En prévision des élections Européennes de Juin 2024, l’Observatoire Energie, Climat de l’Institut Sapiens a publié un rapport complet sur la transition énergétique intitulé « La Transition Energétique est-elle durable ? ». Rendu public le 31 janvier, le document fait notamment le point sur le Pacte Vert européen, en relève les incohérences et propose, des pistes correctives permettant de soulager l’effort du citoyen tout en réindustrialisant le pays et en garantissant notre sécurité énergétique. Destiné aux décideurs politiques et aux industriels il vise aussi à éclairer le citoyen ordinaire sur les grands enjeux économiques, sociétaux et environnementaux des prochaines années. European Scientist a rencontré Philippe Charlez Directeur de l’Observatoire.
The European Scientist : Réchauffement climatique, comptabilisation des GES, Accord de Paris…Sur ces trois sujets l’Institut Sapiens adopte une position critique par rapport à la doxa officielle. Pouvez-vous nous en rappelez la nature ? Pensez-vous qu’elles puissent être comprises sans stigmatisation ?
Philippe Charlez : Je tiens d’abord à associer à cet interview mes collègues François Henimann, Pierre Coindreau et Vincent Houard qui ont largement contribué à la réalisation du rapport. Si l’Institut Sapiens adhère au consensus scientifique sur la réalité d’un réchauffement d’origine anthropique, il s’oppose aux thèses climato-catastrophistes sources d’éco-anxiété et de perte de foi en l’avenir chez les jeunes générations. Le manque de fiabilité des modèles climatiques reconnu par le GIEC lui-même induisent de fortes incertitudes quantitatives sur l’extrapolation des températures, leurs conséquences météorologiques (inondations, vagues de chaleurs, sècheresses) et sociétales (dégâts matériels, victimes humaines). Ces incertitudes ne justifient pas d’un changement radical vers une société de décroissance prônée par certains. Elle conduirait à une paupérisation générale dont les plus démunis seraient les premières victimes.
A ce titre, le réchauffement climatique est très souvent détourné notamment à travers une interprétation plus que discutable des émissions de GES. Ainsi, nous critiquons dans notre rapport le concept d’émissions financières prôné par le World Inequality Lab justifiant la conclusion aberrante mais aujourd’hui largement véhiculée que les 10% les plus riches sont responsables de la moitié des émissions mondiales. Cette méthodologie grossière instrumentalise le climat pour justifier d’un anticapitalisme primaire et remettre la lutte des classes au goût du jour. Nous adhérons à la seule comptabilisation des émissions territoriales. Bien que reprises par des organismes internationaux comme le GIEC ou l’AIE, les autres méthodes entraînent de facto le risque d’une double, voire d’une triple comptabilisation. Libre toutefois aux pays qui le souhaitent de publier les chiffres de leurs émissions d’importations (empreinte carbone).
Pour l’Institut Sapiens la création de richesses reste un préalable permettant de conjuguer développement humain et lutte contre le réchauffement. Pour ce faire, nous préconisons de lutter efficacement contre la surconsommation et les gaspillages énergétiques tout en préservant une croissance soutenable associée à des mesures pertinentes d’atténuation et d’adaptation. C’est sur cette approche bénéfice-risque et non sur un discours anxiogène d’urgence climatique absolue s’abritant derrière le principe de précaution que doivent reposer les futures politiques publiques.
La poursuite du développement dans les pays émergents qui émettront 90% des émissions mondiales à l’horizon 2050 rend aujourd’hui obsolète l’Accord de Paris. Inatteignable la cible magique des 1,5 degrés démoralise les forces vives et bloque nombre d’actions positives. L’Institut Sapiens considère qu’il faut le revoir de façon plus contraignante mais temporellement moins ambitieuse prenant notamment en compte l’évolution de la géopolitique mondiale vers une logique de blocs. L’échéance de neutralité carbone 2050 n’est plus tenable ni par les pays de l’OCDE ni par les pays émergents.
Le positionnement rationnel de l’Institut Sapiens ne manquera pas d’être critiqué. C’est par un effort de pédagogie rationnelle que nous arriverons à combattre la doxa dogmatique et éviter la stigmatisation.
TES : Un rapport des Nations Unies dénonce le manque de moyens mis en œuvre pour l’adaptation dont le financement est 10 fois inférieur à celui dédié à l’adaptation. Pensez-vous qu’il faille accentuer le financement de l’adaptation ?
PC. : Compte tenu de la trajectoire la plus probable (2,7°), l’adaptation devra revêtir dans l’avenir le même degré de priorité que l’atténuation. D’autant que les deux leviers ne se situent pas au même niveau. Contrairement à l’atténuation qui ne peut être que mondiale, l’adaptation est territoriale même si une mutualisation des moyens d’intervention peut avoir un intérêt régional. Sa mise en œuvre est donc techniquement et politiquement beaucoup plus simple.
D’autant que notre capacité d’adaptation aux évènements météorologiques extrêmes s’est fortement améliorée en un demi-siècle. Si en absolu les dégâts climatiques se sont modérément accrus, le nombre de victimes s’est réduit de façon substantielle. Les dégâts matériels sont principalement liés aux inondations et aux tempêtes alors que les victimes humaines sont liées aux sécheresses et aux vagues de chaleur.
