La viticulture biologique est une belle idée. Sa mise en pratique n’est pas sans poser des problèmes.
Dans un contexte mondial de prise de conscience du réchauffement climatique et de la perte de la biodiversité, l’agriculture traditionnelle intensive est soumise à de fortes pressions de changement pour aller vers une production plus respectueuse des écosystèmes. Même si les puissants lobbys de l’industrie agro-alimentaire et leurs relais politiques s’accrochent à leurs privilèges, les consommateurs des pays ayant accès à l’éducation et qui en ont les moyens financiers s’intéressent de plus en plus à des méthodes de production alternatives. La viticulture n’échappe pas à ce phénomène bien que dans la plupart des vignobles elle soit moins concernée que l’agriculture par ses caractéristiques propres. L’alternative la plus en vogue actuellement et qui va certainement se renforcer dans les prochaines années est la culture dite « biologique ».
Qu’entend-on par culture « biologique » ?
La plupart des gens pensent qu’elle consiste à laisser gambader les animaux de ferme dans les prairies, ou laisser pousser les légumes ou la vigne, sans les arroser de « pesticides «. Ce terme est bien malheureux car associé au mot français « peste », maladie infectieuse responsable d’épidémies de sinistre mémoire. Or en réalité ce terme vient de l’anglais « pest » qui signifie animal, insecte ou plante nuisible, avec le suffixe « -cide » qui signifie éliminer, tuer. Cette confusion sémantique n’est pas sans importance car elle contribue à véritablement diaboliser tous les produits dont le but premier est de protéger les cultures contre les animaux, les insectes ou les plantes qui peuvent détruire les récoltes. La mauvaise réputation de ce mot a été bien sûr alimentée par les excès catastrophiques de l’industrie agro-alimentaire qui a associé ces produits à des OGM résistants à leur épandage intensif.
La recherche par les consommateurs de produits plus « naturels » est dans ce contexte bien compréhensible et même souhaitable, d’où la création de nombreux labels « bio » dont la multiplicité rend la signification de moins en moins lisible.
La culture bio, ce n’est pas simplement se passer de pesticides.
C’est toute une philosophie, une approche différente qui vise à mieux respecter les équilibres naturels, des sols notamment, en retrouvant une meilleure biodiversité. Tous ceux qui comme le soussigné ont renoncé aux herbicides partout où c’est possible dans nos vignobles de Lavaux escarpés et peu mécanisables, ont remarqué avec quelle rapidité la flore naturelle retrouvait sa place et ne laissait plus d’espace pour les herbes indésirables. Autre exemple : la vie des sols s’améliore avec la présence de beaucoup plus de vers de terre qui prouvent cette activité organique retrouvée.
Les problèmes principaux du « bio » en viticulture.
Ils résident non pas dans le travail du sol, mais dans la protection de la vigne et de ses raisins contre les maladies qui la menacent. Ce sont surtout le mildiou, l’oïdium et la pourriture, toutes dues à des champignons microscopiques. Les vignerons qui y réfléchissent avec un peu de recul, sans dogmatisme, sont confrontés à de véritables dilemmes : pour la plupart des labels « bio », les seules substances autorisées pour protéger la vigne sont le cuivre, efficace contre le mildiou, et le soufre, contre l’oïdium. Le soufre, très volatile ne pose guère de problème environnemental mais le cuivre…C’est un métal lourd que les labels « bio » permettent d’utiliser jusqu’à 4 kg/hectare de cuivre-métal par année. Et là on peut légitimement se poser la question de l’impact écologique de telles quantités de cette substance qui reste dans le sol ou finit dans les lacs ou les cours d’eau. D’où la recherche d’autres solutions pour protéger la vigne, en utilisant des préparations de cuivre à beaucoup plus faible dose grâce à l’adjonction de lait maigre qui en améliore nettement l’efficacité. Et/ou l’utilisation d’autres substances comme des extraits d’algues ou d’autres stimulants de l’immunité. Certains qui croient à l’astrologie et à des théories cosmiques et occultistes sans fondement scientifique (biodynamie) y adjoignent aussi des tisanes et d’autres substances censées améliorer la santé de la vigne.
Un autre aspect controversé de la culture « bio » est la multiplicité des traitements de protection par rapport par exemple à la culture dite raisonnée. Ceci est dû au fait que les produits « bio » sont dits de contact, et donc lessivés par les pluies, ce qui nécessite de les renouveler fréquemment, dès qu’il y a eu 20 mm de pluie. Or les traitements de protection sont appliqués soit à l’aide de tracteurs ou de chenillettes, qui polluent forcément et compactent les sols, soit à l’aide d’atomiseurs à dos, équipés de moteurs 2 temps, très bruyants de surcroit et épuisants pour le personnel.
