Jean-Michel Lecerf vient de publier 40 idées fausses sur les régimes alimentaires aux éditions Quae (1). Dans ce nouvel ouvrage, le professeur à l’Institut Pasteur de Lille, également praticien au CHRU passe en revue les idées préconçues sur notre alimentation. D’une redoutable efficacité ce petit vade-mecum permettra à tous ceux qui s’interrogent sur « comment mieux s’alimenter » de trouver des réponses à leurs questions. Et pour nous mettre en appétit, le professeur Lecerf a bien voulu répondre à nos questions.
The European Scientist : Vous venez de publier 40 idées fausses sur les régimes. Est-ce la poursuite de la réflexion menée dans votre avant dernier livre, « La joie de manger » ?
Jean-Michel Lecerf: Il y a un lien mais ce n’est pas vraiment une suite. Dans La joie de manger je disais à quel point il devenait difficile de manger ensemble et à quel point notre rapport à l’alimentation était menacé par les peurs alimentaires. Dans ce nouveau livre je fais un état des lieux : il s’agit de trier le bon grain de l’ivraie. Je souhaite rendre service aux gens. Cette « quête de l’alimentation qui me convient » : les gens la recherchent dans les médias et sur les réseaux sociaux.
TES.: Une étude récente de l’INSERM indiquait la recrudescence d’une épidémie d’obésité dans la population française… Est-ce à votre avis dû au fait que certains suivent de mauvais régime ?
JML. : Non c’est plutôt la conséquence de notre vie d’aujourd’hui. L’alimentation joue un rôle indéniable, mais il n’est pas exclusif. Il est en interaction avec d’autres facteurs, la sédentarité, le stress, le manque de sommeil, les écrans, le revenu, la disponibilité alimentaire, plus la part génétique et épigénétique… On ne peut considérer uniquement que les gens mangent mal, il y a beaucoup de gens qui mangent de mieux en mieux. Les apports caloriques des populations occidentales n’augmentent pas mais l’obésité augmente. Cela peut être les calories, mais cela peut être d’autres facteurs. Je cite à de nombreuses reprises les aliments ultra-transformés. Cela fait partie des modifications qualitatives de notre alimentation qu’il faut pointer du doigt et qui peuvent être une contribution à l’épidémie d’obésité, mais cela ça n’explique pas tout. Par contre quand les gens sont en surpoids ils ont tendance à se jeter sur le premier régime à la mode. L’obésité est une maladie bio-psycho-sociale ce n’est pas une maladie nutritionnelle au sens strict.
TES.: Les Français sont-ils mal conseillés au sujet de leur alimentation et des questions de diététiques ?
JML. : Oui et non. Beaucoup de médias s’efforcent de donner de bons repères alimentaires. Souvent ils sont orthorexiques (c’est le cas pour de nombreuses revues féminines) avec les régimes détox… Il s’agit de régimes obsessionnels. Mais il y a aussi des médias qui font de la bonne information. Le corps médical n’est pas formé à la nutrition et connaît très mal le sujet. Les diététiciens sont peu nombreux et proposent des consultations payantes. L’industrie propose des bons outils mais fait parfois aussi beaucoup de démagogie.
Reste enfin les canaux officiels de l’Etat, de type « Santé Publique France » qui propose des outils qui ne sont pas inintéressants… Je pense aux recommandations du PNNS. Mais parfois les recommandations sont inaccessibles, par exemple « manger 5 fruits et légumes par jour » qui est très compliqué à suivre pour certaines personnes. La moyenne est plutôt 2 à 3 par jour. Les gens n’entendent plus les recommandations de type, « manger bouger », « manger moins gras, moins salé, moins sucré ». Le Nutri-Score est informatif sur les produits mais peu sur l’équilibre alimentaire. Ce n’est pas un guide alimentaire. C’est un outil pour comparer tous les produits de la même famille.
Pour résumer il y a trop de messages contradictoires et on a perdu ce bon sens qui dit qu’il faut manger un peu de tout ; et il faut fuir les dogmes. Il est important de s’éloigner des conseils alimentaires des personnes autoritaires, dogmatiques et tristes. Si on vous demande en plus beaucoup d’argent soyez méfiants.
TES.: Vous distinguez quatre grandes catégories de régimes d’après quels critères avez vous établi ce classement ?
