Pour ceux qui croient que la science est un langage universel, quelque chose de troublant s’est produit pendant la crise du Covid-19: alors que les gouvernements occidentaux se réclamaient tous de « LA » Science pour leur choix stratégiques, chaque pays semblait être guidé par une science différente. Pourquoi ?
La Science un language universel
La pratique scientifique est basée sur des faits établis expérimentalement et collectés par des gens formées par les universités, les chercheurs. Elle suit des protocoles établis par eux et embrasse généralement les meilleures pratiques dans le domaine. Les résultats et les données sont généralement sujettes à interprétation et peuvent donc conduire à des conclusions différentes, en particulier lorsque les données ne sont pas entièrement claires ou en conflit avec des données publiées précédemment.
Cependant, concernant l’épidémie de Covid-19, une grande partie des données liées à la létalité du SRAS-CoV2 et à sa capacité de se propager étaient raisonnablement claires à un stade assez précoce de la pandémie, tout comme l’efficacité des mesures de confinement qu’il fallait adopter afin de contrôler la contagion. Le 31 décembre, des scientifiques chinois ont annoncé publiquement qu’un virus dangereusement contagieux et potentiellement mortel avait infecté l’homme. Peu de temps après, sa transmission d’homme à homme a été confirmée. Le 31 janvier, l’OMS a déclaré une urgence mondiale. Une telle déclaration aurait dû inciter tous les gouvernements à prendre des mesures immédiates de confinement pour protéger leur population. Seuls les Asiatiques de l’Est et finalement les Australiens, les Néo-Zélandais et quelques autres ont réagi suffisamment tôt et ont été plus ou moins épargnés. En Italie, France, Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, par contre, les autorités ont réagi trop tardivement, ce qui les a conduits au désastre.
Ce qui est frappant, c’est que ces gouvernements ont tous prétendus que leurs actions étaient inspirées par les évidences scientifiques. Bien sûr, pour certains gouvernements, on peut douter de la sincérité de cette assertion. Par exemple, nous savons maintenant que, le jour même (le 3 Mars) où le Premier Ministre britannique serrait la main de patients infectés par le coronavirus, son groupe d’experts recommandait que personne ne le fasse. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvions qu’applaudir le fait que nos gouvernements, en général, semblaient enfin prêter attention à ce que les scientifiques avaient à dire. Le problème est que, apparemment, les conseils que les scientifiques faisaient passer semblaient différer d’un pays à l’autre. En fait, les avis scientifiques semblent avoir été très différents selon leur origine géographique.
Immunité collective ou confinement, masque ou pas masque
Prenez « l’immunité collective ». Ce concept a été omniprésent dans les cercles scientifiques britanniques influençant la politique gouvernementale du Royaume Uni au début de l’épidémie. L’idée était de laisser le virus se propager librement parmi la population du pays jusqu’à ce qu’un seuil d’immunité collective soit atteint. Une fois atteint, la contagion subside et disparaît. Le concept d’immunité collective est bien établi dans le monde de la science des vaccins. Pour le vaccin contre la rougeole, par exemple, il est bien connu que 93 à 95% de la population doit être vaccinée pour atteindre le seuil d’immunité collective. Le problème avec le concept d’immunité collective est qu’il ne s’applique en toute sécurité qu’aux vaccins, pas aux épidémies virales en cours, et encore moins aux virus pour lesquels nous ne savons rien. Le conseiller scientifique en chef du gouvernement britannique (GCSA), fervent partisan de l’immunité collective, affirmait le 13 Mars qu’un seuil de 60% pour le SRAS-CoV2 devrait être atteint pour que l’immunité collective puisse se déclencher, ce qui était étonnant car SRAS-CoV2 étant un virus nouveau, son seuil d’immunité collective n’était pas connu. Par contre, ce qui devint rapidement très clair, c’est qu’une propagation indiscriminée du virus aurait eu un coût humain exorbitant, probablement des centaines de milliers de victimes, un coût qu’aucun gouvernement ne pouvait se permettre d’assumer. Le 23 mars, les britanniques abandonnaient l’idée d’immunité collective et entraient en confinement ! Ce qui est intéressant, c’est que aucun autre responsable ou conseiller scientifique en Europe continentale ou en Asie n’a fait la promotion d’une politique sanitaire basée sur le concept d’immunité collective. Est-ce que l’exceptionnalisme britannique explique ce comportement singulier ? Il le semble.
Un autre exemple où les avis scientifiques semblent avoir divergés d’une région à l’autre du monde concerne la question de l’utilité des masques. Les masques sont-ils efficaces pour stopper la propagation de la maladie et offrent-ils une protection aux personnes qui les portent ? Lorsque vous demandez à un chercheur chinois ou sud-coréen ou à un membre du public dans ces régions si un masque doit être porté, la réponse est un « oui » retentissant. Il ne fait aucun doute dans leur esprit que le port du masque, associé à l’éloignement, constitue un moyen efficace de contenir la contagion. Et ils ont raison : de nombreuses études scientifiques suggèrent que les masques faciaux offrent un moyen de protection. Pourtant, les avis scientifiques en Occident ont été étrangement incohérents sur cette question. En conséquence, la position de plusieurs gouvernements de pays occidentaux, sans aucun doute inspirés par leurs conseils scientifiques, a évolué de façon remarquable, rejetant d’abord l’usage des masques mais recommandant leur utilisation plus tard.
