Contrairement à la pensée binaire des progressistes scientistes d’un côté et des prêcheurs d’apocalypse de l’autre, la science ne tend ni vers le bien ni vers le mal. Toutes les expériences que les scientifiques peuvent faire ils les feront. C’est d’ailleurs souhaitable car qui peut avoir la prétention d’être omniscient et donc d’interdire ? C’est en fait l’être humain qui choisit d’utiliser les résultats de la science et donc d’en retenir certains et d’en éliminer d’autres. Cette responsabilité est personnelle et collective[1] . Elle concerne non pas tant la découverte que l’intervention notamment en médecine mais aussi la dissimulation ou la fraude.
Les essais cliniques négatifs représentent une information de valeur
C’est pourquoi il est utile, il est aussi honnête et responsable, de rapporter les résultats négatifs des études cliniques. Ce mouvement vers une transparence totale des études cliniques en médecine afin d’envisager le réel panorama des résultats liés à un médicament ou à une tecnique de traitement à été favorisé par la déclaration préalable des essais cliniques à l’échelle mondiale. Ce n’est pas la loi qui l’a initié mais plutôt une incitation liée aux critères de publication. Ainsi un essai clinique qui n’a pas été déclaré avant son début a peu de chances de trouver une voie vers une publication de haut niveau. Dans certains pays le comité d’éthique ne statue que quand cette déclaration est inscrite dans le projet. Pour tous ceux qui s’intéressent aux essais cliniques le principal site qui répertorie ces essais est le suivant : https://clinicaltrials.gov/. Cette base de données permet d’explorer à ce jour 301 373 essais dans 209 pays. ClinicalTrials.gov est une ressource fournie par la National Library of Medicine des États Unis. La connaissance d’un essai clinique négatif apporte plusieurs informations à la communauté scientifique. Tout d’abord reconsidérer les indications du traitement si des patients sont déjà traités par la méthode testée. Ensuite orienter la recherche et l’allocation de fonds vers d’autres voies, d’autres cibles.
Les cellules souches dans l’insuffisance cardiaque
Les cellules souches ont éveillé l’attention des scientifiques depuis longtemps et le fait de pouvoir les manipuler a suscité d’immenses espoirs dans le domaine cardiovasculaire[2] . En particulier s’agissant de l’insuffisance cardiaque, qu’il s’agisse d’une insuffisance cardiaque globale ou des séquelles d’un infarctus du myocarde, l’hypothèse que des cellules dédifférenciées puissent régénérer le cœur et éviter l’assistance circulatoire ou la greffe a connu une diffusion importante. Les premières “preuves” de cellules souches cardiaques chez des organismes adultes sont apparues au début des années 2000, lorsque des biologistes ont annoncé que des cellules dérivées de la moelle osseuse ou du cœur adulte exprimant la protéine c-kit pouvaient donner naissance à un nouveau tissu musculaire lorsqu’elles étaient injectées dans un myocarde endommagé. Ces études furent menées chez des rongeurs. Elles ont été contestées dès le début car nous savons déjà que le cœur, chez l’homme, ne se régénère pas après un infarctus. Dans ce contexte un essai clinique important vient d’être publié par le JAMA[3].
Figure N°1. A gauche la probabilité les transplantations cardiaques dans le groupe contrôler dans le groupe des cellules souches point à droite les décès dans les deux groupes sur une période de 1 an. Si la courbe de droite démontre sans ambiguïté par simple égalité du nombre de morts a 1 ans, celle de gauche demande une interprétation statistique. La différence observée est-elle due au hasard où est-elle due aux traitements. Dans le cas présent le test statistique permet de conclure avec seulement 5 % de chance de se tromper qu’il s’agit d’une différence due au hasard. Autrement dit devant c’est pourcentage de transplantation cardiaque dans les deux groupes on ne peut rejeter l’hypothèse nulle qui consiste à l’hypothèse de départ c’est-à-dire que le traitement n’a pas d’efficacité (10.1001/jama.2019.2341 ).
