élément de son cru à l’histoire de départ.
Effet Bipède : prendre l’effet pour la cause
C’est raisonner d’une ferme conviction vers une cause possible, raisonner à rebours. C’est un des effets les plus pervers et des plus difficilement identifiables. Très souvent, il consiste à prendre l’effet pour la cause. Une bonne illustration de cet effet se trouve dans l’affirmation suivante : le fait que nous portions des pantalons prouve que Dieu a voulu que nous soyons bipèdes.
Effet Cigogne : confondre corrélation et causalité
L’Effet Cigogne consiste à, tout simplement, confondre un lien statistique (corrélation) entre deux variables, avec un lien de cause à effet (causalité). L’exemple du briquet, précédemment cité, en est une parfaite illustration.
Quelques facettes de la zététique
Le bizarre est probable
Nous sommes frappés, dans la vie courante, par certaines coïncidences particulièrement stupéfiantes : rencontrer dans le métro un ami d’enfance perdu de vue depuis 20 ans, penser à une personne et apprendre son décès 5 minutes plus tard, etc. Nous attribuons à ces événements une faible probabilité de se réaliser, ce qui les rend d’autant plus extraordinaires. Or, s’il y a effectivement peu de chance qu’un événement extraordinaire précis nous arrive, en revanche il est quasi certain que nous serons tous, dans notre vie, l’objet d’un événement extraordinaire, parce que le nombre des événements perçus comme tels est lui quasi-infini.
L’origine de l’information est fondamentale
Il faut toujours avoir un petit doute sur la validité d’une information tant qu’on n’a pas pu vérifier par soi-même son origine. En effet, on constatera alors souvent que soit l’information rapportée n’est pas l’information d’origine (effet petits ruisseaux), soit qu’elle vient d’informateurs pas toujours compétents dans le domaine (voir ci-après).
La compétence de l’informateur est également fondamentale
L’information a d’autant plus de chance d’être de meilleure qualité qu’elle provient de personnes compétentes dans le domaine concerné. Ainsi, sur de l’astrophysique, nous pourrons consulter Hubert Reeves ou Claude Allègre sur de la géologie. Gare toutefois au glissement du domaine de compétence : toujours garder à l’esprit que l’opinion d’Hubert Reeves sur les pesticides comme celle de Claude Allègre sur le réchauffement climatique ne valent pas plus que celle de Mireille Mathieu sur l’existence des trous noirs…
Pour aller plus loin
Sur la zététique
Henri Broch (1985), « Le Paranormal. Ses Documents, ses Hommes, ses Méthodes », collection Science Ouverte, Le Seuil, Paris.
Georges Charpak, Henri Broch (2002), « Devenez sorciers, devenez savants », Odile Jacob.
Sur les phénomènes paranormaux
Site du laboratoire de zététique de l’Université de Nice-Sophia Antipolis : http://www.unice.fr/zetetique/
Pratiquer la zététique
À Grenoble et ses environs : http://www.zetetique.fr/
Chaîne Youtube La tronche en biais, prix Diderot 2016 : https://www.youtube.com/user/TroncheEnBiais
Skeptics in the Pub : https://www.skepticsinthepub.org
[1] Cette voyance gratuite vous est offerte par Henri Broch : http://webs.unice.fr/site/broch/articles/horoscope_puits.html
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L’esprit critique nous aide à vérifier ce que l’on croit savoir, y compris sur des sujets complexes : http://wiki.reopen911.info/index.php/Résumé_du_débat_sur_le_11_Septembre
« des lignes de démarcations claires »
>> des lignes de démarcation claires
(« démarcation » est indénombrable)
Je préfère ne jamais convaincre ou persuader ce qui destructeur car c’est en dehors des choix profonds des personnes
Selon les principe « analytique » « analogique » « systémique » qui sont trois modes de gestion de l’information qui fonctionnent en simultanée de façon complémentaire à tous les niveaux.
Aucun quotidien français n’en fait mention, le sport est plus important.
Si vous morcelez de façon paradoxale les 3 vision systémique analogique analytique, il y a un risque de passer à coté de l’identification la plus réelle possible des besoins des personnes. très cordialement intégrementent et respectueusement…
Tous dans le même bateau de toute fačon.