Une équipe de chercheurs essentiellement chinoise – le premier auteur est Qian Shen et l’auteur de référence, Kexuan Tang – vient de publier « The Genome of Artemisia annua Provides Insight into the Evolution of Asteraceae Family and Artemisinin Biosynthesis » (le génome d’Artemisia annua fournit des indications sur l’évolution de la famille des Astéracées et la biosynthèse de l’artémisine).
Les chercheurs ont écrit avec modestie qu’ils rapportent un projet d’assemblage de haute qualité du génome d’A. annua. Mais c’est un génome de 1,74-gigabase, très hétérozygote, riche en séquences répétitives, et contenant 63.226 gènes codant pour des protéines, l’un des plus grands parmi ceux qui ont été séquencés à ce jour.
Leurs travaux ne se sont pas limités à l’acquisition de connaissances phylogéniques et biochimiques. Sur la base de leurs analyses génomiques et transcriptomiques, ils ont produit des lignées transgéniques d’A. annua produisant des niveaux élevés d’artémisinine. Alors que les plantes « conventionnelles » produisent entre 0,1 % et 1 % d’artémisinine (rapporté à la matière sèche) dans leurs feuilles, leur meilleure lignée en contient 3,2 %.
Les chercheurs ont utilisé la tolérance au glyphosate comme marqueur pour sélectionner les plantes prometteuses, à la base des lignées précitées. Cette tolérance peut évidemment aussi être utilisée en culture pour la production d’artémisinine, ce qui est un atout du point de vue agronomique.
Ces lignées sont maintenant prêtes pour les essais en plein champ suivis de la production à grande échelle.
Il faut rappeler que le paludisme est un problème de santé mondial. Si les Français n’y sont exposés qu’à l’occasion de voyages dans des pays infestés, la France n’est pas à l’abri d’une réintroduction du fléau.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), près d’un milliard de personnes vivent dans des régions à haut risque. Il y a eu 216 millions de cas nouveaux en 2016, et 445.000 décès.
L’atémisinine entre dans la composition des médicaments antipaludiques les plus récents et actuellement les plus efficaces. Elle a aussi de bonnes potentialités comme anti-plathelminthes, pour le traitement de la bilharziose et de la distomatose, ainsi que, pour un dérivé, de certains cancers.
La disponibilité de l’artémisine dépend de la production agricole et n’est pas toujours suffisante pour répondre à la demande. Les travaux de l’équipe de Kexuan Tang sont donc d’une importance considérable.
Cela pose, à nouveau, la question de l’attitude européenne – et notamment française – d’opposition aux OGM ; mais aussi chinoise, l’armoise étant un élément important de la pharmacopée traditionnelle.
Les « ONG » et autres membres de l’industrie de l’opposition au progrès et de la protestation feront-ils campagne contre la culture de ces nouveaux OGM d’un type particulier ? Verra-t-on à nouveau, comme dans le cas du Riz Doré, se propager l’argument du « cheval de Troie du lobby pro-OGM » ou : « L’argument de lutte contre la [maladie] n’est qu’un argument marketing pour tenter de faire accepter les OGM » ? Un centaine de Prix Nobel (131 à ce jour), essentiellement de la science et de la médecine, devront-ils à nouveau s’exclamer : « Combien de pauvres gens dans le monde doivent mourir avant que nous considérions cela comme un crime contre l’humanité ? »
Les pouvoirs administratifs, législatifs et politiques imposeront-ils l’application de l’étiquetage des OGM ? Que le sceau de l’opprobre anti-OGM soit apposé sur les boîtes de médicaments parce que l’artemisinine aura été produite, horresco referens, par une plante transgénique plus efficace et tolérant, horresco referens (bis), le glyphosate ? Alors que la science et la technologie sauvent aujourd’hui des milliers de vies grâce à une insuline recombinante, produite par des bactéries génétiquement modifiées… Ou que nous consommons des fromages produits avec du lait caillé à la chymosine recombinante (interdite en France pour les fromages AOC et bio)…
On n’ose pas penser à la possibilité qu’un médecin refuse par idéologie de prescrire une ACT (artemisinin combination therapy) et mette la vie de son patient en danger. Après le « better dead than GM-fed », le « plutôt mort que nourri aux OGM », aurons nous un « plutôt mort que guéri par un OGM » ? Plus précisément une substance produite par une plante transgénique, mais strictement identique à celle produite par une plante « conventionnelle ».
Ces questions et d’autres qu’on peut imaginer – par exemple l’Europe financera-t-elle des organisations qui financeront ouvertement ou en sous-main des « faucheurs » de champs d’armoise transgénique ou supposée telle – peuvent paraître insistantes et surtout prématurées. Il n’en est rien : la science, les technologies et l’économie avancent bien plus vite dans le reste du monde que l’idéologie, les opinions et les politiques en Europe. Il est temps de partir dès maintenant pour arriver à l’heure pour prendre le train du progrès.
Le problème n’est pas cantonné à l’armoise, l’artémisinine et le paludisme : les travaux de l’équipe de Kexuan Tang sont une illustration d’un important potentiel de développement qui est à nos portes.
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