La Semaine dernière, l’organisation non gouvernementale allemande Foodwatch a publié un rapport qui visait à exposer les pratiques du fabriquant de soda américain Coca-cola, qui « vend du sucre en quantités nocives à des enfants ». Ce rapport se structure autour de sur trois axes principaux, nommément que les sodas sucrés vendus par Coca-cola contribuent largement à l’épidémie d’obésité, que l’entreprise vise délibérément un public d’enfants et qu’il faut donc que les dirigeants politiques agissent contre celle-ci.
L’ONG commence par présenter les récentes données médicales sur les effets des boissons sucrées sur la santé, afin de souligner l’importance du sujet. Ce faisant, le rapport souligne la crise de l’obésité pour ce qu’elle est : une crise.
Mais je n’ai pas de doute que le fait que Foodwatch reconnaisse que ces mauvaises décisions n’en restent pas moins NOS mauvaises décisions. Il serait très troublant de prétendre que les consommateurs n’agissent ici pas de leur propre gré. Et c’est portant ce que ce rapport fait.
« Cet argument [selon lequel les consommateurs agissent librement] ne rend pas compte du fait que notre libre arbitre est tout sauf ‘libre’. Ce que nous mangeons, buvons, ainsi que les quantités dans lesquelles nous le faisons, est influencé par de nombreux facteurs externes […] »
Ce paragraphe explique ensuite comment l’exposition à la publicité et au marketing depuis l’enfance ont corrompu notre libre arbitre. Une observation qui dépasse le bon vieux débat du capitalisme contre le socialisme, et qui pose la question de la possibilité même du libre arbitre. Ai-je librement choisi de ne pas aimer la technique employée par Foodwatch, ou un mystérieux manipulateur à la tête d’une programme télé pour enfants a-t-il implanté cette idée en moi à l’âge de six ans ? Cette question souligne l’absurdité de cet argument. Le rejet de l’intégralité des connaissances de l’économie comportementale au profit d’une théorie bancale sur le contrôle des grandes entreprises sur nos vies n’est pas seulement scientifique, mais c’est également un triste exemple de programme partisan.
Foodwatch étant une ONG a visée idéologique aussi, leur usage de données scientifiques dans ce rapport prête à certaines questions. Le paragraphe sur l’usage de stevia dans des sodas en dit long :
« Bien que consommer des extraits de stevia n’ait été lié à aucun effet négatif évident sur la santé, son usage ne peut s’expliquer que s’il présente un avantage sur les boissons sucrées. D’après l’ANSES, ces avantages ne sont pas apparents […] Aussi, pousser pour le remplacement des sucres par des substituts ne devrait pas être une politique de santé publique. Il faudrait plutôt réduire le goût sucré de la nourriture, et ce dès le plus jeune âge. »
Autrement dit, bien que la science n’ait lié le stevia à aucun effet négatif, le critère de consommation devrait être qu’un aliment DOIT provoquer un effet positif. C’est pourquoi, même si le stevia présente des avantages par rapport aux édulcorants, les pouvoirs publics devraient aussi chercher à en réduire la consommation. Toutefois, jeter toute considération scientifique par la fenêtre, afin de pouvoir affirmer que la consommation de sodas dans son ensemble doit être réduite, n’est pas judicieux. Le fait de s’engager dans une expérience afin de confirmer une opinion préalable exemplifie parfaitement le préjugé de confirmation.
Si le fait de chercher des preuves à partir du résultat est surprenant, affirmer, comme le fait Foodwatch, que Coca-cola cherche délibérément à viser un public d’enfants l’est tout autant. A la lecture de ces lignes, on se demande si l’entreprise place des bouteilles de soda dans des poussettes, étant donné que le mot « enfants » désigne avant tout les bébés et la jeunesse.
