Le sous-sol allemand recèle les plus grosses réserves prouvées de charbon d’Europe, mais l’envolée prévisible du prix du carbone impose au pays de trouver une alternative.
La France ne dispose d’aucune énergie fossile et a joué la carte du nucléaire en raison du coût infime de l’uranium. La 4ème génération de réacteurs laisse entrevoir plusieurs siècles de carburant disponible.
La disponibilité et le coût de l’énergie sont les facteurs clé de toute stratégie de compétitivité. Pour autant, la pression de l’opinion est susceptible d’amener le politique à jouer contre son camp.
Énergie et climat
La 25ème Conférence des parties sur le climat (Cop 25) s’est ouverte, ce 2 décembre, dans un climat morose à Madrid.
Le rapport de septembre [1] de Global Carbon Project vient de révéler que la consommation énergétique mondiale augmente plus vite que la décarbonation de son énergie.
Éloignant toujours plus les pays signataires du respect des Accords de Paris (Cop 21).
En effet, malgré la légère réduction des émissions de l’Union européenne (-2,1%), les émissions mondiales ont continué d’augmenter, avec + 2,1% en 2018.
Notamment en Chine (+ 2,3%), aux États-Unis (+ 2,8%), en Inde (+ 8,1%) et + 1,7% pour le reste du monde.
Toujours selon ce rapport, le gaz est le grand gagnant des efforts de décarbonation de l’énergie, avec une progression de 2,6% chaque année depuis 2013, dont +9,4% en Chine.
Plus surprenante est l’augmentation, en 2018, de l’usage du pétrole, de 1,3% aux US et 1% en Europe, où le pic de consommation était pourtant réputé dépassé depuis quelques années.
Ces tendances sont confirmées par les estimations 2019 de Enerdata.
Symbole du combat pour le climat, les éoliennes connaissent l’année la plus noire de leur histoire [2] dans une Allemagne qui voit ses ambitions climatiques s’éloigner de sa portée.
Le retour du nucléaire
La Commission européenne prépare un plan d’action [3] de 180 milliards d’euros supplémentaires par an, pour favoriser une économie plus verte.
Fin septembre 2019, le Conseil européen avait retardé la publication de la taxonomie définissant les secteurs susceptibles d’en bénéficier.
L’énergie nucléaire pourrait être concernée [4].
Celle-ci est considérée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) parmi les réponses nécessaires au réchauffement climatique du fait de son absence quasi-totale d’émissions de gaz à effet de serre (GES)*.
Dans son résumé à l’attention des décideurs [5], le GIEC propose en effet la modélisation de 4 scénarios permettant de respecter les Accords de Paris. Chaque scénario implique une forte augmentation de l’énergie nucléaire. Le scénario 3, qui permet l’acceptabilité sociale, repose notamment sur une augmentation de 501% du nucléaire d’ici 2050.
Un groupe d’experts avait été chargé de rendre un rapport [6] à la Commission européenne pour éclairer ses choix sur la taxonomie verte.
Celui-ci avait pris acte de l’absence d’émissions du nucléaire, mais s’interrogeait sur la problématique de ses déchets.
Le Parlement européen vient de se positionner en faveur du nucléaire lors de son alerte, ce 28 novembre, sur l’urgence climatique [7].
Car le même jour, il votait une résolution [8] relative à la COP 25, qui estime notamment que (59) « l’énergie nucléaire peut contribuer à atteindre les objectifs en matière de climat dès lors que c’est une énergie qui n’émet pas de gaz à effet de serre, et qu’elle peut également représenter une part non négligeable de la production électrique en Europe. »
Sans grande surprise, le groupe des « verts » a voté contre la totalité de la résolution [9], semblant ainsi subordonner la cause climatique à une autre, semblant plus importante pour lui : le combat contre le nucléaire.