Des conclusions prématurées
Enfin, une forte dose de présomption peut aussi influencer négativement le jugement des chercheurs. Par exemple, prenez la promotion de l’hydroxychloroquine comme remède contre Covid-19 par le professeur Didier Raoult en France, rapidement relayée par des personnes influentes. Le Dr Raoult a commencé à utiliser l’hydroxychloroquine dans le traitement des maladies infectieuses bactériennes dans les années 1990. Il a démontré qu’une antibiotique administrée avec une dose d’hydroxychloroquine est efficace dans le traitement de la fièvre Q et la maladie de Whipple. Donc tout naturellement, lorsque le SRAS-CoV2 a commencé à faire la une des journaux, Raoult s’est tourné vers son médicament favori, l’hydroxychloroquine, pour essayer de guérir des patients atteints du Covid-19. « Coronavirus, game over », déclare-t-il sur une vidéo YouTube publiée le 26 mars, annonçant triomphalement que l’hydroxychoroquine marche. Malheureusement, son premier essai clinique n’avait pas été randomisé en double aveugle, ce qui était peut-être excusable étant donné l’urgence de la situation. Mais son second non plus ! S’ils l’avaient été, en suivant les protocoles généralement acceptés par les scientifiques et les médecins, Raoult aurait vite réalisé que son médicament favori n’a en fait aucun effet comme les études randomisées en double aveugle conduites par les britanniques (Oxford RECOVERY) et les américains (NIH ORCHID) l’ont maintenant démontré. De fait, Raoult croyait si fort en son médicament miracle qu’il a jugé qu’il n’avait pas lieu à se prêter aux protocoles bien huilés des essais cliniques. Il juge d’ailleurs ces protocoles inutiles, désuets, et méprise ceux qui les préconisent. Mais, en fait, comme l’ont démontré RECOVERY and OCHID, ils ont la fâcheuse habitude d’apporter quand même assez souvent des réponses claires quant à l’efficacité (ou en l’occurrence l’inefficacité) d’un médicament.
Sous influence
Ces exemples invitent à se poser la question suivante : la science est-elle entièrement la poursuite rationnelle que les scientifiques prétendent qu’elle est ou y a-t-il une influence d’autres facteurs ? Le fait est que la science ne fonctionne pas en vase clos. Les données peuvent être ambiguës, laissant place à l’interprétation, mais le contexte joue également un rôle. Le succès précoce du professeur Raoult avec l’hydroxychloroquine contre certaines infections bactériennes aurait pu le conduire à tirer des conclusions prématurées concernant l’effet de son médicament favori sur le SRAS-CoV2. En ce qui concerne les masques, les scientifiques occidentaux savaient à quel point les gouvernements d’Europe occidentale étaient peu préparés et qu’un rush sur les masques aurait privé le personnel médical de l’hôpital de la protection contre les patients infectés. Ils craignaient aussi que le port du masque se fasse au détriment de la distanciation. En conséquence, ils n’ont pas osé nous dire d’emblée que les masques étaient utiles. En ce qui concerne l’immunité collective, le GCSA et son conseil scientifique étaient sans doute alors prisonniers des stratégies sanitaires développées durant les multiples épidémies causées par le virus de la grippe, même après que les chercheurs eurent clairement démontré très tôt que le SRAS-CoV2 était un virus très différent de celui de la grippe.
Mais d’autres facteurs exercent une influence sur la science, l’un des plus répandus étant la nécessité de publier et d’être compétitif. La publication est naturellement le moyen d’évaluer la productivité d’un chercheur. Les chercheurs subissent des pressions énormes pour publier un nombre maximal d’articles et, par conséquent, la médiocrité règne. Une vague de maisons d’édition à bas coûts et peu exigeantes a submergé l’écosystème de l’édition scientifique. Presque tout peut être publié quelle que soit la qualité. En ce qui concerne les maisons d’édition haut de gamme, elles peuvent faire ou défaire des carrières. En conséquence, un comportement concurrentiel débridé devient la norme chez les élites académiques. Le comportement impitoyable des chefs de laboratoire rend les post-doctorants et les doctorants malheureux. Dans leur quête incessante de gloire, les chercheurs testent les limites du système. Le h-index est devenu l’étalon-or de l’évaluation des carrières des chercheurs, ce qui conduit à tenter de le gonfler artificiellement soit en cherchant à figurer comme auteur dans le plus grand nombre d’articles possible (même ceux auxquels ils n’ont rien contribué comme le font certains directeurs d’instituts qui, dépourvus de tout scrupule et honte, signent tous les articles émanant de leur institut), soit plus simplement en éparpillant leurs résultats sur de nombreuses publications. Bien sûr, la joie de la découverte joue un grand rôle en science, mais un moteur malheureusement tout aussi puissant est de faire carrière, de progresser dans l’ordre hiérarchique académique et social. De fait, la grande majorité des chercheurs qui ne peuvent pas ou n’ont pas les moyens de faire de la recherche originale produisent des recherches sans risque, où les approches et les questions sont sans imagination et produisent des résultats prévisibles. Dans ce contexte très « humain », il n’est donc pas si surprenant que l’idée de la science comme langage universel puisse être trompeur. Après tout, derrière tous les chercheurs, il y a un homme ou une femme sujet à des pressions de toutes sortes, qu’elles soient familiales, personnelles, professionnelles ou sociétales, qui forcément influencent leur jugement scientifique.
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Rédigé le 13 juillet et même pas capable de faire des recherches avant de parler. Le UK n’a pas été le seul état à prôner l’immunité collective, à tort ou à raison, peu importe. Faites vos recherches. Quand à vos fameuses recherches « randomisées en double avuelge », c’est un terme que vous ne connaissiez même pas avant mars 2020 et que vous répéter comme un perroquet, et pour votre gouverne, mais vous n’êtes pas sans savoir mais choississez de l’ignorer, le Pr Raoult a répondu complètement, longuement, et plusieurs fois, à ces pseudos critiques. Par ailleurs, nous sommes le 13 juillet, cela fait bientôt 2 mois que tout le monde rigole de recovery.