L’Allemagne sait déjà qu’elle n’atteindra pas les objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés pour 2020 et que l’écart sera considérable. C’est la raison pour laquelle le pays reporte la fermeture des centrales au charbon et construit le Nord Stream.
Cet article est une publication originale de notre site partenaire Wszystko Co Najważniejsze.
En septembre dernier, j’ai été invité à assister au Forum scientifique de la Conférence générale de l’AIE pour faire une présentation exposant les arguments en faveur du développement de l’énergie nucléaire en tant que facteur de protection du climat pour un pays ayant l’un des plus élevés taux d’émission de CO2 par unité d’énergie produite en Europe. J’aurais pu répéter certaines déclarations banales trouvées dans de nombreux rapports, mais physicien de profession, je préférais me concentrer sur les faits.
Sur la base des données de l’Agence européenne pour l’environnement, j’ai fait la comparaison des taux d’émission historiques pour la Pologne, l’Allemagne et la France. Les résultats, même si évidents pour moi, peuvent sembler choquants pour beaucoup. J’ai notamment constaté que, au cours des vingt dernières années, la Pologne a quasiment réduit ses émissions autant que l’Allemagne, dont les investissements totaux dans les énergies renouvelables dépassaient 250 milliards d’euros. Bien sûr, il est question des niveaux légèrement différents. Les émissions allemandes par unité d’énergie produite représentent environ la moitié de celles de la Pologne, mais n’oublions pas qu’en Pologne nous sommes partis d’un tout autre niveau. L’image devient encore plus frappante lorsqu’on regarde la France. En fait, si l’Allemagne est le chef de file en matière de développement des sources d’énergie renouvelables, elle produit dix fois plus d’émissions que la France qui, elle, s’appuie sur le nucléaire. Et nous arrivons ici à des conclusions et à des questions très intéressantes.
Comment est-il possible qu’un pays qui investit énormément dans les énergies renouvelables finit par obtenir un ratio similaire à celui de la Pologne ? Pour les experts en l’énergie, la réponse est simple : les sources d’énergie instables atteignent un certain degré de saturation dans le mix énergétique, à tel point que leur développement ne conduit plus à une augmentation effective de leur part dans la production totale d’énergie. Le réseau d’alimentation électrique est un système à bilan zéro. L’énergie est produite en volumes qui peuvent être consommés, les possibilités de stockage étant généralement marginales. Le système énergétique ne peut pas se nourrir uniquement d’énergies renouvelables sans approvisionnement en sources stables. Celles-ci, dans le cas de l’Allemagne, sont fournies par des centrales au lignite, soit les plus émissives. Bien conscient de cela, notre voisin occidental creuse de nouvelles mines de lignite et a récemment pris le parti de la Pologne, freinant ainsi l’ambition du Parlement européen de fixer des objectifs de réduction des émissions de CO2 plus ambitieux. L’Allemagne sait déjà qu’elle n’atteindra pas les objectifs fixés pour 2020 et que l’écart sera considérable. C’est la raison pour laquelle le pays reporte la fermeture des centrales au charbon et construit le Nord Stream 2. La seule possibilité de réduction, en supposant la sortie du charbon et du nucléaire, est le gaz, et c’est la raison pour laquelle l’Allemagne est si déterminée à mener à bien le deuxième tronçon du gazoduc Nord Stream.
Un expert allemand en éolien, conseiller du ministre allemand de l’Economie, s’est récemment rendu à Varsovie pour donner des conférences intéressantes (à l’Université de Varsovie et au Sejm) sur l’énergie éolienne en tant que source d’énergie, avec un message clair : l’éolien ne peut pas constituer la base du système électrique, pas plus que l’offshore. Il a également expliqué pourquoi le Saint-Graal des énergies renouvelables, c’est-à-dire une installation de stockage capable de combler l’écart en cas de coupure du vent sur une journée dans l’ensemble du pays, est impossible à concevoir, voire n’existe pas. Et il faut s’en souvenir que le « silence du vent » peut durer des semaines.
Penchons-nous maintenant sur le cas de la France qui, elle, dépend à 75% de l’énergie nucléaire. La part qui reste, fournie par les centrales thermiques, émet en moyenne dix fois moins de CO2 par unité d’énergie produite que l’Allemagne voisine. Le Président de la République en fonction a abandonné le plan de son prédécesseur qui, sur la vague de l’idéologie verte, s’était engagé à réduire la part du nucléaire à 50%, affirmant que ce qui importait, c’était la réduction des émissions et non la manière dont elle serait réalisée. Néanmoins, afin d’apaiser le lobby éolien, il a approuvé l’idée de la construction de parcs éoliens offshore, avec un prix garanti cinq fois plus cher que celui de l’énergie nucléaire. Eh bien, les riches peuvent se permettre davantage
L’Union européenne devrait se demander si la voie de développement des énergies renouvelables choisie ou plutôt enforcée, conduit véritablement à la protection du climat, c’est-à-dire à la réduction des émissions de CO2, ou s’il s’agit d’une démarche à but lucratif. Je pense que la seconde réponse est la bonne. Il se peut que, au début, le développement de l’énergie éolienne, par exemple, ait été motivé par des considérations écologiques, mais d’énormes subventions ont rendu ce mode de production de l’énergie un exercice fort profitable. Il y a quelques années, j’ai lu un article par un cabinet de conseil selon lequel « une éolienne n’est pas une centrale éolienne ; c’est un excellent instrument financier. » Et c’est vrai dans la mesure où il n’est pas facile d’indiquer d’autres instruments qui garantissaient des profits élevés pendant plusieurs années. C’est aussi une source d’excellentes affaires, avec un lobby puissant. Sinon, comment expliquer les dispositions de l’accord de coalition entre le SPD et la CDU qui parle explicitement de l’exportation d’Energiewende, en mettant en avant la protection de près de 200 000 emplois en Allemagne ? En plus, ce même document opte pour bloquer l’utilisation de fonds du budget de l’UE pour le développement de l’énergie nucléaire. L’Allemagne peut donc utiliser les fonds polonais versés au budget de l’UE pour développer ses sources renouvelables, mais la Pologne ne peut pas profiter de ses propres contributions pour faire avancer l’énergie nucléaire.