JML.: L’éditeur voulait 50 régimes, mais je me suis arrêté à 40. Une première catégorie concerne les régimes amaigrissants ; la deuxième concerne les régimes d’exclusion : il s’agit de régimes où l’on supprime une catégorie d’aliments (régime sans viande, sans produits animaux, sans lait…) ; la troisième catégorie porte sur les régimes bons pour la santé (le régime méditerranéen, nordique, dash…) des régimes qui ont tous une petite part de vérité ; enfin tous les régimes spéciaux (pour sportifs, le Nutri-Score, le bio, le durable…) et les vrais régimes alimentaires (pour ceux qui ont la goutte, la maladie du foie gras, du cholestérol …)
TES.: Vous affirmez « les régimes reviennent en force au prorata d’une recherche de médecine naturelle et à la faveur des doutes quant à une médecine trop technicienne » Observez-vous l’émergence d’une « pseudo-science du régime » et votre ouvrage lui fait-il la chasse ?
JML. :
Oui il y a une pseudo-science du régime. Il y a de nombreuses personnes qui discourent sur l’alimentation de façon totalement gratuite sans fondement scientifique ou clinique ou simplement avec une idée fausse et farfelue.
Cela peut être impressionnant : il ne faut pas manger de fruits à la fin du repas, ne pas boire en mangeant, ne pas manger le matin… J’ai dû relire récemment un ouvrage d’un urgentiste qui s’est improvisé nutritioniste : les trois-quarts de l’ouvrage relèvent du bon sens, mais un quart n’est pas bon du tout. Il y a beaucoup de croyance autour d’idées fausses. Il y a aussi une activité lucrative qui s’est développée autour du détox, du jeûne, ou encore de l’analyse du microbiote … La nutrition est une vraie science.
A titre personnel je suis très prudent, car je ne sais pas si tout ce que je dis dans l’ouvrage sera encore vrai d’ici dix ans… « nuance et prudence sont les deux qualités du bon nutritionniste ». Mon ouvrage fait un peu la chasse à tout ça.
TES.: « Les régimes cela ne sert à rien », « les régimes amaigrissants ne peuvent faire que du bien », « plus on réduit les calories, plus vite on maigrit » Selon vous ces 3 idées générales sont fausses, et pourtant elles sont fréquemment répandues dans l’opinion. Comment y mettre un terme ?
JML.: « Les régimes cela ne sert à rien » : il peut être utile de changer ses habitudes alimentaires. C’est faux de dire que ça ne sert à rien ou que ça fait tout. Améliorer ses habitudes alimentaires est toujours utile, se lancer dans des régimes peut être nuisible.
« Les régimes amaigrissants ne peuvent faire que du bien » : ce qui fait du bien c’est d’avoir un poids un peu moins élevé s’il est excessif. Par contre les régimes amaigrissants peuvent faire du tort et annuler ces bienfaits. Les gens alors ne savent plus quoi manger, ont des troubles du comportement alimentaire, se négligent, deviennent dépressifs…
« Plus on réduit les calories, plus vite on maigrit » Mais aussi plus vite on regrossit. Maigrir n’est pas un objectif. L’objectif c’est d’abord d’améliorer son alimentation et son mode de vie et de ne plus regrossir.
La perte de poids est un problème complexe et la meilleure façon de ne pas y être confronté c’est de ne pas grossir. On n’est jamais débarrassé d’un problème de poids.
TES.: Vous déconstruisez également certains mythes sur des régimes spécifiques tels que les régimes « cétogène » ou « le jeûne »… pourtant ce sont des méthodes éprouvées, que leur reprochez-vous ?
JML.: Je déconstruis mais je ne dis pas qu’il n’y a pas d’effet. Ce n’est pas indispensable pour être en bonne santé. Ce qui est important pour être en bonne santé c’est de ne pas être dans les excès permanents. Là-où le jeûne a une vertu, c’est dans la prise de conscience que nous sommes dans des excès permanents. Il y a des pratiques qui peuvent exister, mais il n’y a pas de clinique du jeûne autorisée en France.
Le régime cétogène a des effets dans certaines maladies neurologiques, mais c’est un régime très compliqué à suivre qui peut être dangereux chez certaines personnes. Il n’est pas exclu que l’on en découvre de nouvelles applications pour traiter certaines pathologies. Il y a des recherches en cours et que l’on doit poursuivre. C’est un vrai régime qui est très particulier. On en attend certains bénéfices mais tout ce n’est pas encore totalement démontré.
TES.: Vous critiquez certains bienfaits du régime végétarien ou encore le fait que l’on puisse se passer de tout produit d’origine animale. Pouvez-vous nous expliquer ?
JML.: Il a des bienfaits indéniables sur les maladies cardio-vasculaires et le diabète. Il a quand même inconvénients. On ne sait pas s’il a un effet sur les risques de cancer. Il augmente les risques de fractures et d’ostéoporose. Par contre, il n’est pas toujours équilibré, il y a un risque de déficit en fer, zinc, calcium, sélénium, iode, oméga 3 et vitamine B12.