Le GISOC, qui représente une collaboration scientifique internationale destinée à faire émerger des solutions rationnelles pour le Climat, vient d’analyser les « facteurs de limitation par pénurie d’éléments » (ELF) de chaque technologie. C’est l’énergie nucléaire qui dispose du meilleur coefficient, et cet avantage serait plus que doublé avec la 4ème génération de réacteurs.
Le coefficient de limitation du stockage par batterie exclut celle-ci de tout système pérenne.
Car « renouvelable » est un concept archaïque, ambigu et trompeur qui ne signifie pas durable.
Les Entretiens Européens d’Helsinki
A l’issue des débats des entretiens européens d’Helsinki, une lettre ouverte a été adressée à la Présidence de l’Union européenne et à la Présidente de la Commission, ainsi qu’aux représentants des chefs d’État et de Gouvernement en poste à Bruxelles.
Cette lettre leur recommande une révision de la stratégie énergétique européenne
permettant au nucléaire de retrouvera toute sa place d’énergie bas carbone et qui cesse de dicter la part d’énergie renouvelable, ce qui est une « stratégie plus que discutable» et considère que « Nos choix de politique énergétique, donnant la priorité à toujours plus d’énergies renouvelables électrogènes (EnR) dans les États membres, ont créé des effets pervers sur notre marché et ont contredit les objectifs de sécurité et de compétitivité que nous avons ratifiés ».
La guerre du gaz aura bien lieu
Cependant, la question de l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte divise durablement Paris et Berlin [10], 2 poids lourds de l’énergie électrique, respectivement premier et second exportateur mondial d’électricité en 2018.
Car le secteur de l’énergie représente une clé de la compétitivité.
Or l’intermittence des énergies renouvelables électrique, ainsi que la décision de sortir du nucléaire et du charbon a contraint les allemands à miser sur le gaz, dont ils prévoient de devenir la plaque tournante de l’Europe à horizon 2035.
(Source EWI final report 2016)
Et 35 nouvelles unités de production d’électricité à gaz sont actuellement en construction, planifiées, ou en procédure d’approbation en Allemagne d’ici 2025 (BDEW Kraftwerkliste [11]).
Mais l’envolée prévisible du prix du carbone conférera un avantage décisif au nucléaire français sur le gaz allemand.
D’où l’hypothèse d’un deal : la reconnaissance du gaz dans la taxonomie verte, malgré ses émissions, en échange de celle du nucléaire, malgré les interrogations sur la gestion de ses déchets.
C’est un accord de ce type [12] qui semble avoir été conclu le 5 décembre, repoussant l’évaluation définitive à 2021.
Celui ci mettant la barre bien haute sur la question des déchets nucléaires.
L’accord « miteux » concédé par Paris
Russie, Iran et Qatar, détiennent la moitié (48,5%) des réserves mondiales de gaz
(BP Statistical review 2019 [13]).
Depuis leur projet de coentreprise, en 2008 [14], leurs liens sont restés serrés, face aux sanctions de l’un [15], ou condamnation de l’autre [16].
La Russie, premier exportateur de gaz au monde, inaugure aujourd’hui trois gazoducs [17] majeurs, vers la Chine, la Turquie et l’Allemagne.
Ce dernier, Nord Stream 2, renforcera la dépendance de l’Europe à la Russie, qui lui fournit déjà 40% de son gaz et privilégie les intérêts allemands à ceux de l’Europe, ainsi que le dénonçait laDiplomatie.fr [18] qui rapporte le « désastre diplomatique » de l’ « accord miteux » concédé par Paris et juge « d’autant plus injustifiable et incompréhensible cette stratégie allemande du cavalier seul qu’elle a littéralement interdit à ses partenaires européens de faire de même ».
L’opposition des chancelleries européennes et même la menace de sanction par les États-Unis, n’ont pas pu empêcher le projet piloté avec détermination par l’ancien chancelier allemand
- Schroeder, actuellement président du conseil d’administration de la compagnie pétrolière russe Rosneft.
