Jamais le sujet des FOP (front of pack) n’aura autant fait débat en Europe. Mardi 15 Décembre avait lieu à Bruxelles un conseil agriculture et pêche des ministres (1) lors duquel les différents pays n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une approche commune du sujet : les Allemands qui présidaient réclamaient un étiquetage obligatoire de type Nutriscore, pendant que l’Italie, la Grèce et la République tchèque s’opposent toujours à cette solution. Le débat a essentiellement porté sur la possibilité d’avoir un système d’étiquetage basé sur la science et Janusz Wojciechowski, le commissaire européen à l’agriculture qui a tenté de mettre tout le monde d’accord a conclu la séance en promettant que la future proposition d’étiquetage reposerait sur une science bien établie. Mais est-ce possible ? C’est la question que traite en profondeur Raphael Sirtoli dans cette analyse.
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Sans qu’on y prenne garde les FOP (Front-of-package food labels) ont envahi nos rayonnages. Les consommateurs ont vu apparaitre ces petites étiquettes colorées pour les aider à faire des choix alimentaires. Alors que le sujet est actuellement débattu au niveau européen dans le cadre du plan F2F (from Farm to Fork), il semble essentiel de s’interroger sur la validité scientifique du concept.
Des recommandations ou repères diététiques construites sur une pauvre science et peu de données
Pour bien comprendre l’origine des FOP il faut se plonger dans l’histoire des sciences : on retrouve les lignes directrices de notre façon de nous alimenter dans l’histoire de la société américaine. Comme le rapporte Anahad O’ Connor dans New York Times c’est à partir d’études biaisées qui ont été produites à la fin des années 1950(3) qu’en 1977, le service nutrition du département d’Agriculture des USA a rédigé le projet de « dietary guidelines » (les directives diététiques) qui avait pour ambition d’indiquer au citoyen américain ce qu’il doit manger. Notons qu’à cette époque, il y avait un sentiment d’urgence dû au nombre de maladies cardiovasculaires en hausse. Ce sont ces mauvaises bases qui influencent encore aujourd’hui nos recommandations alimentaires et par défaut, les artefacts qui en découlent tels que les FOP – l’étiquetage alimentaire.
La mauvaise science des recommandations alimentaires obéit donc comme on le voit à un processus incrémental : des études scientifiques biaisées, puis des politiques qui prennent des décisions à partir de ces résultats. On a dit aux consommateurs de manger plus de graines, plus de glucides et moins de gras…. Hélas de toutes ces hypothèses nutritionnelles, aucune n’a jamais été corroborée par des études expérimentales sérieuses. Il n’est donc pas exagéré d’en déduire que les étiquetages alimentaires donnent des scores basés sur cette mauvaise science.
Les leçons de la biologie évolutionniste
Aujourd’hui toutes les théories sérieuses en matière d’alimentation humaine puisent leurs connaissances de la biologie évolutionniste. Or, lors de la création des recommandations diététiques de la fin des années 70, les diététiciens n’ont pas pris en comptes les études avec des niveaux de preuves suffisantes sur les besoins nutritionnels ainsi que le contexte métabolique en fonction des macronutriments.
Ces études sont pourtant de toute première importance, car une grande partie de la population en surpoids ou qui souffre de maladies chroniques ont des besoins très différents de la moyenne statistique. Ainsi pour certains vitamines et minéraux on s’est basé uniquement sur des moyennes épidémiologiques et non sur de la vraie science expérimentale. Hélas la plupart des scores – en particulier le Nutriscore – reflètent cette méconnaissance. Les recommandations sont irréalisables en grande partie et on arrive ainsi à des paradoxes nutritionnels et des erreurs fondamentales.
Les scores essayent de corriger ces dernières qui se trouvent à l’origine de nos recommandations diététiques, cela ne peut forcément pas marcher. Ce qui s’en suit, c’est plus d’obésité plus de diabète, plus de problèmes métaboliques. Les scores sont là pour cacher tous ces problèmes et justifier les erreurs de l’industrie. Ils nous disent que les céréales Chocapic peuvent avoir un score A mais les sardines un score C ! De ce fait, ils ne font que refléter une absurdité scientifique.
