De plus en plus de citoyens et d’ONGs mettent la pression sur les entreprises pour qu’elles appliquent de bonnes pratiques environnementales et sociales dans leur chaîne d’approvisionnement. Le drame du Rana Plaza, qui a provoqué plus de 1000 morts dans des ateliers de confection au Bangladesh en 2013 est régulièrement évoqué lors des discussions relatives aux législations sur la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise.
En France, la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, entend répondre à ces préoccupations et impose à certaines sociétés importantes (voir critères de la loi) d’établir et de mettre un en œuvre un plan de vigilance.
Extraits de la loi
(…)Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle (…), directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.
Le plan (…) comprend les mesures suivantes :
1° Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
2° Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
3° Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
4° Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
5° Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.
(…)
Pleine de bonne volonté, cette loi risque de ne pas atteindre ses objectifs, notamment dans les pays en développement.
Si le drame du Rana Plaza a permis d’identifier facilement les donneurs d’ordre, les chaînes d’approvisionnements en biens et en services peuvent être beaucoup plus complexes et additionner les étages de sous-traitance.
Les dispositions légales mentionnées ci-dessus s’appliquent aux premiers fournisseurs de la société visée, mais pas aux fournisseurs des fournisseurs ! Aux sociétés dont le siège social est en France et pas à celles basées à l’étranger.
Dans un secteur différent, imaginez-vous un planteur de cacaoyers, qui produit des fèves sèches de cacao, qu’il vend ensuite (bord champ) à un commerçant local de passage, qui lui, vendra à un autre commerçant plus important, qui vendra ensuite à une usine de transformation basée hors Union européenne qui produit de la masse de cacao, qui sera ensuite achetée et travaillée par une chocolaterie, française…
Cette chaîne semble complexe, elle est pourtant classique, bien peu exceptionnelle. La loi ne s’appliquera, au sens strict, qu’à la chocolaterie, si celle-ci est « importante » aux termes de la loi.
Le chocolatier français s’inquiètera que les droits humains soient respectés chez son fournisseur de masse de cacao, et peut-être demandera-t-il à son fournisseur de contrôler qu’il n’y a pas, par exemple, de travail d’enfants chez le petit planteur de cacaoyer ou que la plantation n’a pas été développée au détriment de la forêt primaire. Mais cela dépendra de son éthique et des engagements auxquels il a souscrit volontairement, car la loi ne l’y oblige pas.
Le petit planteur qui se verra imposer des normes environnementales ou sur les droits humains (comme arrêter de faire travailler ses enfants pendant la « campagne » de récolte des cabosses de cacao, ou stopper d’utiliser ce pesticide « si efficace », etc. ) sera tenté de vendre ses fèves de cacao à un autre commerçant, moins exigeant. Surtout si le prix d’achat est le même… souvent d’ailleurs régulé par l’Etat local.
Si on veut que ces objectifs louables soient atteints, il convient que le prix que l’on donne aux petits planteurs soient adaptés aux exigences nouvelles et qu’ils soient récompensés de leur action.
En effet, il convient que la chaîne d’approvisionnement soit vertueuse, sans zone d’obscurité, stable, avec des échelons bien identifiés, des petits planteurs fidèles car bien rémunérés.
Si la chaîne d’approvisionnement n’est pas stable, devient aléatoire, il est possible que des fèves produites dans des conditions inacceptables se retrouvent dans la masse de cacao, et l’objectif ne sera pas atteint.
Serez-vous d’accord de payer vos chocolats plus chers ? Stopper de vous fournir chez le commerçant le « moins cher », chez celui qui vous offre le plus « gros pouvoir d’achat » ?
La chocolaterie française et les différents étages de fournisseurs auront-t-ils la décence de réduire leurs marges pour que le petit planteur africain ou asiatique ait un salaire décent au bout du compte, motivant au regard de ces nouvelles exigences ?
Et l’Etat qui impose ces nouvelles normes, ne serait-il pas bien inspiré d’aider à la formation des petits planteurs ?
Si l’accompagnement n’est pas efficace jusqu’au petit planteur africain ou asiatique, le consommateur européen pourrait être encore traité de néo-colonialiste environnemental et social. Dédaignant les réalités africaines et asiatiques et l’impératif, coûte que coûte, de développement de ces populations.
Il est aisé de mettre la pression sur les sociétés privées pour qu’au bout de la chaîne, un certain nombre de normes et standards, soient effectivement respectés par les petits producteurs du secteur primaire (agricole ou minier), mais que propose l’Europe pour que les prix mondiaux se stabilisent à un niveau permettant à chaque étage de la chaîne de vivre de manière décente? Les gesticulations socialistes au nom de la doctrine de l’augmentation continue du pouvoir d’achat, n’ont-elles pas une responsabilité écrasante sur la pression des prix vers le bas? Les subventions inconsidérées n’ont-elles pas caché le vrai prix des biens et services, empêchant chacun de se responsabiliser?
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