On ne présente plus Jean De Kervasdoué. Economiste de la santé, ancien directeur des hôpitaux de Paris, cet ingénieur agronome de formation, membre de l’académie des technologies est un fervent défenseur du rationalisme scientifique. En tant que tel, il est sans doute l’un des tous premiers critiques de l’écologisme, autrement dit, l’écologie politique qu’il ne faut pas confondre avec l’écologie scientifique. C’est dans ce cadre qu’il vient d’écrire « La Grande Mystification, Ecologie : une imposture qui ne dit pas son nom »*, son sixième ouvrage consacré à ce sujet. Après nous avoir invité à ouvrir les yeux et dénoncé la mainmise des écologistes sur l’appareil d’Etat, dans un style impeccable argumenté, truffé d’exemples accessibles à tous et avec de nombreuses touches d’humour, Kervasdoué enchaine les analyses renversantes. Pour ceux qui souhaitent un aperçu, l’auteur a accepté de répondre à nos questions : politique scientifique, climat, éoliennes, véhicules électriques, biotechnologies végétales, épidémie d’obésité, agriculture, bio, nucléaire, rôle de la science… l’ingénieur polymathe va à contre-courant d’une idéologie qui abuse de moins en moins de monde.
The European Scientist : La grande mystification est votre 6ème ouvrage pour dénoncer les errances de l’écologie politique. Quelle raison vous a poussé à écrire de nouveau sur le sujet ? En tant que précurseur pensez-vous avoir eu une influence sur les nombreux auteurs qui endossent désormais le même cheval de bataille?
Jean de Kervasdoué : Parce que les croyances infondées des écologistes politiques conduisent à la ruine de la France sans bénéfice écologique tangible et ne protègent en rien les Français des conséquences du réchauffement climatique. La France se désindustrialise, son agriculture est en perte de vitesse, le prix de l’électricité explose, l’industrie automobile est en crise et l’on se paye le luxe de ne pas aménager ruisseaux et rivières, d’arrêter la construction de barrages, de croire qu’il peut exister une agriculture sans produits phytosanitaires, que l’hydrogène est la source d’énergie de demain, que le nucléaire ne serait que provisoirement toléré (pas de construction nouvelle après 2040), que les sources d’énergie intermittentes et renouvelables (éoliennes et panneaux solaires) vont pouvoir seules répondre à la demande d’énergie électrique, que l’on voudrait sécuriser l’approvisionnement des matières premières mais que l’on refuse d’ouvrir des mines, qu’il sera possible de ne plus vendre des voitures à moteur thermique en 2035….
Mais la mystification essentielle est que l’on a laissé croire que l’on pourrait en 2050 ne plus rejeter de gaz à effet de serre. En cherchant à atteindre cet objectif inatteignable, on sacrifie la croissance économique qui pourtant, seule, un jour, permettra d’y parvenir. En outre, on n’investit pas assez pour adapter notre mode de vie au réchauffement en laissant croire que nous, les Français, voire nous les Européens, auront un poids suffisant pour empêcher la Chine, l’Inde, le Nigéria, le Brésil, la Russie, voire la Pologne … de construire des centrales électriques au charbon ou au gaz. On s’étouffe donc à petit feu.
Il est toujours difficile de connaître l’influence que l’on pourrait avoir et il est heureux d’être en bonne compagnie, celle de ceux qui croient encore à la raison et en l’existence de faits.
TES. : Les critiques toujours plus nombreuses pour dénoncer la « mystification » dont vous parlez, n’ont pourtant pas empêché l’écologie politique d’avoir pignon sur rue et d’ailleurs vous parlez de « la mainmise de l’écologisme sur l’appareil d’Etat. » Comment a-t-on pu en arriver là ?
JDK : Les Grandes Associations (Greenpeace, WWF …), le plus souvent financées par des Fondations qui ne sont jamais très éloignées des industries pétrolières ou gazières travaillent sans relâche au sein de la Commission européenne. Il en est de même du Gouvernement allemand dont une de ses excroissances a ses bureaux au sein du Ministère de l’environnement français ! En outre quand on analyse année après année l’évolution du marché de l’électricité, on constate le prix payé par l’alliance entre la Gauche de gouvernement et les écologistes, influence qui n’a d’ailleurs que peu décrue avec les gouvernements de la Droite.
En outre, les corps techniques ont perdu leur influence au sein de l’appareil d’État. De surcroît, les gouvernements ont préféré les « conférences citoyennes » à l’expertise de l’académie de sciences ou de celle des technologies. L’audition à l’Assemblée nationale d’Yves Bréchet, qui fut délégué général à l’énergie atomique, est tristement édifiante : ses notes aux ministres n’étaient pas lues.
TES. : Le sujet est sérieux et pourtant vous réussissez à placer de nombreuses touches d’humour. Notamment une comparaison avec le malade imaginaire de Molière. Pourquoi selon vous nous avons à faire à des Diafoirus ?