Les 30 dernières années ont été marquées par un net ralentissement du développement de l’énergie nucléaire dans le soi-disant premier monde. Cela a été causé en premier lieu par la défaillance de la centrale de Tchernobyl (déclenchée consciemment par le personnel). Et ensuite, alors que l’énergie nucléaire connaissait une renaissance, un tsunami au Japon est venu mettre des bâtons dans les roues. Bien que personne ne soit mort des suites d’une exposition aux radiations à Fukushima, les opposants à l’énergie nucléaire ont profité de l’accident pour militer contre son exploitation, tout en empêchant son développement économiquement viable. Bien sûr, comme je l’ai souligné, cela ne s’applique pas aux pays en développement. Et pourtant, en plus de fournir de l’électricité, les nouvelles technologies nucléaires ont une application beaucoup plus large. Ils permettent notamment de produire de la chaleur à des fins de chauffage ou chaleur industrielle, ainsi que d’atteindre des températures permettant une pyrolyse hydratée efficace conduisant à la création du combustible le plus prometteur – l’hydrogène. Et tout cela est possible avec zéro émissions dans l’atmosphère. L’avantage de ces nouvelles solutions est la sécurité passive : rien ne saurait provoquer la fobte du cœur d’un réacteur à la suite d’une perte de liquide de refroidissement. En tant que le Premier Monde, nous commençons à prendre du retard …
Dès lors, il est légitime se demander qui tire le plus grand profit du développement des énergies renouvelables. Car il est évident pour moi que ce n’est pas le climat. Outre les industries liées aux renouvelables et les marchés financiers, les principaux bénéficiaires en sont les fournisseurs du gaz naturel (GN), un combustible supportant l’utilisation des renouvelables, dont les ressources européennes s’épuisent progressivement. Seule la Russie en a en abondance. Je ne compterais pas beaucoup sur le gaz naturel liquéfié (GNL), car les pays asiatiques sont en mesure de payer plus que nous, et leurs besoins sont nettement plus importants et toujours croissants. L’Allemagne sécurise les approvisionnements en gaz russe en Europe au travers du Nord Stream de sorte qu’elle maîtrisera, d’ici quelques années, sa distribution en Europe. Je me permets d’ajouter que chaque fois que l’Allemagne et la Russie ont entamé une coopération étroite derrière le dos de la Pologne, rien de bon n’en sortait pour nous.
Si l’UE voulait vraiment protéger le climat en réduisant les émissions de CO2, elle fixerait les objectifs de réduction aussi efficacement que possible, quelle que soit la technologie utilisée. La technologie la plus efficace actuellement disponible est la fission nucléaire (la technologie de fusion a encore des progrès à faire avant être commercialisée). La génération nucléaire coûte cher en phase d’investissement, mais le processus d’exploitation est à lui seul bon marché, grâce notamment à la longue durée de vie et aux faibles coûts variables du parc nucléaire. Elle est disponible sur demande, quelles que soient les conditions météorologiques, garantissant ainsi la sécurité énergétique. Par ailleurs, le fait piquant est que la moitié de l’énergie non émettrice de l’UE est produite par des centrales nucléaires.
Mais l’énergie nucléaire a aussi de nombreux ennemis, en particulier idéologiques, qui ont pour l’argument « non parce que non. » Ses opposants font appel aux mensonges ou aux déclarations fausses, plutôt qu’aux faits ; ils ne savent pas de quoi ils parlent et, malheureusement, ils sont capables de jouer sur les émotions. Mais c’est le problème des pays occidentaux, totalement hors de propos pour les puissances croissantes de l’Asie, qui vivent une progression dynamique l’énergie nucléaire.
Plusieurs rapports sur les changements climatiques ont été récemment publiés, préconisant le développer l’énergie nucléaire en tant que seule mesure réelle capable d’empêcher l’aggravation des dommages. L’étude de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), présentée au début de cette année, soulignait de manière impartiale et équilibrée la nécessité d’un développement intensif de l’énergie nucléaire. Le plus surprenant est pourtant l’étude récente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) selon laquelle, de tous les scénarios aboutissant à la limitation de l’élévation de la température moyenne, le plus efficace est celui qui soumet le développement important de l’énergie nucléaire.
Le temps est peut-être venu de modifier la politique de l’UE et de remplacer « l’énergie renouvelable » par « l’énergie propre » ?
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