Une étude de mars 2024 du cabinet Cways fait état d’un taux de 37% de français touchés par l’insécurité alimentaire (1).
Cette qualification est établie par la réponse des interviewés à 7 questions indirectes sur le sujet de leur accès économique à l’alimentation. Ce taux de 11% en 2015 a donc plus que triplé en 9 ans !
Ce résultat est un choc ! Il est le symptôme d’un pouvoir d’achat rogné par toujours plus de dépenses contraintes et d’une inflation ranimée qui impose dans le pays de la bonne chair des restrictions d’un autre âge.
Le plus curieux dans cette découverte est que justement ce soit une découverte. Que la sécurité alimentaire des Français ne soit plus dans les radars des politiques publiques. Le plus surprenant est que les critères écologiques de la production agricole aient pris la place de l’accès à l’alimentation équilibrée et diversifiée de la population. Que les médias soulignent l’importance de produire écologique en occultant l’importance du prix pour tant de français modestes.
Quelles est la cause intime de cet insécurité alimentaire ?
Une offre de marché grippée par la législation
Alors que cette insécurité alimentaire est établie, les raisons de sa progression sont des interprétations de signaux et de faits qui peuvent être débattues.
En voici une qui s’appuie sur des observations de la vie économique des territoires depuis plus de 30 ans.
Les denrées agricoles sont indispensables pour fabriquer les produits alimentaires diversifiés nécessaires à notre vie en bonne santé. Quel que soit leur prix nous avons chaque jour besoin d’acheter un panier de produits alimentaires pour couvrir nos besoins physiologiques. La stabilité de nos besoins physiologiques et de nos goûts entraine une certaine régularité de nos achats alimentaires. Les matières premières (commodités peu nombreuses) nécessaires pour les fabriquer sont achetées par les transformateurs et représentent autour de 60% du prix de revient des produits finis. Ainsi les prix des commodités impactent fortement le prix des produits alimentaires comme nous l’avons constaté récemment avec la guerre en Ukraine.
Or ces commodités échangées sur des marchés mondiaux ont des prix très volatiles qui sont fixés par le marché selon la loi de l’offre et de la demande (et non par les coûts de production). Dès que l’offre est inférieure à la demande le prix s’enflamme et inversement, dès que l’offre dépasse la demande le prix s’effondre.
Il faut donc que la production de chaque commodité s’adapte à la consommation s’il on veut réguler leur prix. Un prix qui couvre le coût de production du producteur et qui soit accessible pour le consommateur.
Or aujourd’hui la dynamique de production est freinée par nombre d’obstacles politiques, normatifs, réglementaires, juridiques. Les projets d’investissements, d’agrandissements, de modernisation des exploitations agricoles ou des usines de transformation sont ensablés dans les méandres des procédures d’autorisation. Par peur des agitations écologistes et des riverains retraités, les préfectures et mairies hésitent à libérer les forces productives en autorisant la construction des nouveaux outils de production (ateliers agricoles, usines alimentaires) et c’est ainsi que la production baisse en France pour nombre de commodités agricoles (en particulier les produits animaux Abcis) (2). Sans cette régulation du prix par la quantité produite on constate aujourd’hui une production insuffisante qui pousse les prix nationaux à la hausse et installe une inflation sur les produits alimentaires. Autre conséquence, les produits agricoles importés pénètrent notre marché alors que nos exportations se réduisent par manque de compétitivité.
Cette situation est très favorable pour le revenu des agriculteurs en place qui profitent ainsi de prix élevés assurés par les obstacles aux nouveaux entrants. Mais cette situation n’est que temporaire car les importations moins chères ne tarderont pas à prendre la place des productions françaises manquantes.
La régulation économique de l’offre et de la demande est ainsi bloquée par une réglementation qui a donné un poids exorbitant aux contre-pouvoirs de production créant les labyrinthes administratifs qui paralysent la France productive depuis 20 ans. (Lois, Voynet Chevènement SRU 1999).
Une réaction urgente de l’agriculture efficiente
Si l’on partage ce point de vue, il devient donc clair que le retour à des prix alimentaires plus accessibles pour les Français passe par un retour à une politique de production. Les subventions outrancières affectées aux productions biologiques et les surtranspositions des interdictions européennes de phytosanitaires n’ont fait que réduire les rendements et fragilisé ainsi les producteurs confrontés à la décroissance en volume. Elles ont fragilisé la ferme France face à la concurrence mondiale dans une économie ouverte aux commodités totalement substituables (3).
Après plus de 20 ans, cette vision urbaine des campagnes et de la diabolisation écologique de l’agriculture productive a produit ses résultats incroyables : la France n’arrive plus à nourrir ses concitoyens à un prix accessible. Elle a par ailleurs perdu massivement ses parts de marché en Europe et dans le monde pour son industrie agricole et alimentaire. (3)
Le résultat de cette étude de Cways doit faire prendre conscience à l’ensemble des forces médiatiques et politiques de l’impasse dans laquelle l’utopie naturaliste des 20 dernières années nous a mené. Une nouvelle vision pour une agriculture efficiente et compétitive est indispensable pour nourrir correctement les citoyens français.
On peut d’ores et déjà rassurer les esprits chagrins : plus l’agriculture est efficiente, plus elle est durable car moins elle consomme d’intrants et émet de GES par tonne produite. Les phytosanitaires autorisés aujourd’hui sont très spécifiques et peu rémanents. Ils sont épandus avec des technologies économes qui réduisent le risque de résidus dans les sols et dans les produits. (4).
C’est par la science, la technologie et le savoir-faire agricole que la France doit reprendre le chemin de la production efficiente et durable pour le bien commun et pour nourrir les Hommes par des produits diversifiés économiquement accessibles et de qualité.
- Modification de l’alimentation. Montée de l’insécurité alimentaire Cways. 14 mars 2024 https://www.nestle.fr/sites/g/files/pydnoa566/files/2023-11/Observatoire%20des%20Vuln%C3%A9rabilit%C3%A9s%20Alimentaires.pdf
- https://www.abcis.com/
- Rapport du Sénat de N° 905 le 28 septembre 2022. Au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la compétitivité de la ferme France, par MM. Laurent DUPLOMB, Pierre LOUAULT et Serge MÉRILLOU)
- The 2021 European Union report on pesticide residues in food. European Food Safety Authority (EFSA).
Ouvrage de l’auteur
« Il n’est pas trop tard pour sauver notre industrie agro-alimentaire. » Richard Menu (Interview)
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