JDK : Il suffit de regarder la télévision chaque soir pour entendre dire que s’il fait chaud, froid, sec, humide, que s’il y a des inondations, des éboulements de terrain ou de terribles sécheresse, c’est le réchauffement climatique. Il n’est pas impossible qu’il accroisse la fréquence de certains phénomènes, mais dans 99% des cas, il y a eu des années du 19ème siècle où il faisait plus chaud, plus froid, plus humide, plus sec.
Bien entendu, Molière, ou plutôt la servante Toinette déguisée en médecin qui répond à chaque plainte du malade imaginaire par « le poumon », se traduit aujourd’hui par « le réchauffement » ! Plus profondément, Molière dans la bouche de Beralde (le beau-frère du Malade imaginaire) dit : « Votre monsieur Purgon, par exemple, n’y sait point de finesse ; c’est un homme tout médecin, depuis la tête jusqu’aux pieds, un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes démonstrations des mathématiques et qui croirait des crimes à les vouloir examiner … ». On ne débat pas d’un dogme, sous peine d’être excommunié par la presse bienpensante, nous sommes plusieurs à le savoir.
TES. : Vous ne remettez pas en cause le GIEC mais vous avez un regard critique sur les questions liées au climat. Ne craignez-vous pas d’être taxé de climato-sceptique, ce d’autant plus que vous vous réjouissez du fait que les vendanges ont lieu plus tôt ?
JDK : A l’évidence la Terre se réchauffe et les hommes en sont la, ou tout au moins, une des causes majeures. Il est vrai, notamment, que les vendanges, comme les moissons se font plus tôt qu’il y a un demi-siècle. Néanmoins les modèles du GIEC demeurent des modèles. En outre, et surtout, il est absolument évident que la France et l’Europe, quels que soient leurs louables efforts, ne vont pas inverser la tendance des rejets mondiaux de gaz à effet de serre. Ils continuent de croitre, or ce constat, tout aussi évident que celui du réchauffement, devrait conduire nos politiques à tout faire pour adapter nos modes de vie à ce nouveau climat. On estime qu’à l’heure actuelle 95% des investissements portent sur le contrôle des émissions et seulement 5% Pour l’adaptation. Il faudrait que ce soit au moins la moitié.
TES. : Qu’il s’agisse du véhicule électrique ou des énergies renouvelables, vous dénoncez le non-sens de politiques souvent menées depuis Bruxelles. Pouvez-vous expliquer ?
JDK : Les véhicules électriques ont leur place. Ils ont des qualités et des avantages évidents quand l’électricité est décarbonée, ce qui est le cas en France, mais pas en Allemagne. Les non-sens ont été que leur vente a été subventionnée au plus grand bénéfice de la Chine et surtout que cette politique est en train de tuer l’industrie automobile européenne et les moteurs thermiques pas toujours moins polluants que les moteurs électriques.
Quant aux énergies renouvelables, utiles elles aussi, elles ont été favorisées au détriment du nucléaire. On a donc, pour elles, en France, décarboné une énergie qui l’était déjà. En outre, on a fait l’hypothèse, qui se révèle fausse, à savoir que la consommation d’énergie électrique allait augmenter. Il fallait donc faire flèche de tous bois, à n’importe quel prix, d’où la très forte croissance du prix du KWH.
TES. : Vous consacrez un chapitre assez long à « Moins on cuisine plus on redoute ce que l’on mange » dans lequel vous montrez que malgré les efforts faits sur l’information nutritionnelle, l’épidémie d’obésité continue de se répandre. Comment expliquer ce phénomène ? Que faire en terme de santé publique ?
JDK : C’est une question difficile car l’on a beaucoup investi dans cette lutte contre la malbouffe. Faites de l’exercice ! Mangez cinq fruits et légumes par jour ! Ces recommandations sont excellentes, comme l’est le nutriscore qui marque d’une couleur les aliments selon qu’ils sont plus ou moins caloriques, plus ou moins bons pour la santé. Plus discutable, car leur bienfait nutritionnel, voire organoleptique, n’a jamais été démontré, est la campagne d’achat des aliments « bios », notamment dans les cantines scolaires. Pourtant, force est de reconnaitre que le taux de surpoids et d’obésité s’accroit en France chez les jeunes si bien que notre pays n’est plus exemplaire.
