C’est en 2004 que Catherine Procaccia a été élue pour la première fois au Sénat comme sénatrice du Val-de-Marne. Elle a été vice-présidente de la commission des affaires sociales, secrétaire du Sénat et est devenue en octobre 2014 vice-présidente de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – OPECST – (dont elle est membre depuis 2004).
Passionnée de sciences et de technologies et de politique scientifique, elle a répondu aux questions de The European Scientist sur les sujets scientifiques qui font l’actualité (NBT, nucléaire, ENR, F2F, Green Deal, Chat GPT…) mais également sur une question de fond qui est le rapport entre les élus, les Français et la science.
The European Scientist : Depuis votre élection comme sénatrice du Val de Marne en 2004, vous vous êtes toujours intéressée aux sujets scientifiques et techniques. Pouvez-vous revenir sur les dossiers qui ont marqué votre carrière. Comment expliquer cet intérêt ?
Catherine Procaccia : J’ai toujours aimé faire des choses que je ne connaissais pas. Ce que j’ai adoré au Sénat (et dans tous les secteurs) c’est de redevenir étudiante et de me plonger dans des sujets qui ne sortaient de ma zone de confort. Notez que je suis une littéraire de formation, pas une scientifique. C’est dans cet état d’esprit que j’ai intégré l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) quand on me l’a proposé. Il s’agissait en rejoignant cette organisation parlementaire de représenter l’avis du grand public. J’ai écouté et découvert une quantité de sujets ; ceux qui m’ont le plus marqués sont ceux sur lesquels j’ai fait des rapports.
Le premier fut la chlordécone. Je m’étais portée candidate au sujet car étant adjointe au maire de Vincennes à l’époque, on avait eu une alerte sur des cancers pédiatriques dans une école maternelle, lancée par un professeur écolo à la retraite qui avait réussi à faire paniquer tout le monde. J’ai collaboré avec l’INVS et la direction générale de la santé pour que au bout de quatre ans on découvre qu’il n’y avait rien (contrairement au cas de la chlordécone).
J’ai fait le premier rapport en compagnie du député PS Jean-Yves le Déaut, docteur es science et ancien président de l’OPECST. Il m’a transmis de nombreuses informations sur la chimie, les molécules et les pesticides et j’ai pu apporter quelques éléments de bon sens. J’ai voulu récemment refaire un point sur le sujet en faisant un nouveau rapport en 2023. Certaines de nos recommandations de 2009 n’avaient pas été mises en oeuvres… mais j’ai eu toutefois la bonne surprise de constater qu’une bonne partie de celles de 2023 avaient été reprises et se trouvaient dans le nouveau plan du gouvernement. Par exemple, financer la recherche. J’ai recommandé également que certains essais prometteurs effectués en laboratoire soient transposés à grande échelle et surtout sur le terrain antillais.
Un autre sujet qui a énormément passionné, c’est celui de la modification du génome (CRISPR). En 2016-2017 je ne m’étais occupée que de la partie santé et désormais puisque J.Y. Le Déaut n’est plus là parlementaire, je me suis également occupée de la partie sélection végétale.
Enfin, j’ai travaillé sur la phagothérapie, une solution potentielle contre l’antibio-résistance. Il y a quelques équipes (notamment à Lyon) qui travaillent sur les phages qui sont parfois l’ultime recours pour éviter l’amputation ou la mort.
Les phages sont des virus tueurs de bactéries, mais il y a un phage par bactérie, il faut donc trouver le bon phage). L’ANSM vient d’autoriser l’usage à titre compassionnel de deux phages. Pour moi il s’agit de sujet passionnant et sur lesquel on aboutit à des résultats.
TES. : Vous êtes vice-présidente de l’OPECST (l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques). Vous venez de fêter les 40 ans de cet organisme. Quel bilan avez-vous tiré de toutes ces années d’exercice ?
