Véritable arlésienne propice aux querelles de chapelles, la réglementation européenne sur les OGM a connu un nouveau rebondissement la semaine passée. En effet, Bruxelles a souhaité « proposer une modification du cadre réglementaire européen sur les OGM pour encourager les biotechnologies dès 2023. » Au programme : une volonté affichée d’encourager le développement des biotechnologies végétales, ces dernières permettant de rendre les culture plus résistantes face aux changement climatique. Le commissaire à l’Agriculture, le polonais Janusz Wojciechowski, entend soumettre une proposition de législation dès 2023. Afin d’éclairer cette décision, Europeanscientist a pu interviewer Catherine Regnault Roger, membre de l’Académie d’Agriculture et auteure de l’ouvrage « Enjeux biotechnologiques: Des OGM à l’édition du génome ». Ayant participé récemment à la consultation publique organisée par l’UE, elle explique les raisons de ce changement.
The Europeanscientist : On a appris à la fin de la semaine passée que l’UE voulait miser sur les techniques «génomiques» pour adapter son agriculture. Pouvez-vous nous expliquer ce projet législatif. Cela va-t-il dans le bon sens ?
Catherine Regnault-Roger : Cette évolution est effectivement indispensable pour que l’Union européenne (UE) puisse participer pleinement aux échanges agricoles mondiaux et occuper la place qui correspond à son économie.
En effet, l’UE constitue une singularité dans l’hémisphère nord avec l’arrêt de la Cour de justice européenne du mois de juillet 2018 qui a statué que les modifications génétiques opérées par les biotechnologies de première génération comme la transgenèse mais aussi celles réalisées à l’aide des nouvelles techniques du génome (NGT new genomic techniques selon le vocable adopté par la Commission européenne en avril 2021) devaient être considérés comme des OGM et réglementées par la directive 2001/18.
Or sont classées NGT notamment les techniques d’édition du génome avec l’emblématique CRISPR, une technique facile à mettre en œuvre, plus précise et moins chère que les autres. Décrite en 2012 par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, qui reçurent le prix Nobel de Chimie 2020 pour cette découverte, cette technique peut modifier de façon mineure le génome de telle sorte qu’il est impossible en examinant le résultat de certaines modifications génétiques de savoir si le produit obtenu résulte d’une mutagenèse spontanée, d’une mutagenèse ciblée ou des techniques de sélections classiques pratiquées depuis plus d’un demi-siècle, c’est-à-dire qu’on ne sait pas si on l’a trouvé par hasard dans la nature ou s’il a été réalisé dans un laboratoire.
Dans ces conditions, de nombreux pays dans le monde ont décidé de ne pas appliquer leurs réglementations OGM aux produits d’édition du génome qu’on ne peut distinguer des produits obtenus naturellement ou par des techniques conventionnelles. Mais ils restent soumis, bien entendu, aux démarches nationales en vigueur pour les autorisations de mises sur le marché de nouveaux produits.
Prenant acte de cette situation, et s’appuyant sur l’analyse du Groupe des conseillers scientifiques principaux auprès de la Commission européenne (SAM Scientific Advice Mechanism), qui a publié dès novembre 2018 une déclaration intitulée « Une perspective scientifique sur le statut réglementaire des produits dérivés de l’édition génomique et ses implications pour la directive OGM » dans laquelle il est souligné qu’« en raison des nouvelles connaissances scientifiques et des récents progrès techniques, la directive OGM est désormais inadaptée », la Commission européenne a entamé en 2021 une procédure pour faire évoluer la réglementation sur les NGT.
Cette procédure est complexe et comprend plusieurs étapes, s’organisant autour d’une étude scientifique, d’une analyse d’impact, puis d’une consultation publique. Le 22 juillet 2022, celle-ci s’est achevée, et le 16 septembre 2022, ses résultats ont été publiés (1) .
Une large majorité (79%) des 2300 contributions (dont 2196 citoyens) s’est prononcée en faveur de la révision de la réglementation pour les OGM. La Commission européenne en a pris acte et va entamer la phase finale qui consiste à proposer un nouveau cadre réglementaire en 2023… mais pour certaines NGT uniquement.
TES. : Selon vous que faut-il changer dans la loi européenne ?
C.R.R. : Cette évolution de la réglementation européenne ne concerne que les techniques de mutagénèses ciblées et cisgénèse (technique au cours de laquelle les transferts de gènes appartenant à la même espèce sont réalisés par génie génétique) appliqué aux seules applications végétales. Les micro-organismes et les animaux ne sont pas concernés. La Commission européenne estime en effet que les travaux de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, sur l’innocuité de ces techniques appliquées sur les animaux et les micro-organismes ne sont pas, à ce jour, suffisamment étayés.
De nombreuses voix s’élèvent, notamment celles de l’Académie vétérinaire de France et de l’Union européenne des Académies d’agriculture (UEAA) pour que soient prises en considération les applications des NGT pour les animaux d’élevage. En effet les NGT offrent de nouveaux moyens pour faire face aux zoonoses (maladies transmisibles de l’animal à l’homme) et aux panzooties (épidémies animales).
TES. : Cette proposition législative va-t-elle suffisamment loin ?
C.R.R. : L’évolution réglementaire en cours ne va pas suffisamment loin. Les NGT sont des outils précieux pour lutter contre les maladies des plantes, des animaux et des hommes. Elles donnent également des espoirs pour que l’agriculture puisse faire face au changement climatique. Toutes ces approches qui apportent des solutions nouvelles doivent être encouragées.
TES. : Et pensez-vous que les pays la transposeront ?
C.R.R. : On note, dès à présent, un accueil favorable des gouvernements des Etats membres. Avant de se prononcer formellement le 26 septembre à Bruxelles, les 27 ministres de l’Agriculture des pays de l’UE se sont exprimés en leur faveur lors d’une réunion préparatoire le 16 septembre à Prague (l’UE est sous la présidence tchèque).
TES. : D’après-vous cela permettrait-il à l’Europe de rattraper son retard en matière de biotechnologies vertes ?
C.R.R. : En matière de brevets, l’Union européenne est très en retard par rapport à la Chine et les Etats-Unis d’Amérique, et selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (WIPO World Intellectual Property Organization) pour la seule année 2020, la Chine a déposé 3 fois plus de brevets que la France et l’Allemagne, pour les applications de biotechnologies végétales.
Mais l’important est que les sociétés de biotechnologies qui sont des consortiums internationaux recommencent à avoir confiance dans les choix scientifiques et technologiques de l’Union européenne pour apporter des solutions aux problèmes d’adaptation au changement climatique et aussi de gestion de la transition agro-écologique de l’agriculture européenne.
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