Comme nous l’évoquions il y a peu, de nombreux chroniqueurs s’inquiètent de l’avenir de l’agriculture française et du risque que ce secteur jadis flamboyant de notre économie, subisse les mêmes déboires que notre industrie. Et si, au contraire, celle-ci connaissait un rebond inattendu ? Telle est l’hypothèse de Gilles Nassy qui dans ce texte fiction nous explique pourquoi et comment l’agriculture française pourrait retrouver de sa splendeur. Un texte surprenant et qui au-delà du caractère d’anticipation identifie les points sensibles et nous indique les corrections à mettre d’urgence en oeuvre si nous voulons que l’agriculture française ait un avenir radieux. Un essai qui démontre qu’il n’y a pas de fatalisme et que l’avenir de notre agriculture est loin d’être scellé, à condition que nous prenions les bonnes mesures politiques qui, hélas semblent-ils, n’ont rien à avoir avec celles qui sont actuellement mises en oeuvre, aussi bien au niveau de l’UE qu’au niveau national.
En 2035 … un contexte économique favorable
En 2035, la situation économique mondiale est plutôt bonne, soutenue par des échanges intenses et par le développement de services. Le commerce international est peu régulé et les pays comme les entreprises doivent trouver leur place dans ce contexte concurrentiel pour atteindre leurs objectifs de croissance. Dans toute l’Union Européenne, les États interviennent peu pour réguler le marché. Ils fixent des normes, relativement peu contraignantes, pour encadrer les activités sur le plan sanitaire et environnemental. La coordination européenne est à la peine, et chaque État fixe ses propres règles. La concurrence qui prime sur le plan mondial est donc également forte à l’échelle européenne. Portée par l’émergence de classes moyennes dans les pays qui profitent du bon contexte économique et par la croissance démographique, la demande mondiale en produits animaux augmente.
La technologie au secours des aléas environnementaux
Cette situation économique plutôt favorable est cependant régulièrement déstabilisée par des chocs environnementaux, avec l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des aléas climatiques, ou sanitaires, les risques d’épizooties et d’épidémies étant accrus par l’intensité des échanges. Ces chocs engendrent une variabilité forte dans la disponibilité et le prix des ressources et des matières premières, générant à leur tour des difficultés économiques, voire géopolitiques quand les tensions dans l’accès aux ressources mènent à des conflits. Pour anticiper et s’adapter à ces chocs, les entreprises comme les États misent sur la technologie (R&D et investissements pour améliorer l’efficacité énergétique des équipements, expérimenter le captage et le stockage du carbone, développer des vaccins et traitements pour limiter les crises sanitaires…) et l’ingénierie financière (montages financiers complexes pour limiter les risques, mécanismes assurantiels). Malgré ces efforts, des secteurs économiques sont régulièrement fortement déstabilisés.
Libéralisation et déferlement de nouveaux projets agricoles
Grâce à son espace agricole disponible et très diversifié (climat, sols, expositions…) et un tissu agricole encore assez dense la France s’en sort plutôt bien et reprend des parts de marché européennes et mondiales dans le secteur agricole malgré un manque de bras au niveau des exploitations et des outils industriels.
Grace à un allègement historique des procédures d’installation et d’agrandissement sur les investissements agricoles et alimentaires, un véritable déferlement de nouveaux projets se répand sur tout le territoire.
Le secteur agricole libéralisé attire des devises et des investisseurs ce qui renforce l’économie des territoires. Cette prospérité attire des nouveaux emplois agricoles et industriels bien payés dans les campagnes et permet des investissements de modernisation dans les exploitations qui se concentrent. Les petites exploitations qui n’ont pas investi disparaissent et le foncier est intégré à des exploitations plus grandes et plus modernes dans lesquelles l’application des normes et des réglementations exigeantes est possible, contrôlable, et contrôlée par des organismes tiers.
Enrichissement des territoires ruraux
L’enrichissement des populations au sein des territoires ruraux crée un marché plus important pour les produits locaux et de qualité supérieure. Ainsi, à côté des exploitations modernes performantes pour la production de commodités, un espace est disponible pour la fabrication de produits différenciés de qualité à débouchés locaux.
L’accueil de populations urbaines dans les campagnes grâce au télétravail augmente la demande pour ces produits haut de gamme qui voient leurs débouchés progresser. Cette population urbaine exigeante impose un entretien irréprochable des campagnes et un strict respect des normes afin de réduire les désagréments des espaces ruraux (bruits, odeurs…).
Les villes se désengorgent alors que les campagnes se remplissent : écoles, crèches, services publics sont mieux équilibrés et des transports collectifs deviennent possibles à organiser dans les campagnes. La pression démographique baisse dans les villes ce qui réduit le prix de l’immobilier et décongestionne les moyens individuels ou collectifs de circulation.
Les agriculteurs renforcent leur profil de chef d’entreprise et s’organisent pour gérer plusieurs sites. Avec ou sans capitaux extérieurs ils investissent dans des territoires agricoles où le foncier est disponible (diagonale du vide). Une industrie locale renaît pour répondre aux besoins de l’agriculture très consommatrice de technologies numériques et de mécanique de précision. Les services à l’agriculture de haut niveau se renforcent : vétérinaires, comptables, conseillers techniques, fournisseurs…Grâce au numérique les services peuvent s’exercer à distance. Les commerces de proximité se réinstallent à nouveau dans les villages couverts par les réseaux numériques.
Les capitaux restent majoritairement familiaux grâce aux politiques publiques et aux banques qui accompagnent cette modernisation capitaliste de l’agriculture. Une protection assurantielle des risques climatiques et sanitaires est organisée grâce à une mutualisation du risque sur toutes les productions agricoles. Chaque année les productions favorisées assurent les productions touchées par une crise. Des marchés à termes se développent afin d’aider les chefs exploitants et les industriels de l’aval à couvrir leur risque de prix.
Agriculture moderne et production diversifiée
L’agriculture moderne optimise les synergies entre les différents ateliers afin d’assurer sur un même territoire une complémentarité entre des productions diversifiées : productions végétales (céréales, protéagineux, oléagineux, fruits et légumes, bois), productions animales (ruminants, monogastriques, poissons) et productions agricoles énergétiques.
Dans ce modèle circulaire les productions animales sont indispensables : les ruminants pour entretenir et fertiliser les territoires herbagers (en y maintenant de la biodiversité) et les monogastriques pour valoriser les co-produits, fertiliser les surfaces céréalières et produire très efficacement des protéines et des nutriments à haute valeur biologique indispensables à la santé de nos concitoyens.
Les normes de fertilité des sols sont imposées afin de garantir la stabilité et la richesse dans le temps des terres agricoles (matière organique, biodiversité, azote…). Les pratiques culturales mises en œuvre permettent la réduction des émissions de GES issus des cultures et une valorisation de l’azote des effluents animaux. Des habitats de biodiversité sont aménagés au sein de ces exploitations agricoles modernes afin de favoriser les solutions de lutte biologique et d’entretenir la biodiversité agricole. Les rotations longues sont imposées permettant la complémentarité des différents types de cultures. Les protéagineux et oléagineux retrouvent leur place dans les rotations et grâce à des soutiens européens et se substituent largement au soja américain.
La France redevient une grande puissance agricole et nourrit au-delà de ses frontières tout en préservant les grands équilibres écologiques de ses campagnes.
Autres lectures
Climat et Parlement européen : manque de calcul ou démagogie ?
Climat et Parlement européen : manque de calcul ou démagogie ?
On peut toujours rêver. Cela ne fait pas de mal.