CP. : J’ai tiré beaucoup de satisfactions. J’ai entendu les nombreux rapports de mes collègues. Un des premiers qui m’a marquée était un rapport sur les élevages de poissons dans lequel on apprenait qu’on consommait plus de poissons que l’on en produisait. Le nucléaire, j’ai suivi de loin Astrid par exemple et j’ai toujours regretté que l’on ait fermé la filière des surgénérateurs. Ce que j’ai apprécié dans le travail à l’OPECST, c’est que l’on travaille avec des experts, des gens de renommée même avec des prix Nobel …. Je ne me serais jamais imaginée pouvoir rencontrer des personnes telles Emmanuelle Charpentier ou encore Jennifer Doudna … Ce qui est remarquable également à l’OPECST, c’est que l’on soit le seul organisme où Assemblée nationale et Sénat travaillent ensembles et quelles que soient les couleurs politiques… Quand j’ai fait un rapport avec Le Déaut, lui était député socialiste et moi sénatrice LR…
Enfin nous pouvons fournir un travail de qualité car nous avons le temps de discuter et nous ne sommes pas soumis à la pression… nous pouvons écouter tous les gens compétents sur un domaine et ensuite nous faire notre opinion… C’est une expérience unique et c’est toute la richesse de l’OPECST.
TES. : En 2017, l’Assemblée Nationale et le Sénat, sous l’impulsion de Jean-Yves Le Déaut et Bernard Accoyer, alors à la tête de l’OPECST, avaient fait adopter une « Résolution sur les sciences et le progrès dans la République » (1) dans l’objectif de défendre la science, la technologie, l’innovation et d’une manière générale, la raison. Qu’est devenu ce texte ?
CP. : Adopter une résolution c’est montrer l’intérêt pour une problématique, attirer l’attention du gouvernement mais aussi de tous ses collègues et de son groupe politique. Quand c’est une résolution issue de deux mouvements politiques différents comme celle-ci, c’est pour attirer l’attention sur le fait qu’il y a un problème sur lequel il faut réfléchir et faire prendre conscience de l’importance de la science au quotidien. Par contre, il n’y a jamais de suite formelle aux résolutions. Une résolution n’a pas forcément de suite.
TES. : Pensez-vous d’une manière générale que les élus français s’intéressent suffisamment à la science ?
CP. : Les élus sont un peu à l’image des Français. Ils ne s’occupent pas directement à la science mais viennent à s’y intéresser en se penchant sur tous les sujets du quotidien qui sont reliés à la science. Celui qui va être spécialiste des écoles va s’interroger sur l’intelligence artificielle, sur la pureté de l’air et comment faire en sorte que les salles de classe soient moins polluées ou encore comment chauffer avec du solaire ou des pompes à chaleur. Les élus qui comme moi sont dans la commission des affaires sociales vont s’intéresser aux progrès de la thérapeutique, à la médecine personnalisée. Les politiques sont comme les Français, ils s’intéressent à la science via un sujet en particulier, pas sur une approche globale qui porte sur la place de la science. Les élus français en général s’intéressent à la science à un certain moment. Tous les élus se sont intéressés à l’ARN-messager au moment du Covid, par exemple. Beaucoup se sont intéressés aux problèmes des fissures sur les réacteurs nucléaires. Certains sujets sont assez éloignés, par exemple : « est-ce que la justice pourra être rendue par l’IA un jour ? » Cela peut varier en fonction de l’actualité du moment…
Ce n’est pas comme les écolos qui s’intéressent à la science pour nier son apport. Je me souviens alors qu’on commençait à travailler sur CRISPR avec Jean-Yves, alors que je me rendais à la bibliothèque du Sénat et j’entends sur les écrans qui diffusent les séances qui se déroulent dans l’hémicycle un élu qui parle des modifications du génome et que c’est un danger pour l’humanité et qu’il faut les interdire … Je suis rentrée dans l’hémicycle j’ai demandé à prendre la parole et j’ai pu expliquer que c’était une technique scientifique récente et que l’OPECST était en train de travailler sur cette découverte et que c’était aberrant d’empêcher les travaux des chercheurs français de qui pouvaient eux évaluer CRISPR et qui sinon partiraient à l’étranger. Le rapporteur qui était prêt à donner un avis favorable sur un sujet qu’il ne connaissait pas, en m’entendant a changé d’avis et m’a suivie et bloqué l’amendement proposé par un élu écolo qui voulait empêcher une technique avant même qu’elle ne soit évaluée.
TES. : Nous sommes un des seuls pays à avoir introduit le principe de précaution dans la Constitution. Avec le recul comment jugez-vous cette initiative ?
