La centrale de Fessenheim est amortie financièrement et jugée sûre par l’ASN. Mais sa fermeture forcée entraîne un manque à gagner considérable pour EDF, et donc pour tous les Français, puisque l’État en est actionnaire à 83,7 %. Entre électoralisme, pressions et concessions, petit examen des forces en présence.
La fermeture de la doyenne de notre parc électronucléaire faisait partie des promesses électorales du candidat François Hollande. Le 22 février prochain, ce sera chose faite pour son premier réacteur, et le 30 juin pour le second. Une décision qui coûtera 1 milliard d’euros par an de perte d’exploitation, soit 10 milliards [1] dans l’hypothèse raisonnable d’une prolongation de la durée d’exploitation de 10 ans.
En effet, l’Autorité de sûreté nucléaire considérait encore en 2018 [2] que les performances de la centrale de Fessenheim en matière de sûreté nucléaire la « distinguent de manière favorable par rapport à la moyenne du parc » malgré ses quarante années de service. Mais quarante ans, est-ce trop vieux pour une centrale ? Un petit regard sur ce qui se pratique outre-Atlantique démontre que l’abandon de Fessenheim est une absurdité économique et énergétique. Mais à qui profite de crime ?
Des réacteurs américains exploités de 40 à 80 ans
Aux États-Unis, l’exploitation commerciale des réacteurs nucléaires est régie par l’attribution de licences reconductibles dont la période initiale est de 40 ans. Une première phase dont la durée est déterminée pour une raison explicitement « économique et antitrust » et non en raison d’une quelconque limite « liée à la technologie nucléaire ». [3]
Mais si l’installation satisfait aux normes de sécurité de l’U.S.N.R.C (United States Nuclear Regulatory Commission), le propriétaire peut solliciter une prolongation de 20 ans d’exploitation supplémentaire. À l’issue des 60 ans d’activité ainsi cumulés, une nouvelle licence de 20 ans (subsequent license renewal) [4] peut prolonger son exploitation… à 80 ans.
Ainsi, au 1er septembre 2019, 89 des 97 réacteurs en activité aux États-Unis avaient déjà obtenu leur licence de 20 ans supplémentaires [5] tandis que 5 réacteurs, dont la licence avait été renouvelée, avaient cessé leur activité pour cause économique.
La carte ci-dessous illustre cette situation.
(Illustration U.S.N.R.C.)
Dans le détail : six demandes de prolongation d’exploitation à 80 ans ont déjà été déposées, celles de Turkey Point 3 et 4, de Peach Bottom 2 et 3 et de Surry Units 1 et 2 [4]. Le 5 décembre 2019, l’U.S.N.R.C. délivrait à Turkey Point 3 et 4 la « subsequent licence » autorisant leur exploitation jusqu’à leurs 80 années de fonctionnement [6].
Ces 80 ans doivent être mis en regard avec l’arrêt de Fessenheim après 42 ans d’exploitation. Pourquoi la date de quarante ans fait-elle peur en France, alors qu’aux États-Unis, c’est quasiment la durée minimum pour l’exploitation d’une centrale ?
Le nucléaire français sous pression politique et géopolitique
Mais les centrales nucléaires françaises sont la cible des attaques des écologistes et de certains voisins européens, comme la Suisse et l’Allemagne. Par 2 fois, l’ancienne ministre de l’Environnement, Corinne Lepage, a notamment déposé une plainte contre la centrale du Bugey [7] au nom du canton de Genève.
Et depuis 2014, c’est la ministre allemande Barbara Hendricks qui s’est efforcée de faire pression sur Paris en exigeant la fermeture de Fessenheim « le plus vite possible » [8]. Sans sembler mettre en balance les décès imputés chaque année, en France [9], aux centrales à charbon allemandes.
Une offensive stratégique pour Berlin : l’Allemagne sait pertinemment que toute réduction de notre parc nucléaire améliorera la compétitivité de son charbon, ainsi que l’analyse le rapport franco allemand Agora Iddri [10] « L’Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » qui mentionne, en effet, p 91 : « L’évolution du parc de production nucléaire en France influera sur la rentabilité du parc à charbon en Allemagne. Le nucléaire a un coût marginal plus faible que le charbon, si bien que sa production peut se substituer à celle des centrales à charbon lorsqu’il reste des capacités d’interconnexion disponibles. À l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne est améliorée ».