C’est un cran de plus pour le végétalien : un effet identique pour les systèmes cardio-vasculaire et métabolique…. Sur les risques de fractures et d’ostéoporose ils sont très élevés, sur les risques de carence en vitamine B12 également avec toutes les conséquences hématologiques et neurologiques. Par définition le régime végétalien est un régime qu’on ne recommande pas car sans supplémentation, il y a un très gros risque pour la vitamine B12. Les autres déficits observés avec le régime végétarien sont encore plus au rendez-vous.
Mais il faut s’inspirer des côtés positifs du régime végétarien. Donc manger végétarien plusieurs fois par semaine, par exemple, mais pas matin midi et soir. Quant au régime végétalien, il n’est pas indiqué, encore moins, chez les femmes enceintes, les enfants, les nourrissons ou encore les personnes âgées.
TES.: Vous rétablissez les vertus de certains régimes que l’on présente comme étant dépassés, comme, par exemple, le régime méditerranéen ou le régime nordique. Quels sont vos arguments ?
JML.:
Le régime méditerranéen est le régime idéal. Il n’y a pas une étude qui montre un effet indésirable et il n’y a pas une étude qui ne montre pas un effet positif quand il est bien appliqué que ce soit diabète, dépression, cancer du sein, maladies cardio-vasculaires… c’est vraiment impressionnant. La seule difficulté c’est qu’on ne sait pas comment faire pour le suivre.
Le régime méditerranéen optimal qui était le régime crétois a disparu. La Grèce est le pays européen où il y a le plus fort taux d’obésité. Ce régime est de moins en moins pratiqué. Il faut rétablir la réalité du régime méditerranéen : c’est un régime frugal à dominante végétale mais pas végétarien, avec des produits bruts peu transformés, simples. Sa déclinaison nordique est intéressante. On va essayer de choisir des aliments de terroir, peu transformés. Il faut réhabiliter ces régimes.
TES.: Peut-on se contenter des informations nutritionnelles sous forme de code couleur présentes sur désormais quasiment tous les paquets pour suivre un régime ? Vous semblez dire que cela mériterait des améliorations.
JML.: J’ai été politiquement correct dans mon chapitre sur le Nutri-Score. C’est une information nutritionnelle raccourcie, simplifiée et compréhensible. Il permet de comparer deux produits de même famille. Il a été démontré que quand des gens étaient exposés à des Nutri-Score dans des magasins, ils faisaient des choix un peu meilleurs et que quand les personnes adhéraient au Nutri-Score, ils adhéraient au PNNS, ce qui est positif pour la santé. C’est la démonstration qui a été faite.
Aucune étude ne démontre que, quand on est exposé au Nutri-Score, on améliorait vraiment profondément et durablement son alimentation, ou que l’on améliorait sa santé. Mais il a le mérite d’exister et ses promoteurs essaient de l’améliorer, c’est une bonne chose.
Il a toutefois des insuffisances et selon mon collègue Anthony Fardet : « le Nutri-Score est dépassé ». Il ne tient pas du tout compte des connaissances les plus récentes en nutrition sur les problèmes d’ultra-transformation, de matrice, qui sont très importantes pour l’effet des aliments sur la santé. Il ne tient compte que de la présence, ou non, de certains nutriments. Ce n’est pas parce que vous avez des acides gras saturés, des sucres que tout est dangereux. Quel est l’index glycémique, quel est le niveau des additifs, quelle est la matrice laitière, quelle est la texture ?
Autre petit défaut, il est calculé pour 100 grammes et il est des aliments dont on mange 5 grammes, et d’autres aliments dont on ne mange pas 100 grammes mais 500 grammes. Prenez une pizza ou un tacos qui pèsent 500 grammes, leurs Nutri-Score pour 100 grammes seront peut-être corrects mais quand vous en mangez 500 ce n’est pas le même effet et leur Nutri-Score n’a pas changé. Quand vous avez un aliment très mal classé pour 100 grammes, un bonbon, par exemple, et que vous n’en mangez que 5 grammes, ce n’est pas la même chose. L’équilibre alimentaire n’est pas bien expliqué, par exemple, quand on mange des saucisses de Morteau avec des lentilles, le Nutri-Score des saucisses passe de E à B ou à C. Il faudrait un Nutri-Score, pour un plat et non pour des aliments.
Il ne met pas assez l’accent sur la variété et le plaisir alimentaire et certains aliments comme les produits laitiers ou l’huile d’olive sont mal classés, pour de mauvaises raisons. Le Nutri-Score n’est pas le nec-plus-ultra de la prévention nutritionnelle en France. C’est un outil parmi d’autres.
