Au début était le 100%renouvelable.
Avec l’apparition de machines alimentées par les énergies fossiles, la révolution industrielle a décuplé les perspectives de création de biens de consommation.
Un seul litre de pétrole alimente aujourd’hui davantage de travail que la seule force humaine n’en accomplirait en plusieurs jours. Et fournit, au bas mot, l’équivalent de 20 jours de travail manuel.
Le travail étant destiné à modifier l’environnement pour en tirer des richesses, sous forme de biens de consommation, la corrélation est directe entre la quantité d’énergie consommée et le produit intérieur brut (PIB).
L’évolution mondiale des sociétés contemporaines offre le spectacle d’une ruée vers toutes les formes d’énergie.
Ce qui pose un certain nombre de questions.
Cet article s’efforce d’en identifier certaines pour leur apporter quelques éléments de réponse, au fil de ses trois parties :
- De l’énergie mondiale en général à la France d’aujourd’hui en particulier
- Les spécificités du système électrique : l’Europe sous tension
- L’énergie et le monde de demain
De l’énergie mondiale en général à celle de la France d’aujourd’hui en particulier
Une quantité d’énergie peut notamment s’exprimer en joules (J), en wattheures (Wh) ou en tonnes équivalent pétrole (tep).
Et il faut distinguer l’énergie finale, prête à l’emploi pour le consommateur, de l’énergie primaire, qui comprend l’ensemble des ressources nécessaires à sa fourniture.
Source Our world in data [1]
Le graphique ci-dessus représente l’évolution de la consommation mondiale de l’ensemble de ces ressources depuis 1800.
Son examen appelle plusieurs observations :
On remarque, en premier lieu, qu’avant la révolution industrielle, 100% de cette énergie était renouvelable, et essentiellement constituée de biomasse.
La force de l’eau et celle du vent servait à moudre le grain, pomper l’eau, ou scier le bois…
Puis vint la consommation exponentielle d’énergie fossile de l’ère industrielle, avec le charbon de ses débuts, suivie par celle du pétrole et du gaz.
En second lieu, il apparaît que cette croissance de la consommation d’énergie marque quelques inflexions, qui sont celles de 1974, 1981, 1993 et 2009, et correspondent à des crises, notamment des chocs pétroliers, strictement contemporains des mêmes inflexions de l’évolution du PIB par habitant.
Jean-Marc Jancovici a montré, par ses courbes qui « crossent à gauche » [2], que chaque fois, ces réductions énergétiques précédaient immédiatement la réduction du PIB.
Suggérant ainsi l’idée que ce n’est pas la crise qui provoque la baisse de la consommation, mais l’inverse.
On note enfin la part ridicule des énergies renouvelables dites « nouvelles » (EnR), au sein desquelles l’hydraulique et les « nouveaux » biocarburants et biomasse représentent l’essentiel, tandis qu’éolien et solaire sont mentionnés sans même que l’épaisseur de leur trait soit perceptible sur le graphique.
Deux problématiques se dégagent de ces premières observations
La quantité d’énergie, qui remplace le travail humain est inédite dans l’histoire de l’humanité.
Elle correspond aujourd’hui à une moyenne de 200 « esclaves énergétiques » par habitant de la planète, pour reprendre l’expression et le calcul de J.M. Jancovici [3], qui met en perspective les 140 000 milliards de milliards de kWh consommés chaque année avec le maximum d’un demi kWh quotidien que peut fournir la force humaine en une journée.
Et la première problématique est liée à la conjonction de l’évolution démographique avec une telle débauche d’énergie disponible, notamment par son accès récent dans les pays encore considérés « en développement ».
En effet, cette énergie vise, par nature, à transformer l’environnement en en prélevant les ressources.
Jusqu’où est ce soutenable ?
A l’inverse, la seconde problématique provient de l’épuisement annoncé des ressources fossiles, ainsi que leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) exprimées en équivalent CO2 (CO2eq ou CO2) qui impliquent la nécessité de recourir à plus ou moins court terme à des énergies de substitution.
Lesquelles énergies devront permettre la maîtrise de leur impact sur l’environnement et, dans la mesure du possible, offrir un modèle pérenne.
Les quelques éléments de réponse à ces 2 questions auront pour objet, en conclusion, d’apporter un éclairage sur les conséquences prévisibles de toute politique énergétique.
La France en question, introduction à sa spécificité électrique
Le programme électro nucléaire français a permis de supprimer pratiquement tout recours au charbon et au fioul dans la production d’électricité et d’y réduire le gaz à la portion congrue.
