Alors que le gouvernement Macron vient d’annoncer qu’il réfléchissait à un chèque carburant, Michel de Rougemont, auteur de « La grande illusion du sauvetage de la planète par une remise à zéro », nous propose ici une réflexion sur les contradictions que soulèvent les politiques fiscales sur l’énergie et en particulier sur la taxe carbone. Une histoire de Shadoks dont il semble compliqué de cerner les tenants et les aboutissants. Une analyse qui s’illustre dans l’actualité française, mais que l’on peut facilement transposer à l’international.
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Dans son opinion « Débats présidentiels 2022 : Évidences électriques d’une catastrophe annoncée » publiée dans European Scientist, Jean-Pierre Riou souligne que la tarification carbone pratiquée en Europe est la plus élevée du monde.
Avec la conjoncture de prix très élevé du gaz il faudrait constater que tout va dans le bon sens écolo-climatique puisque le prix à payer pour les énergies fossiles devient dissuasif, ce que tous ne peuvent pourtant pas supporter. C’est là un point clé des politiques climatiques de mitigation et, partant, énergétiques.
Cependant, déclarer cette situation de haut prix comme structurelle paraîtrait exagéré. Des explorations et des exploitations de réserves fossiles additionnelles seront nécessaires pour continuer d’alimenter la grande chaudière du monde (actuellement carbonée à 83%, avec une très faible tenance baissière) et lui permettre de construire d’autres moyens de production à des coûts supportables. En attendant, ce sont des jeux fiscaux et pernicieux qui se mettent en place.
Les taxes sur les fossiles (directes et indirectes, ou par le biais de mise à l’enchère d’un nombre restreint de permis d’émission) sont supposées inciter ceux qui les paient de changer leur approvisionnement en faveur de sources d’énergie non ou moins taxées, ou aussi à réduire leur consommation.
En tous les cas, c’est par un prix élevé que l’on justifie les investissements dans des nouvelles technologies de production (électricité renouvelable, hydrogène, nucléaire, etc.), de consommation (isolation, véhicules électriques, pompes à chaleur, etc.) ou de recyclage (plastiques, CO2, lithium, cobalt, etc.).
On ‘gagne plus’ à s’épargner le coût d’un taxi que celui d’un billet d’autobus ; il faut donc faire croire que l’autobus fossile est plus cher que le taxi électrique que personne ne peut ou ne veut se payer.
Alors, en effet, plus le prix à payer sera élevé, plus l’incitation devrait être grande.
Le hic est que ça ne marche pas comme ça !
L’élévation artificielle d’un prix, aussi appelée manipulation, a comme première conséquence d’en reporter les effets sur le client suivant. En fin de ligne c’est le consommateur lambda qui réclamera la suppression de la taxe ou des augmentations de salaire, car son budget ne supporterait plus le prix trop élevé.
L’exemple actuel du prix du gaz est une sorte d’expérience sociale : on réclame même la suppression de taxes courantes au prétexte que le prix du marché serait trop élevé. Voilà l’État mis en demeure de fixer les prix ; devrait-il devenir soviétique, avec toutes les promesses d’avenir radieux que cela comporte ? Ou l’est-il déjà ? Et les gilets jaunissent si une taxe de plus se pointe à l’horizon.
Du point de vue d’une compagnie privée (industrielle ou autre) qui devrait être incitée à changer son mode d’approvisionnement et de production, elle reportera aussi l’effet de la taxe sur ses prix, et veillera à ce que ces taxes concernent aussi tous ses concurrents, surtout à l’importation. Ce sont là les habituelles discussions de boutiquiers et de parties prenantes hétéroclites.
Pour qu’un investissement conséquent ait lieu et produise des résultats significatifs, il faut que des perspectives de développement des affaires les motivent (marchés, produits) ou que des équipements deviennent obsolètes et doivent être changés, ce qui ne se passe pas souvent.
Accélérer le changement en rendant prématurément obsolètes les équipements existants par le biais d’une manipulation de prix est le but de ces taxes ; mais pour que cela provoque un changement structurel, il faudra que la taxe soit très élevée, au point même de forcer l’entreprise incapable de s’adapter à fermer ses portes. Sinon, on continuera de ‘sauver’ les entreprises en perdition et il n’y aura pas de décarbonation.
Les choix à faire pour les investissements seront bien sûr influencés par les carottes qu’offre l’État, mais cela ne suffira jamais. Et ces dernières ne sont pas gratuites, car c’est aux frais du contribuable que cela se passe (ou de l’endettement systémique, ce qui revient au même).
Du point de vue de l’activiste écologiste, il faut donc que le prix des fossiles soit le plus élevé possible. Du point de vue d’un État mis face à ses responsabilités, il n’est pas en mesure, même par enthousiasme climatique, de taxer à l’envi ou de limiter drastiquement le nombre de certificats d’émission sans créer un désastre social et économique. On en reste donc à gérer des accommodements qui ne font qu’exacerber les colères et ne sont pourtant pas suffisants pour opérer les transitions souhaitées – à condition que ce dernières soient nécessaires et utiles, ce qui n’a rien de certain.
C’est un vrai casse-tête causé par des politiques qui n’ont rien de bon puisque fondées sur des dogmes et orientées vers la distorsion de la vérité et la coercition. Par-dessus le marché, les politiques sont volages, on ne peut pas compter sur elles. Pire : cela augmente le pouvoir de l’État qui se voit mis ‘en même temps’ dans l’impossibilité de l’exercer ; mais ça l’enfle comme la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf.
Livre de Michel de Rougemont
Image par MustangJoe de Pixabay
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