TES.: Que pensez-vous de ces gens qui suivent un régime du type Eat Lancet dont le but est de suivre une alimentation afin de lutter contre le réchauffement climatique ?
JML.: Il a mis le doigt sur la durabilité c’est bien. Mais il est très extrémiste. Il y a une nouvelle version du Eat Lancet moins extrémiste. Il recommande un apport de quelques dizaines de grammes de viande par jour, ce n’est pas très réaliste. On n’est pas des herbivores, on n’est pas des granivores. D’autres équipes ont calculé qu’il ne permettait pas de satisfaire tous les besoins nutritionnels en particulier en fer, en iode, en zinc, en calcium … Il se rapproche d’un régime « végétarien »… Certes, il faut sauver la planète, mais faut-il aller si loin ?
Il cible vraiment les produits animaux comme dangereux mais peut-être il faudrait faire une analyse plus précise en reprenant les travaux de Jean-Louis Peyraud de l’INRAe sur la vraie contribution de l’élevage aux gaz à effet de serre avec l’ élevage français qui n’est pas le modèle d’élevage américain, chinois ou néerlandais (Eat Lancet a été construit sur ces modèles). En France les exploitations sont de l’ordre d’une soixantaine de têtes de bétail dans des pâturages de montagne ou de bocage et pour les ruminants 80% de l’alimentation c’est du fourrage et non pas des tourteaux.
Il faut revoir tout cela pour avoir une vue ciblée pays par pays, région par région. Notons encore que les monogastriques (les porcs) sont peu contributeurs en GES. Enfin, il faut que les agriculteurs puissent vivre. La taille des exploitations n’est pas un problème en France. Certains voudraient que les agriculteurs soient pauvres !! D’autres affirment qu’il est impossible de nourrir la planète avec le mode de production actuel. C’est totalement faux : on produit trois fois plus de protéines que nous n’en avons besoin actuellement. Il n’y a pas de problème de production agricole. Il y a des problèmes de répartition souvent liés à des problèmes de guerre et de conflits
TES.: L’alimentation bio présente-t-elle un avantage nutritionnel ?
JML.: Il n’y a pas d’avantage significatif à part la teneur en polyphénols de certains fruits et légumes. C’est plutôt un plus. Dans les grandes familles de nutriments, on trouve peu de différences. Un peu plus d’oméga 3 dans les viandes et produits laitiers bio et dans la mesure où comme les oméga 3 sont liés aux pâturages et à l’apport de lin en alimentation animale ce n’est pas forcément dû au bio. Les oméga 3 sont peu apportés par la viande mais davantage par le poisson, l’avantage reste modeste, même si ce n’est pas sans intérêt.
Le bio aurait-il un intérêt sanitaire du fait de l’exposition aux pesticides ? Je n’ai pas tranché. Il y a deux problèmes : l’exposition directe aux pesticides pour certaines catégories d’agriculteurs ou de gens (surtout des femmes enceintes) qui vivent à proximité des zones d’exposition. Ca c’est une première réalité. Pour les consommateurs ensuite, il y a de moins en moins d’exposition aux résidus (dans 98% des analyses réalisées par l’EFSA les teneurs des résidus sont inférieures aux limites maximales autorisées). Ce n’est pas parce qu’il y a un résidu qu’il y a un risque car les teneurs sont faibles et le risque dépend du produit « teneur x exposition. Ce que l’on peut dire au regard des études épidémiologiques existantes, c’est il n’y a pas de preuve formelle d’un bénéfice pour la santé de consommer bio.
On ne réussit pas à le démontrer soit parce que les quantités de résidus sont trop faibles (à mon avis c’est le cas) soit parce que le bénéfice est trop faible. Le bio il faut l’encourager raisonnablement car il ne faut pas oublier de produire. C’est important. Le bio est bon pour l’environnement, pour la santé du sol, la santé des plantes. Croire que c’est bon pour la santé n’est pas juste. Cela pourrait détourner (car il est cher) les plus pauvres d’acheter des fruits et légumes en pensant que seul le bio est bon pour la santé.
Ce qui compte c’est de manger varié, équilibré, de manger des fruits et légumes… ça c’est important et c’est démontré. Les études ne réussissent pas à distinguer le comportement de la personne qui fait plus attention à ce qu’elle mange et à son mode de vie en général et le fait qu’elle consomme des aliments bio. Je suis pour le bio qui intègre de la bonne science.
Image par Vidmir Raic de Pixabay
(1) Dr Jean-Michel Lecerf, Quarante idées fausses sur les régimes éditions Quae (2023)
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