Énergie et sécurité
Après plus de 100 heures d’auditions, le rapport du président J. Aubert [19] a levé le voile sur les incohérences du développement des EnR électriques françaises, notamment sur les interrogations que soulève la problématique du stockage qui entraîne le constat que « techniquement, à l’heure où ce rapport est rédigé, ce mix n’est pas viable ».
Et l’exemple allemand confirme que le développement des énergies intermittentes exige le maintien des capacités pilotables.
L’alternative n’étant qu’entre le choix du gaz ou du nucléaire.
Le gestionnaire du réseau européen (Entsoe) vient de publier ses prévisions offre/demande pour l’hiver 2019/2020 [20].
La situation devrait être tendue en cas de vague de froid, mais seuls, 2 pays seraient alors exposés à une pénurie d’approvisionnement : la Belgique et la France.
Le gestionnaire du réseau français RTE avait d’ailleurs même annoncé que cette situation délicate se dégraderait d’ici 2023 [21], notamment avec la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.
Cette doyenne de 42 ans est pourtant jugée parfaitement sûre par l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui considère que ses performances en matière de sûreté nucléaire « se distinguent de manière favorable par rapport à la moyenne du parc. »
Tandis que ce 5 décembre, 2 réacteurs américains obtenaient leur prolongation de licence d’exploitation pour une durée de 80 ans [22], alors que 89 de leurs 97 réacteurs [23] sont déjà prolongés à 60 ans.
On ne peut ignorer que 10 octobre 2018, les 10 principaux électriciens européens avaient
dénoncé la menace que représente l’érosion des moyens pilotables sur la sécurité de l’Europe et prévenu du risque de la fin de la solidarité [24] européenne en cas de difficulté d’approvisionnement.
Ces difficultés risquant de survenir les soirs d’hivers glaciaux, qui sont anticycloniques, et lors desquels éolien et photovoltaïques font défaut.
Mon Dieu, gardez moi de mes amis …
La géopolitique n’est pas un long fleuve tranquille.
Et la France est donc amenée à voir croitre la dépendance de sa sécurité au bon vouloir de la Russie, qui dispose désormais de débouchés alternatifs dans la formidable croissance chinoise.
Mais aussi de celui de l’Allemagne, puisque c’est elle qui en tiendra les vannes.
Et la France lie ainsi volontairement son destin à une ressource fossile dont l’Union européenne est quasiment dépourvue et dont on sait que les réserves mondiales s’épuisent.
Il est regrettable que ce soit l’opinion française qui fasse elle-même pression pour infléchir les choix politiques vers des intérêts qui semblent contraires à ceux de la Nation comme à ceux du climat.
Car elle induit indirectement une dépendance croissante au gaz en réclamant plus de renouvelable électrique et moins de nucléaire.
*Le GIEC évalue les émissions du cycle complet du nucléaire entre 3,7 et 110 gCO2/kWh, avec une moyenne de 12 grammes.
Soit moins encore que l’hydraulique (24g) ou le PV (48g).
Le nucléaire français a été chiffré à 5,45gCO2/kWh par l’étude de Poinssot et al 2014.
Cette étude mentionne l’économie permise par le procédé de centrifugation, trop récent (2013) pour avoir pu être pris en compte.
Les émissions du cycle complet du nucléaire français sont désormais chiffrées à 4gCO2/kWh.
3 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_1404
6 https://ec.europa.eu/info/files/190618-sustainable-finance-teg-report-taxonomy_en
7 http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0078_FR.html
8 http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0079_FR.html
9 https://twitter.com/vkaltenbronn/status/1201195695555960833?s=20
13 https://www.bp.com/en/global/corporate/energy-economics/statistical-review-of-world-energy.html
18 https://www.ladiplomatie.fr/2019/07/29/nord-stream-2-russie-allemagne-europe/
19 http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/15/rap-enq/r2195-t1/(index)/depots
20 https://www.entsoe.eu/outlooks/seasonal/
22 https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/news/2019/19-062.pdf
23 https://www.nrc.gov/reactors/operating/licensing/renewal.html