Dépasser la mauvaise science des scores
Ce que les scores ne seront jamais capables de faire, une application, elle, peut s’en charger – ceci ajoute à leur non-scientificité. Si on prend par exemple la possibilité de choisir sa nourriture en fonction des paramètres métaboliques, avec un FOP, c’est impossible. Pourtant c’est essentiel et pour la bonne raison que nous ne sommes pas tous égaux face aux mêmes produits alimentaires. Si on considère un paramètre vital tel que le taux d’insuline, chaque individu doit comprendre que son métabolisme va réagir à certains aliments de manière positive ou négative. On peut établir un index d’insuline en mettant une note entre 0 et 10. Ainsi les gens seront informés que s’ils ingèrent tel ou tel aliment, ils secrèteront davantage d’insuline. En fonction de ces données ils seront capables de choisir leur alimentation, une information essentielle pour tout ce qui est diabète et perte de poids. Ce paramètre, en plus de faire sens, est mesurable, tangible, vérifiable en laboratoire et cautionné par la biologie évolutionniste (on ne consommait pas autant d’aliments fortement insulinogènes dans notre passé lointain).
A l’aide de ce type d’indicateur, quelqu’un qui voudrait perdre du poids pourrait le faire en favorisant les aliments peu insulinogènes, identifiable avec le score d’insuline Nutrita (4), l’application développée par mon équipe. Elle permet de garder un œil sur le ‘dietary insulin load’ (ou la charge d’insuline journalière provenant d’une diète). Elle fournit également un keto score, qui permet aux gens de choisir des aliments favorisant la cétose nutritionnelle, de loin le meilleur traitement pour le diabète de type 1 et 2. Le troisième et dernier indicateur est le score de densité nutritionnel. C’est le ‘bijoux’ scientifique de l’équipe puisqu’il prend en compte plusieurs facteurs physiologiques que les recommandations gouvernementales n’intègrent malheureusement pas. Par exemple, la biodisponibilité des micronutriments et leurs équivalences en termes de versions actives et inactives. Ainsi les utilisateurs peuvent choisir des aliments en fonction de leurs besoins métaboliques, de vitamines et de minéraux.
Cette parenthèse permet de revenir sur une lacune majeurs des FOP: ces derniers ne prennent pas en compte le fait qu’une vitamine est active ou inactive, si elle provient d’une plante ou d’un animal. Et pourtant tous ces paramètres sont essentiels car ils déterminent une différence substantielle : le bêta-carotène des carottes, par exemple, n’est pas la forme active de la vitamine A. On doit le convertir dans la forme active, appelée rétinol. Il y a vraiment une différence en termes de densité nutritionnelle : manger une carotte, ne revient pas à manger l’équivalent en foi de bœuf…. Hélas, une fois de plus, les FOP ne font pas ces distinctions et c’est regrettable. Pour que les scores soient considérés comme scientifiques, il faut penser à tous ces paramètres.
Qu’il s’agisse d’industrie pharmaceutique, agro-alimentaire ou encore de grande distribution, aucune n’a l’intention de changer à présent. Tous ces acteurs produisent principalement des aliments à faible valeur ajoutée qui créent des addictions chez les consommateurs (e.g. pates, pâtisseries, bonbons…). Ces derniers, quant à eux, voulant souvent bien faire malgré tout, sont induits en erreur et les scores actuels renforcent malencontreusement ce cercle vicieux entre l’industrie qui bénéficie du consommateur accros. La diététique est une discipline encore jeune et scientifiquement, elle est au moyen âge. Si elle adopte la théorie de Darwin (et un peu de bon sens) elle fera un pas en avant majeur !
(1) https://www.consilium.europa.eu/en/meetings/agrifish/2020/12/15-16/
(2) https://www.euractiv.com/section/agriculture-food/news/ministers-approve-blueprint-for-animal-welfare-label-verdict-still-out-on-nutritional-labels/
(3) https://www.nytimes.com/2016/09/13/well/eat/how-the-sugar-industry-shifted-blame-to-fat.html
(4) Pour explorer ces sujets plus profondément vous pouvez visiter le blog de Nutrita. L’application est disponible ici.
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