CP. : C’était mon premier Congrès à Versailles, je venais d’être élue sénatrice. Quand vous venez d’être élue, vous avez la modestie de estimer que ceux qui ont proposé ce projet y ont réfléchi. Mais je pense que c’est surtout l’application du principe de précaution telle qu’on la fait en France qui est problématique. C’est à dire « on ne connait pas, comme on ne connait pas, on ne fait pas ». Le principe de précaution ce serait de dire « il y a eu quelques incidents, donc on suspend ou on analyse un peu plus ». Je ne sais pas si dans l’esprit de Jacques Chirac si c’était ça. Je ne pense pas que c’était pour tout arrêter. Mais hélas c’est devenu cela. Depuis 25 ans on a la preuve que les OGM n’ont été à l’origine d’aucune conséquences sanitaires et pourtant on s’apprête à recommencer les mêmes erreurs de raisonnement avec les NBT et le glyphosate… c’est une dévoiement du principe de précaution. Notez bien que nous on l’a constitutionnalisé mais il y a des pays qui ne l’ont pas fait et qui pourtant en font le même usage que nous.
TES. : Récemment on a vu l’opinion des Français changer sur le nucléaire. Le rapport Shellenberger également a montré les innombrables bévues politiques. Et pourtant, au niveau européen, le gouvernement semble désormais se démener avec l’Allemagne pour faire reconnaitre cette énergie décarbonée. Quelle est votre analyse à ce sujet ?
CP. : Le rapport Shellenberger a permis de montrer que l’on a opposé les énergies nucléaires et le renouvelable alors que ce n’est pas ou l’un ou l’autre mais les deux sont complémentaires : on ne peut pas avoir des centrales nucléaires partout et on ne peut pas avoir des éoliennes partout… l’un et l’autre sont nécessaires, pas incompatibles. On n’a pas envisagé la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. On n’avait pas non plus envisagé que l’on arrêterait la construction de centrales nucléaires, parce que Dominique Voinet a voulu stopper tout.
Le monde dans lequel ont été conçues les centrales nucléaires n’est pas le monde de maintenant : on n’a pas anticipé la durée de vie des centrales et on n’a pas anticipé non plus le fait qu’on aurait toujours besoin du nucléaire, parce que certains ont cru que le renouvelable pouvait tout remplacer. Le fait de découper la filière (EDF, Areva ) n’a pas vraiment facilité la situation et a contribué à augmenter les coûts. Sans compter que la filière nucléaire persuadée de ne plus avoir le soutien du gouvernement pour son développement, a un peu abandonné l’entretien et le suivi des réacteurs existants.
TES. : Que pensez-vous des plans de l’UE tels que le Green Deal, Farm to Fork ou encore plus récemment la loi de restauration de la nature ? Ces plans ne présentent-ils pas un risque de décroissance pour le vieux continent ?
CP. : J’en pense le plus grand mal possible. Ca sert à quoi de se focaliser sur la France alors qu’on est des marginaux dans l’émission de gaz à effet de serre. Tant que ce mouvement ne sera pas suivi par les plus grands pollueurs tels que la Chine, l’Inde et les USA… cela ne servira à rien. Comme d’habitude on montrera qu’on est des bons et on se fera dépasser sur le plan industriel et sur le plan agricole. Prenons l’exemple de F2F… Peu sont prêts aujourd’hui à limiter leur choix alimentaire pour manger local alors qu’on peut avoir accès à un choix inédit de produits issus du monde entier et souvent peu cher. Les écolos me font rire car ce qu’ils proposent c’est le monde dans lequel je vivais… je suis née à la campagne dans les années 50 et ai été élevée par mes grand-parents… On n’était pas écolo, mais on mangeait nos poulets, nos oeufs, nos lapins… les légumes du jardin. Ma grand-mère ouvrait les fenêtres pour aérer, on faisait le ménage au bicarbonate de soude et au vinaigre blanc et maintenant on redécouvre tout cela ?
Ce n’est pas avec quelques plantations sur une terrasse parisienne qu’on va nourrir les populations. On veut revenir en 1950, mais à cette époque nous n’étions pas 8 milliards et il y avait 70% de la population qui vivait dans les campagnes.
Ajoutez à cela que l’on veut consommer local alors que de nombreuses aberrations réglementaires nous empêchent de produire certains produits en France et nous les importons d’Europe, comme les pommes, par exemple. Et le refus des OGM fait que l’on importe du soja OGM d’Amérique du sud.
Tout cela ne représente pas un risque, mais explique notre décroissance
TES. : Au niveau Européen toujours, début juillet l’UE vient d’ouvrir le débat sur les nouvelles techniques de génomiques (NGT). Que pensez-vous de ce projet ? Pensez-vous que ce soit suffisant pour combattre les risques qui pèsent sur la sécurité alimentaire ?