Le « diagramme de Sankey, ci-dessous, indique, à gauche, la consommation d’énergie primaire, en France, pour chaque source. Les flèches vers le haut indiquent les pertes, celles vers le bas chiffrent les quelques exportations, qui proviennent uniquement de son système électrique.
Vers la droite, les flèches indiquent la quantité d’énergie finale consommée.
Source Commissariat général au Développement durable [4]
Ces données permettent de calculer que le système électrique français a produit en 2017 26,9 % de l’énergie finale consommée, dont 2,2 % vendue sous forme de chaleur.
Le pétrole, avec 43,6 % représente la plus grosse part de la consommation totale d’énergie finale, et le gaz 19,2 %.
Il apparaît ainsi :
Que la part du charbon, avec moins de 1%, n’est plus qu’anecdotique.
Que le remplacement des produits pétroliers représente la plus grosse difficulté en regard aussi bien de son impact environnemental que des risques géostratégiques concernant son approvisionnement.
Que la part de l’électricité, est bien supérieure à la moyenne mondiale qui est de 18,5% de l’énergie finale consommée [5].
Et nous savons que cette électricité n’émet quasiment pas de CO2 en raison de son origine essentiellement nucléaire et hydraulique.
Et constatons qu’un gisement considérable d’énergie reste actuellement inutilisé : les 2/3 de l’énergie primaire nucléaire, qui sont actuellement perdus, mais pourraient être récupérés, notamment par la cogénération, dont l’opportunité sera développée dans la 3ème partie.
Enfin, il est important de ne pas ignorer la part négligeable du coût du combustible dans la production d’électricité nucléaire. Pour produire 1 MWh d’électricité, il faut en effet importer entre 1,5€ et 5€ d’uranium [6]contre une fourchette comprise entre 15€ et 110€ pour le gaz et entre 30€ et 150€ pour le fioul. Et il convient de savoir que la France présente en moyenne un solde exportateur net d’électricité de 2 milliards d’euros par an.
Le défi électrique
La part de l’électricité semble appelée à croitre, notamment en raison de l’explosion de la consommation du numérique [7], data center et technologies disruptives. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient d’en anticiper une croissance spectaculaire [8] au niveau mondial.
L’électricité représente en effet un vecteur privilégié pour permettre le remplacement des énergies fossiles, afin de réduire ou même supprimer leur impact environnemental tout en anticipant leur éventuel épuisement.
On peut imaginer que le gaz conservera un rôle important en raison de son impact environnemental inférieur à celui du pétrole.
Cependant, ainsi que l’affirme France Stratégie [9], « il faut cesser de recourir au gaz d’origine fossile. Et parce qu’on ne peut attendre pour agir de savoir si le pari du gaz renouvelable sera gagné, il faut chercher dès maintenant à restreindre l’usage du gaz en misant sur d’autres énergies décarbonées, électricité et biomasse en tête ».
Aucune politique énergétique ne saurait, en effet, engager légitimement sa sécurité sur un pari.
La rivalité du gaz
Il faut enfin observer que deux réseaux se partagent actuellement la distribution de l’énergie vers les foyers, les PME et l’industrie : celui du gaz et celui de l’électricité, entre lesquels c’est l’offre de marché qui laisse à quantité d’usages la latitude d’opter.
Après ces observations, la deuxième partie de cet article s’efforcera de montrer comment l’injection croissante d’intermittence dans le réseau électrique européen biaise cette rivalité en pénalisant le modèle économique du système électrique.
En effet, si le mix électrique norvégien repose, sans problème sur 97 % d’hydraulique (2016)[10], cela ne signifie pas que son modèle soit transposable, ni que sa part d’énergie renouvelable resterait pertinente si elle n’était pas pilotable. Et l’annonce d’un mix électrique norvégien 100 % renouvelable grâce à quelques éoliennes supplémentaires reste de nature à induire en erreur.
Car ce sont uniquement les conséquences de l’intermittence de l’approvisionnement électrique qui doivent être considérées, et non le fait que cet approvisionnement soit renouvelable ou non.
En prenant soin de prendre la mesure de ces conséquences dans la globalité du contexte énergétique.
Cet article est le premier d’un dossier sur l’énergie, pour lire le suivant, veuillez suive ce lien.
1 https://ourworldindata.org/energy-production-and-changing-energy-sources
5 https://www.connaissancedesenergies.org/les-chiffres-cles-de-lenergie-dans-le-monde-170926
6 https://jancovici.com/transition-energetique/electricite/quel-est-le-vrai-cout-de-lelectricite/
9 https://www.strategie.gouv.fr/publications/place-gaz-transition-energetique
10 https://www.connaissancedesenergies.org/situation-energetique-de-la-norvege-170912