Foodwatch explique également que, dans le cadre de sa campagne marketing, la marque a été endossée par un certain groupe de Youtubeurs en Allemagne. Des preuves à charge, me dira-t-on, jusqu’à ce qu’on découvre que presque aucun d’entre eux ne s’adresse à un public d’enfants. Si on se penche sur l’exemple du Youtubeur star « Joyce » (1.2 millions d’abonnés et 190 millions de vues) on découvre que même les 13-17 ans ne constituent que 6% de son public, d’après les données de SocialBook.io :
Il s’agit de Youtubeurs qui postent souvent des contenus explicites, et parles de sujets qui ne sont pas adaptés aux enfants. Des contenus que YouTube censure si la fonctionnalité « accès restreint », créée pour filtrer les contenus pour les pré-adolescents, est activée.
Il ne s’agit pas seulement d’un point sémantique, tant les concepts d’ « enfant » et de « marketing » sont essentiels dans la théorie défendue par ce rapport. Il s’agit en réalité de l’accroche qui doit déclencher une réaction. Le rapport cite le mot « adolescents » 44 fois, et « enfants » 136 fois. De fait, les risques sanitaires sont pris d’autant plus au sérieux s’ils affectent des enfants pré-adolescents, et il serait absurde de dire lutter contre l’obésité infantile en s’en prenant à des publicités qui ne sont adressées à des enfants.
Un autre exemple que Foodwatch cite dans son rapport est la collection d’autocollants entourant la coupe d’Europe de football 2016 mise en place par Coca-cola et panini, ainsi que les canettes à l’effigie de joueurs.
« Cette campagne est la raison derrière les poursuites lancées par l’Association Allemande des Diabétiques (ADD) et Foodwatch devant l’agence publicitaire allemande. Nous avons soulevé que d’après les règles du secteur publicitaire, « il est interdit d’aller à l’encontre d’une éducation d’une nutrition saine et équilibrée ».
Ce que le rapport oublie bien sûr de mentionner est que la plainte a été rejetée par l’agence publicitaire allemande. Cette dernière a estimé que l’ADD et Foodwatch se trompaient lorsqu’elles estimaient que cette campagne visait spécifiquement des enfants et de jeunes adultes. En effet, l’emploi du « Du » (tutoiement en allemand) dans la publicité ne suffisait pas pour prouver qu’elle visait des enfants. Sans surprise, Foodwatch a réagi à ce rejet en remettant en cause la crédibilité de l’institution, l’accusant de « défendre l’industrie de la junk-food ». Il s’agit là, en somme, de la principale ligne défendue par l’ONG : si vous n’êtes pas d’accord avec nous, vous devez être à la solde de l’industrie.
Quelles sont les solutions avancées par Foodwatch afin de combattre l’obésité ? Elle demande aux décideurs politiques de prendre des mesures concrètes comme la labellisation obligatoire, l’interdiction du « marketing aux enfants » (sans pour autant avoir donné des preuves de son existence) et des taxes sur le sucre. Sur ce dernier point, Foodwatch ne perd pas de temps à expliquer quels mécanismes comportementaux la soutienne, préjugeant simplement qu’une taxe mènera automatiquement à une réduction de la consommation. La science explique pourtant le contraire : la taxe sur les produits gras du Danemark, établie dans un état d’esprit similaire, a été abandonnée quelques 15 mois après sa mise en œuvre, par la même majorité. Elle avait été un échec. Le député social-démocrate Karl Lauterbach, probablement après avoir lu le rapport de 105 pages de Foodwatch, a dit dans une interview accordée à la chaine allemande NDR 24 heures après sa publication qu’il estimait lui aussi qu’une telle taxe était nécessaire.
Le rapport « Coca-cola » de Foodwatch est un exemple de paternalisme, et pas un document persuasif sensé initier une action politique. Le déni total de libre arbitre chez les consommateurs défendu par cette ONG nous en dit long sur ce qu’elle est. Il est indéniable que chacun devrait surveiller sa consommation de produits sucrés, et que les parents devraient surveiller celle de leurs enfants. Tout le monde s’accorde à le dire. Ce que les consommateurs risquent toutefois d’avaler de travers est l’idée que leurs choix ne dépendent pas de leur libre arbitre et qu’il revient à une poignée d’activistes de déterminer ce qui constitue un mode de vie idéal.
Les consommateurs méritent un choix. Le mien est de considérer le rapport de Foodwatch pour ce qu’il est : un exemple flagrant de paternalisme, et rien de plus.
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