Je crois que la peur, le plus souvent infondée, des risques sanitaires dues à la présence d’infimes traces de tel ou tel produit chimique, notamment les produits phytosanitaires, conduit à rejeter un comportement raisonnable. Puisque tout est dangereux, autant manger ce qui me fait plaisir et qui m’est familier. Par ailleurs, les habitudes alimentaires changent. A Paris, 25% des habitants ne font plus de cuisine. Les repas familiaux à heure fixe disparaissent progressivement. Les mamans travaillent et ne sont plus à la maison pour préparer une soupe et faire mijoter une blanquette ou un pot-au-feu. Aussi, on commande des pizzas ou autres plats transformés. En conséquence, je pense qu’il faut mettre l’accent sur l’alimentation et non plus seulement sur les aliments
TES. : Qu’il s’agisse d’agri ou de sylviculture, vous montrez que les militants sont totalement coupés de la réalité et qu’ils ignorent tout aussi bien des pratiques agricoles et/ou forestière que de la nature. Comment remédier à cette situation ?
JDK : L’obscurantisme me désole et me désarme. Comment expliquer à ces urbains, enfants de Bobos, que les arbres sont des êtres vivants, qu’ils naissent, grandissent et meurent ? Si l’on veut stocker du carbone dans le bois d’œuvre, il faut donc couper des arbres puis en replanter. Les laisser sur pieds conduira à leur destruction et aura à terme un bilan carbone nul. Bruler des scieries comme le font certains écologistes est aussi criminel que stupide.
Quant à l’agriculture, elle n’existe pas sans produit phytosanitaire, fussent-ils « bios ». Ainsi au cours de cette année très humide, la vigne a été à maintes reprises sulfatée avec une efficacité faible si bien que certains vignerons ne pourront pas bénéficier du label « bio ».
Enfin et surtout, l’interdiction française d’investir dans la recherche de variés résistantes au stress hydrique ou aux grandes chaleurs, grâce aux techniques modernes de génie génétique, est un crime et nuit fortement à l’agriculture française. Il existe aujourd’hui dans le monde 220 millions d’hectares plantés en OGM, dont plus de 73 aux Etats-Unis ! J’aimerais connaitre une étude qui indique que parmi les 4 000 OGM plantées aujourd’hui dans le monde, il y en aurait une qui indiquerait que cette plante serait dangereuse pour la santé. La réalité est inverse car certains OGM permettent de palier à des carences en vitamine, en outre ils sont plus sains c’est pourquoi ils sont plus onéreux quand leurs graines sont vendues sur le marché mondial
TES. : Les militants, dites-vous, profitent de l’ignorance du public pour manipuler les peurs. Cela commence comme vous le soulignez avec une incompréhension des ordres de grandeur, puis une totale ignorance des grands principes scientifiques. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
JDK : Nous sommes tous radioactifs et émettons chacun environ 55 000 becquerels par seconde, si nous pesons 70 kilos. Si l’on sait que nous sommes tous radioactifs, on ne peut donc pas craindre ce phénomène en tant que tel mais on doit seulement se poser la question de la dose toxique, de fait très élevée. Le débat change alors de nature. Il en est de même des produits chimiques. La chimie analytique permet de déceler des substances au milliardième de gramme or, à ce niveau, elles ne sont, le plus souvent, pas dangereuses. Le gout du Kirsch est donné par l’ion CN-, un poison terrible utilisé par les Nazis. Cela ne m’empêche pas d’en boire … raisonnablement.
Une autre manipulation est souvent utilisée pour défendre les éoliennes. On s’enorgueillit de la puissance installée (20,7 GW) en oubliant que l’on ne consomme pas des gigawatts mais de gigawattheure. La puissance potentielle ne dit rien de la production d’électricité, seul compte le moment où elles fonctionnent, en gros un quart de leur temps.
TES. : Dans un chapitre intitulé « La République n’a pas besoin de savants » Vous blâmez les politiques en opposant deux méthodes qui sont, d’une part, la convention citoyenne, d’autre, part la commission d’enquête sur le nucléaire. Cela veut-il dire pour autant qu’on ne peut confier la politique scientifique qu’aux experts ?
JDK : Bien entendu non : politique et expertise sont de nature différente, mais il vaut mieux bâtir une politique de l’énergie sur le savoir scientifique que sur des croyances charlatanesques. La « conférence citoyenne sur le climat » a démontré comment 150 Français de bonne volonté pouvaient être manipulés, ce qui n’est pas le cas de l’Assemblée Nationale ou du Sénat dont les rapports en la matière sont remarquables.
TES. : Comment imaginez-vous l’avenir de la France et de l’UE, sachant que les autres continents se jettent à corps perdus dans l’innovation scientifique et technologique. Une politique de décroissance telle que la souhaite Bruxelles est-elle souhaitable ?
JDK : Si j’écris encore c’est pour tenter de convaincre mes concitoyens et les politiques du drame que ces croyances infondées produisent car elles détruisent, comme le plus mortel des virus, notre agriculture et notre industrie, sans aucun bénéfice écologique tangible.
Par Honoré Daumier — https://collection.barnesfoundation.org/objects/6987/details, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=67539042
Sur le même sujet
Quatorze ouvrages à offrir pour ne pas céder au catastrophisme