Les résultats de cet essai sont très bien visualisés sur la figure N°1. Les cellules souches injectées dans le cœur n’améliorent pas la survie et ne diminuent pas le recours à la transplantation. Ce commentaire dans JAMA est factuel :
“Cependant, les preuves à ce jour indiquent que tout bénéfice clinique résultant de la thérapie par cellules souches pour l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection réduite est faible et incohérent. L’étude de Yau et al dans le présent numéro de JAMA est un autre exemple d’une étude négative conduite à côté d’autres dans un ensemble largement décevant de recherches basées sur ces cellules. Les chercheurs ont injecté des cellules souches mésenchymateuses dérivées de la moelle osseuse dans le myocarde de patients recevant une assistance par assistance ventriculaire gauche pour une insuffisance cardiaque avancée (106 patients ont reçu des cellules souches mésenchymateuses et 53 ont reçu une injection simulée) et n’ont observé aucun bénéfice en ce qui concerne le sevrage des patients de leur assistante ventriculaire à 6 mois. Cette étude est importante car elle fournit une preuve supplémentaire que les cellules souches mésenchymateuses injectées dans le myocarde pourraient ne pas être la solution au problème épineux de l’insuffisance cardiaque avancée due à une cardiomyopathie dilatée.”
Il semble bien que l’idée quelque peu simpliste qui consiste à injecter des cellules dans un organe et à espérer que ces cellules se fixent au bon endroit, se différencient et deviennent fonctionnelles est en fait une chimère. Mais il semble ne pas s’agir uniquement d’une déconvenue, d’un concept qui finalement ne tient pas ses promesses cliniques. Les résultats de l’essai contrôlé et aléatoire publié dans le JAMA risque de terminer l’aventure des “cellules souches cardiaques” mais elle permet aussi de tirer sur le fil d’une histoire teintée de fraude.
Les cellules souches cardiaques sont au centre de multiples fraudes
Vendre une cure de jouvence, les grands de la cosmétique utilisent l’expression à foison, cellules fraiches, cellules régénérantes, cellules anti-âge etc… Ce business est totalement déconnecté de la réalité mais il surfe sur un concept éternel. Et plusieurs chercheurs se sont fait prendre en flagrant délit de fraude. “Pour l’article intitulé « La différenciation des cellules souches cardiaques humaines est régulée par un mécanisme mircrin » (Circulation. 2011 ; 123: 1287–1296; DOI: 10.1161 / CIRCULATIONAHA. 110.982918) une enquête menée par la Harvard Medical School et le Brigham and Women’s Hospital (BWH) ont montré que certaines des données rapportées dans l’article, en particulier la figure 7B, posaient problème. Une déclaration d’alerte a été publiée le 20 novembre 2018 pour prévenir les lecteurs que l’American Heart Association communiquait avec les auteurs et examinait les documents fournis par le BWH. Après avoir pris en compte les commentaires des auteurs, l’American Heart Association a déterminé que la publication de cet avis de rétractation servirait l’intérêt supérieur du public et du milieu de la recherche. L’American Heart Association retire donc l’article.”
On admire la forme très polie mais en réalité c’est[4] 31 articles du laboratoire de cellules souches cardiaques de P. Anversa qui seront retirés pour falsification ou fabrication de données. Le laboratoire est fermé en 2015 et l’hôpital déboursera 10 millions de dollars pour clore le litige avec le ministère de la justice puisque ce laboratoire avait obtenu des fonds publics. Les travaux de P. Anversa reposent sur l’idée que le cœur contient des cellules souches qui pourraient régénérer le muscle cardiaque[5] . Ses collègues et lui ont affirmé avoir identifié de telles cellules, les cellules c-kit. Diverses équipes de recherche ont tenté de reproduire les résultats de P. Anversa, mais elles ont échoué. Néanmoins, certains scientifiques ont essayé d’injecter des cellules exprimant la protéine c-kit dans des cœurs endommagés, avec des résultats non concluants. “Il n’y a pas de cellules souches dans le cœur. Arrêtez d’essayer de publier des résultats sur ce sujet.” insiste J. Molkentin qui a mis en doute ce concept depuis le début. Ce qui est possible cependant c’est que certaines cellules puissent être utiles pour réparer les cellules du cœur mais nous n’avons pas actuellement de méthode efficiente pour les programmer ou bien que la possibilité de transformation d’une cellule mésenchymateuse en cellule musculaire ne soit possible que chez l’embryon[6] .