Un gâchis industriel et un non-sens écologique
Après 40 ans d’activité à Fessenheim, les investissements initiaux sont largement amortis et le prix du combustible représente une part infime du MWh produit. La fermeture de la centrale prive ainsi EDF de revenus conséquents. Mais après avoir été une promesse de campagne du candidat Hollande, cette fermeture était devenue hautement symbolique. Et son exécution conditionne le paysage électoral, à l’instar de la fermeture de Superphénix [11], en son temps.
Alors que la réduction des émissions de CO2 est érigée en priorité nationale, on ne peut que déplorer la fermeture d’une centrale nucléaire en parfait état de fonctionnement. Et ce, alors même qu’une centrale à gaz est construite à Landivisiau [12], en Bretagne : un non-sens écologique.
En effet, selon RTE, chaque MWh produit par de telles centrales (CCG) émet 359 kg de CO2 [13], tandis que c’est grâce au nucléaire, qui n’en émet pas *, que le mix électrique français est décarboné à plus de 90 % depuis un quart de siècle [14].
Enfin, la fermeture de la centrale de Fessenheim est aussi une absurdité du point de vue de la souveraineté énergétique européenne : le nucléaire demeure une industrie puissante et pilotable, capable de répondre rapidement et facilement aux besoins des pays européens. Or, comme le rappelait un rapport de 2018 de la Fédération allemande de l’énergie [15], le vieux-continent est de plus en plus soumis à la menace d’une pénurie généralisée en cas de grand froid et d’absence de vents sur une longue période. Un danger particulièrement pris au sérieux outre-Rhin [16], justement accentué par la fermeture de la centrale de Fessenheim.
C’est ainsi que le véritable sacrifice de la centrale de Fessenheim, pour une raison sans lien avec sa sécurité d’exploitation, est déplorable tant sur le plan économique et environnemental que sur celui de la sécurité européenne d’approvisionnement électrique.
1 https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/fessenheim-une-rancon-electorale-a-221282
3 https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/fact-sheets/fs-reactor-license-renewal.html
4 https://www.nrc.gov/reactors/operating/licensing/renewal/subsequent-license-renewal.html
5 https://www.nrc.gov/reactors/operating/licensing/renewal.html
9 http://lemontchampot.blogspot.com/2016/07/pollutions-allemandes.html
11 http://www.economiematin.fr/news-superphenix-reacteur-nucleaire-fermeture-ecologie-france-riou
13 https://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-co2
14 http://lemontchampot.blogspot.com/2019/01/2019-la-fuite-en-avant.html
Il est très clair que nos gouvernants, comme ceux de l’Allemagne et d’autres d’Europe occidentale sont subjugués pour des raisons électitmŕ par les partis dits « verts ». En fait, ce sont les héritiers des antinucléaires (militaire) viscéraux des années 1960-1970 … zéro souci du climat chez eux …
Fermer des centrales nucléaires qui produisent de l’électricité décarbonée pas cher, alors que l’urgence est climatique, pour implanter de coûteux parcs éoliens qui vont détruire le cadre de vie des français, tout en ouvrant les centrales à gaz et à charbon qui les accompagnent, c’est lunaire.
Pourtant, il suffit de regarder l’exemple allemand pour ne pas faire la même erreur.
Quelque chose me gêne dans cet article par ailleurs complet et intéressant :
il me semble que si c’est bien François Hollande qui avait pris la décision de fermer les deux réacteurs de Fessenheim, cette décision était liée à la mise en route de l’EPR de Flamanville, et à la fin de son quinquennat, en 2017 elle était prévue pour 2018, donc pas encore réalisée.
Par ailleurs, lors de la campagne de 2017, le candidat Emmanuel Macron fit sienne cette promesse et annonça en 2018 que la centrale serait fermée courant 2020. Ce qui fut réalisé.
Alors, cette fermeture, décision de François Hollande ou de Emmanuel Macron ?
J’y vois également une responsabilité partagée. Tout n’a pas été fait pour sauver Fessenheim dont le calendrier était bien lié à celui de Flamanville. On voit aujourd’hui où nous a menés cette absence de courage politique