CP. : La décision n’est pas suffisante, mais je me réjouis de cette décision. On n’était pas certain d’aboutir à cela il y a un an et demi. Quand j’ai travaillé sur le rapport sur les NBT végétales, avec le député LFI Loic Prudhomme, cela avait été un peu difficile, et il y avait fallu que Cédric Villani (Président de l’Opecst) s’en mêle. La mission de l’OPECST est d’établir des rapports scientifiques et je refusais de porter la parole de ceux qui sont opposés à la science. Cedric Villani avait réussi à nous faire formuler des compromis. Il a avoué récemment que cela avait été le rapport le plus difficile qu’il avait connu.
J’avais déjà constaté en 2017 que ces personnes étaient gens sont opposées aux NBT, y compris aux NBT1 qui se contentent de copier la nature. Vu le lobbying que font les écolos, ce n’était pas certain d’aboutir. Alors oui, cette décision est déjà un progrès. Autre remarque ça me parait aberrant que ce soient des juges qui prennent ces décisions et non des scientifiques ou des politiques. Sans compter que la directive datait de 2001, à une époque où les NBT n’existaient pas.
TES. : Selon-vous peut-on dire que l’opinion fait encore confiance en la science pour faire face aux défis qui attendent l’humanité ?
CP. : Je ne sais pas. On donne la parole aux négationnistes de la science. Les médias en leur donnant plus de poids qu’à d’autres, confondent opinion et connaissances. J’ai l’impression que dans d’autres pays tels que l’Inde par exemple, on croit davantage à la science que nous. Il faudrait toutefois faire des enquêtes d’opinion pour se faire une idée objective. Autour de moi les gens croient à certaines formes d’avancées. Quand on regarde l’état de la santé humaine, si on vit jusqu’à 80 ans en bonne santé c’est grâce à la science. Les femmes ne vont plus au lavoir pour battre le linge. Elles n’ont plus 6 ou 7 enfants. Je ne suis pas sûre que l’opinion ne croit pas dans les progrès de la science, simplement elle veut la comprendre, et pour la comprendre ce serait bien qu’on ne donne pas seulement la parole à ceux qui sont opposés au progrès. Lorsque je faisais le rapport sur CRISPR, j’ai pu rencontrer une scientifique qui expliquait que la nature en soit n’est pas bonne et que c’est la domestication qui a rendu certains végétaux comestibles. Laisser la nature faire ce qu’elle veut n’est pas la solution
Pour moi ce qui compte c’est l’homme plus que les espèces animales ou végétales. Vous avez un excellent exemple en Indonésie avec les populations qui sont passé de 150 millions à 270 millions d’habitants, et qui doivent se loger, se nourrir, forcément au détriment des forêts et des animaux. Si les plantations d’huile de palme se sont développées, c’est parce qu’elles rapportent des revenus qui permettent de survivre à un nombre croissant d’habitants. Certaines espèces vont disparaitre : il y aura peut être moins d’insectes! Qui ne veut pas que les moustiques porteurs du zika ou du paludisme disparaissent ? Ceux qui ne veulent pas que l’on modifie le génome des moustiques pour protéger la biodiversité. A se demander s’ ils ont des visées malthusiennes et sont pour le contrôle des populations… moi j’accepte que des espèces disparaissent si cela profite au développement humain. Quand je dis cela ça choque et je me fais huer.
TES. : Pensez-vous que les dernières innovations de l’Intelligence Artificielle de type Chat GPT soient une aubaine ?
CP. : Chat GPT ne me fait pas peur. La plus grande révolution de ces dernières années c’est Internet et pourtant ça n’a pas fait disparaitre les bibliothèques. ni les livres. Chat GPT ne remplacera pas l’homme. J’ai demandé à mes collaborateurs parlementaires d’aller voir ce qu’était cette innovation et si elle pourrait avoir des incidences sur leur travail.
En test, écrire une lettre de remerciement à un scientifique. La lettre chatgpt était plutôt bien tournée. Mes attachés m’ont dit « on ne sert plus à rien ». Je leur ai répondu non, cela vous permettra de mieux travailler, de gagner du temps pour faire d’autres choses. Il faut par contre se méfier des biais. Chat GPT reflète la pensée dominante. Il existe déjà une quantité d’IA spécifiques. Il faudra former les gens pour savoir quelle IA utiliser.
(1) https://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/propositions/pion4215/(index)/depots