En 1746 le Dr J. Lind réalise un des premiers essais thérapeutiques randomisé qui démontre que les agrumes guérissent le scorbut[7]
Depuis ce type d’essais a sauvé des millions d’êtres humains par exemple en leur évitant la saignée qui avait pourtant une reconnaissance officielle mais aussi en mettant en évidence le danger de certains médicaments ou procédures chirurgicales… De nombreux traitements, de nombreuses assertions en médecine sont issues de constatations limitées, de transmissions automatiques ou d’un savoir restreint à certaines écoles de pensée. Ils datent d’avant l’ère des essais cliniques contrôlés aléatoires et de la diffusion électronique de l’information. Il est donc très probable qu’il y ait encore beaucoup d’erreurs beaucoup d’affirmations infondées ou contraire à la réalité dans la pratique médicale. Dans le même temps la transformation rapide des outils thérapeutiques rend rapidement obsolète des gammes entières de médicaments et de traitement interventionnels. Il est donc probable qu’on ne saura jamais que tel traitement n’était absolument pas efficace car il a été supplanté et oublié et que personne m’investira du temps et de l’argent pour s’y intéresser. En revanche il est formidablement utile au patient que les traitements actuels qui n’ont pas de base solide, soient détectés et que ces résultats soient connus de tous. Il y va de l’efficience et aussi de l’optimisation des ressources. Et parfois de la découverte de fraudes.
On oppose souvent la médecine basée sur des preuves de type essai contrôlé et aléatoire à une médecine personnalisée qui n’en n’aurait pas besoin. C’est exactement le contraire. La faiblesse de certaines recommandations médicales n’est pas liée aux essais cliniques, elle n’est pas liée à la médecine basée sur les preuves, elle est liée à ce que l’on pourrait appeler la sous-estimation de nos différences. À l’avenir il est probable que la génomique permette de réaliser des essais cliniques non plus sur une population entière ce qui conduit souvent à une régression à la moyenne des informations mais sur des populations présentant des caractéristiques génétiques particulières. C’est déjà le cas avec un certain nombre de marqueurs génétiques monogéniques qui favorisent la maladie d’Alzheimer, le diabète ou le cancer. Les recommandations seront alors personnalisées sur des critères de différentiation qui pèsent lourd en termes de risque. Heureusement pour certains patients en insuffisance cardiaque grave il y a aujourd’hui d’autres solutions que les “cellules souches”, certes plus lourdes, mais efficaces[8].
[1] https://www.atlantico.fr/decryptage/3567689/therapies-geniques–petits-reperes-pour-distinguer-celles-qui-pourront-nous-guerir-de-celles-qui-affecteront-la-nature-meme-de-l-homme-guy-andre-pelouze
[2] https://www.economist.com/science-and-technology/2011/11/19/repairing-broken-hearts
[3] 10.1001/jama.2019.2341
[4] https://retractionwatch.com/2018/12/13/anversa-cardiac-stem-cell-lab-earns-13-retractions/
https://www.statnews.com/2018/10/14/harvard-brigham-retractions-stem-cell/
[5] https://www.futuremedicine.com/doi/full/10.2217/17460751.1.2.153?select23=Choose&
[6] https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/CIRCULATIONAHA.118.034250
[7] https://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1651
[8] https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/JAHA.117.006408
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