S’adapter requiert des mesures préventives pour optimiser l’aménagement du territoire et la gestion des ressources ainsi que des mesures réactives en cas de crise majeure. Ainsi, l’agriculture demandera une adaptation territoriale des cultures et un changement des habitudes alimentaires de la population mais aussi une meilleure gestion de l’eau dans la mesure où le stress hydrique et les conflits d’usages devraient se multiplier.
L’artificialisation des sols empêchant l’eau de percoler joue par ailleurs un rôle négatif majeur en cas d’inondation. Mais surtout, parallèlement à d’autres activités humaines dégageant de la chaleur (transports, chauffage, climatisation), elle représente un facteur prépondérant à la création d’ilots de chaleur dans les grandes métropoles. Enfin, éliminant tout bio-absorbeur de CO2 l’artificialisation des sols est aussi un contributeur méconnu mais important aux émissions de GES dans la mesure où, contrairement aux espaces verts elle empêche la bio-séquestration. Nous encourageons donc le lancement d’un grand plan d’aménagement du territoire avec une désartificialisation massive des sols urbains
Enfin, l’Institut sapiens combat toute décision idéologique allant à l’encontre du bon sens comme la promotion systémique de l’agriculture biologique aux rendements catastrophiques, l’interdiction des herbicides et des pesticides ainsi que la restriction de terres dédiées aux OGM et aux NGT.
TES : L’Institut Sapiens critique ouvertement le Green Deal rebaptisé Pacte des 4i. Que proposez-vous pour le réviser ?
P.C. : Comme l’Accord de Paris, le Pacte Vert européen est un incorrigible agenda inversé : il se donne à priori un objectif irréalisable et se pose à postériori la question de sa faisabilité technique, économique et sociétale. L’Institut Sapiens a pour cette raison rebaptisé le Green Deal « pacte des 4i » : irréaliste, injuste, insoutenable et inutile.
Irréaliste car la cible de réduction de 55% par rapport aux émissions 1990 demanderait de passer d’un rythme de 1,5%/an à un rythme de 5%/an c’est-à-dire celui observé en 2020 lors du premier confinement. Un objectif de 40% en ligne avec les politiques actuelles apparaît beaucoup plus crédible. L’UE doit par ailleurs proposer une règle plus juste, imposant une cible d’émissions par habitant identique à chaque Pays Membre. La règle des 55% appliquée aux émissions allemandes et françaises conduisent à des efforts très différents dans la mesure où on demande au français de réduire ses émissions individuelles 2030 à 3,5 tCO2/hab (en comparaison le Burkinabé émet aujourd’hui 2,5 tCO2/an) alors que l’allemand pourra toujours en émettre 7.
Irréaliste et injuste, l’objectif de 55% apparaît également insoutenable pour des Etats déjà fortement endettés et des classes populaires paupérisées. France Stratégie estime que le Pacte Vert conduira à un accroissement de la dette publique française de 25%, de la fiscalité avec notamment la mise en place d’un ISF climatique de 1%/an pour les patrimoines de plus de 500 000 euros. IC4E estime que le Pacte Vert coûtera en moyenne sur dix ans plus de cent mille euros par ménage soit deux ans de salaire du 9ème décile.
Se pose enfin la question de son utilité. France Stratégie reconnait que l’effet du Pacte Vert sur le climat sera quasi insignifiant et qu’il s’agit surtout d’un engagement moral pour montrer l’exemple aux pays émergents ainsi qu’un acte de repentance par rapport aux émissions passées. En quelque sorte, on demande au citoyen européen de se suicider sur « l’autel de la vertu ».
Les élections européennes représentent donc une opportunité pour remettre à plat un Pacte Vert qui n’a aucune chance d’aboutir.
TES : Quels projets alternatifs proposer pour l’Europe ?
P.C. : Le besoin résiduel de gaz à l’échéance 2050 étant inévitable et l’Europe ne pouvant plus compter sur le gaz Russe, l’Institut Sapiens incite le Vieux Continent à sécuriser ses approvisionnements gaziers moyen/long terme : par gazoduc en regardant vers l’Est Méditerranéen, en sécurisant son Gaz Naturel Liquéfié en accélérant la construction des terminaux de regazéification. Nous encourageons aussi les Etats Membres à mutualiser leurs achats et, même si le sujet reste socialement complexe, à relancer la production domestique de gaz. La France doit aussi planifier la construction de centrales TGV (Turbines Gaz Vapeur) non aujourd’hui intégrées à la planification écologique.
Nous sommes aussi en faveur du relancement de l’activité minière, une tendance qui s’amorce hélas beaucoup trop timidement. La mine étant environnementalement beaucoup plus pénalisante que l’extraction pétrolière et gazière, il y a un risque certain que les Gouvernements empilent une série de normes rendant l’extraction non économique en Europe par rapport à des pays tiers. Sans une relance massive de son industrie minière l’Europe augmentera de façon incontrôlée sa dette vis-à-vis des pays du Sud Est asiatique concentrant presque 100% de la production des équipements verts.
Nous sommes enfin en faveur d’un accroissement massif des investissements dans le développement de petits réacteurs modulaires ainsi que de la relance d’un projet de réacteur de 4ème génération à neutrons rapides indispensable pour prendre la relève des EPR et assurer l’approvisionnement en combustible et la gestion des déchets nucléaires. Nous rappelons notre opposition au 100 % renouvelable qui conduirait l’Europe à un désastre économique et social.
Image par Skyoverse de Pixabay
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