A l’issue de la COP 28 de Dubaï les commentateurs parlent d’un accord historique. Philippe Charlez, expert énergéticien de l’Institut Sapiens a répondu à nos questions à ce sujet : un avis qui tempère cet enthousiasme.
The European Scientist : Dans le communiqué final de la COP 28, les décideurs semblent avoir réussi à s’être mis d’accord sur une sortie des énergies fossiles. Pourtant la veille des rumeurs circulaient que l’affaire était loin d’être gagnée. Peut-on parler de retournement de situation ?
Philippe Charlez : Lors de la COP21, les Grands de ce Monde s’étaient engagés à « limiter la température à 1,5 °C ». Accord déjà qualifié à l’époque d’ « Historique ». Et pourtant…2023 aura été l’année la plus chaude depuis l’ère préindustrielle mais aussi celle des records de consommation de charbon, de pétrole et de gaz. Tout le monde sait aujourd’hui que les Accords de Paris sont inaccessibles et que la trajectoire actuelle nous conduit vers un monde à 2,7° auquel il faudra s’adapter.
Et pourtant huit ans après on continue d’enfoncer le clou en appelant cette fois à « transitionner hors des combustibles fossiles d’ici 2050 ». Le mot « sortir » a donc été banni de l’accord au profit du néologisme « transitionner ». Quoi qu’il en soit la résolution est sans échéancier et non contraignante juridiquement. De retour à la maison chacun l’interprétera à sa guise. Rappelons qu’en 2022 les fossiles représentaient 83% de la consommation d’énergie et que tous les scénarios sérieux prédisent au mieux 40% en 2050.
A qui la faute ? Contrairement aux explications simplistes et idéologiques de certains pointant du doigt la responsabilité des compagnies pétrolières, le blocage réside dans le besoin inéluctable des énergies fossiles pour assurer le développement humain. A tort ou à raison, personne n’est aujourd’hui prêt à sacrifier son niveau de vie sur l’autel du climat. Il y a deux méthodes pour réduire la consommation des énergies fossiles : l’offre ou demande.
En arrêtant tout investissement dans le développement de nouveaux champs comme le réclament certaines ONGs on assécherait rapidement l’offre ce qui conduirait à des prix stratosphériques et donc à une réduction de la demande. Toutefois, quand on connait la réaction de nos concitoyens à de faibles augmentations à la pompe, on ose à peine imaginer leur comportement face à un litre d’essence atteignant 4 ou 5 euros ? Quel gouvernement assumerait une telle situation ? Sans parler des instabilités géopolitiques sous-jacentes dans un monde qui n’a jamais été aussi fracturé.
La baisse de la consommation ne se pourra donc se faire que par la demande c’est-à-dire par le changement de comportement du consommateur. Et celui-ci changera quand il aura à sa disposition un substitut pratique, abondant et suffisamment économique. Hélas pour l’instant tel n’est pas le cas. Historiques ou pas, les Accords de Dubaï ne conduiront pas à moyen terme à une réduction suffisante de la consommation d’hydrocarbures pour espérer en sortir à l’horizon 2050.
TES. : On constate un renouveau du nucléaire mondial, mais il y a eu des engagements pris aussi du côté des renouvelables (solaire et éolien). En France la Ministre Agnès Pannier Runacher s’est prononcée en faveur d’un triplement du nucléaire. Cela fait-il sens pour un pays comme la France ?
P.C. : Le triplement du nucléaire n’est pas une résolution de la COP28 mais résulte d’une décision parallèle portée par une vingtaine de pays dont la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et la plupart des pays est-européens. Cette initiative va effectivement dans le bon sens comme d’ailleurs d’autres au niveau européen concernant les petits réacteurs nucléaires ou la taxonomie verte intégrant dorénavant le nucléaire. S’il faut se réjouir de ce « frémissement » nucléaire amorcé voici deux ans (qui aurait cru au retour du Japon !), il s’agit malheureusement de décisions beaucoup trop tardives. Tripler la puissance aujourd’hui installée équivaut à construire de l’ordre de 500 EPR d’ici 2050 soient 20 par an. Et même si on y arrivait ce qui est peu probable, la part d’électricité nucléaire aujourd’hui de 9% passerait à seulement à 13% car la consommation électrique devrait doubler d’ici 2050. Sur le plan mondial, le nucléaire restera malheureusement une énergie d’appoint.
Comparé aux renouvelables et aux fossiles, le nucléaire porte le poids du temps long avec plus d’une dizaine d’années s’écoulant entre la décision d’investissement et le premier MWh produit. La pause nucléaire de 20 ans imposée par les écologistes pour des raisons purement idéologique ne sera pas rattrapée car il est nécessaire de reconstruire une filière en jachère. Si les décisions actuelles avaient été prises au début du siècle et qu’une partie significative des 6000 milliards de dollars investis dans les renouvelables avaient été injectés dans le nucléaire, la moitié de l’électricité mondiale serait décarbonée. Un rendez-vous lamentablement raté.
Cette situation est malheureusement une mauvaise nouvelle pour le climat car du coup c’est le gaz naturel (beaucoup plus rapide à mettre en œuvre – deux ans pour construire une centrale à gaz) qui accompagnera massivement les renouvelables au cours des prochaines décennies. Selon les estimations de l’Institut Sapiens, le mix électrique français 2050 (consommation presque doublée) serait composé de 40% d’ENR, de 35% de nucléaire et de 25% de gaz. Le retard accumulé sur le nucléaire nous conduit à un paradoxe : le mix électrique français 2050 sera davantage carboné que le mix actuel et sa décarbonation ne sera pas atteinte avant 2065.
TES: La COP s’engage également à tripler les renouvelables (solaire et éolien). Cela a-t-il du sens ?
P.C.: L’un des principaux objectifs affichés est effectivement de tripler la capacité des énergies renouvelables d’ici 2030 cette fois, un autre chiffre en l’air sans en rien se poser la question de son réalisme. La croissance des ENR dans le monde est certes inédite avec 20% par an pour le solaire et 9% pour l’éolien au cours de ces dernières années. En théorie, la poursuite d’une telle croissance pourrait permettre d’atteindre cet objectif de triplement. Mais derrière ce triplement se cachent d’énormes besoins en béton, en acier et en métaux critiques (notamment en cuivre) et en ressources. Mais, même en admettant l’objectif possible on en revient toujours au problème d’intermittence : la croissance des renouvelables doit être supportée par une source pilotable qui ne pourra être que le gaz. Les renouvelables joueront un rôle très important dans le mix électrique du futur mais ne pourront vivre seuls. En lançant les ENR de façon isolée on fera une fois encore le jeu du gaz naturel. L’Energiewende Allemand en est un exemple flagrant. Les grands Compagnies gazières l’ont d’ailleurs très bien compris. Ce n’est pas par hasard si elles ont applaudi les conclusions de la COP qui fait d’ailleurs mention du gaz comme énergie de transition. Pourtant l’Europe semble se cacher derrière son petit doigt : privé du gaz russe, il est impératif que le vieux continent sécurise ses futures importations gazières.
Ouvrage de Philippe Charlez
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