Quel est donc le bilan final du point de vue écologique ? Utilisation massive souvent d’un métal lourd, traitements fréquents, polluants et bruyants versus utilisation de produits de synthèse, dont plusieurs sont utilisés depuis des décennies en médecine humaine sans effets secondaires comme les dérivés de l’éconazole ?
De plus en plus de vignerons se posent vraiment la question et surtout essaient de trouver des solutions meilleures que celles à disposition à ce jour.
Le climat en Suisse n’est pas celui des pays du Sud
Dans les vignobles suisses, sauf pour le Valais, nous devons composer avec un climat beaucoup plus humide que dans la plupart des grands vignobles mondiaux, ou la sécheresse diminue énormément le risque de maladies de la vigne….au prix souvent d’installations d’arrosage au jet ou goutte-à-goutte dont on devine l’impact écologique. Bref rien n’est simple ni anodin et de nombreuses questions se posent encore pour lesquelles il faut laisser un peu de temps aux vignerons pour inventer de nouvelles approches qui répondent aux défis légitimes de notre époque.
La viticulture biologique adaptative
Le choix stratégique d’une viticulture biologique que j’ai appelée « adaptative », c’est-à-dire qui fait au mieux en fonction des exigences climatiques variables et de la situation géographique, sans dogmatisme, pourrait être une solution pragmatique et évolutive pour l’avenir du vin suisse en particulier. Cette démarche, qui ne rentre pas dans le cadre ultra-rigide des labels dits « bio » doit expliquée de façon honnête et transparente avec ses implications tant sur le plan de la charge de travail qu’en terme de coûts de production. Ainsi le lien de confiance entre le consommateur et le vigneron sera préservé et même amplifié par la reconnaissance de ces efforts écologiques majeurs.
Bonjour,
Merci de faire un peu la lumière dans ce méli-mélo opaque qu’est l’agriculture Bio pour la plupart des gens « urbain déconnectés de l’agriculture » (attention ce n’est pas péjoratif juste un constat) du 21ém siècle. Je suis Français et il faut dire que chez nous les médias n’aident pas vraiment à comprendre le vrai du faux et le pauvre consommateur est perdu avec un matraquage récurent de faux messages (tel que vous le citez dans votre article) : le Bio c’est naturel, on ne traite pas, etc. Je me permet de vous dire qu’il aurait été peut être utile de rappeler la définition en terme de pesticides utilisables en Bio, c’est a dire qu’il y a des produits phytos utilisés mais non issus de molécules chimique de synthèse (bien que souffre et autres produits sont tout de même fabriqués a partir de l’industrie petro-chimique…). Mais comme vous le dite la plupart des gens imagine que le Bio c’est l’excellence, le top du top, que les adventices poussent en associations avec la vigne, que les gentils auxiliaires vont manger les méchants ravageurs etc, bref que la nature est bonne par nature et que tout va s’auto-réguler…ce qui dans la pratique est loin d’être le cas. Là encore, sur la vie du sol, le Bio et ses pratiques ne sont pas non plus exemplaires. De fait, on constate (en France sur les parcelles que je surveille) un appauvrissement des vers de terre du fait du travail du sol permanent et une diversité microbienne moindre car le sol est perturbé. En revanche la quantité de micro organismes elle est bien plus importante. Enfin bref, tout ça pour dire que je ne critique pas le Bio, au contraire c’est une première étape pour aller de l’avant mais ce n’est pas suffisant. Vous parlez à la fin du stratégie de culture adaptative et je pense sincèrement que vous êtes dans le vrai. La vérité n’est jamais dans les pratiques extrêmes : 100% Bio VS 100% conventionnel. Il y a du bon dans les 2 méthodes…et du moins bon. Il faut piocher ce qui fonctionne et laisser le reste tout en essayant de faire au mieux. En ce sens, je trouve que les démarches HVE3 qui fleurissent en France sont plus pertinentes car cela comprend l’écologie et la réflexion sur la stratégie phyto.
Encore une fois je ne tape pas sur le Bio, c’est simplement qu’il devient exaspérant d’entendre que c’est l’avenir alors que c’est imparfait (Bilan carbone? Agroécologie?) et que de toute façon le consommateur n’est pas forcement prêt à payer plus cher pour des produits qui demandent plus de soins. Je vous donne mon regard français sur la chose. Pour avoir habité en Suisse je sais que c’est assez différent chez vous.
En tous les cas merci pour l’article qui remet un peu les pendules a l’heure mais qui mériterait d’être plus détaillés et d’aller plus loin en expliquant concrètement vos pistes de réflexion, votre ressentis : donnez des détails, des cas concrets et des exemples. Car votre point de vue est intéressant.
Bonne journée