L’industrie ferroviaire, ALSTOM en tête, a développé une technologie en appui sur « la pile à combustible à hydrogène », affichée comme un substitut au moteur diesel, même si les derniers modèles équipant les rames automotrices et les locomotives de puissance, sont particulièrement performants.
Aux côtés de l’attachant « petit train jaune » pyrénéen, voici venu le « grand train vert universel » !
Le mariage de l’hydrogène et du rail, qui permet de ne relâcher que de l’eau dans la nature, est présenté comme prometteur par ses tenants, et c’est indéniablement une réussite technologique, qu’elle soit économiquement viable reste à démontrer, surtout si on s’interdit l’usage de l’hydrogène gris, issu du reformage des molécules d’hydrocarbures, bon marché, par comparaison avec l’hydrogène vert, issu de l’électrolyse de l’eau par une électricité décarbonée.
Pour le monde ferroviaire, constructeurs et transporteurs, le contexte de « chasse aux fossiles » offre une belle opportunité de se draper de « verditude », l’affichage de saison pouvant aisément prendre le pas sur la rationalité économique et bousculer les priorités lourdes.
Ainsi, s’il est logique qu’ALSTOM joue sa partie, est-il plus urgent, pour la SNCF, de verdir un train déjà vert, ou de vraiment changer d’échelle pour le ferroutage ?
SNCF-SA : une volonté affichée d’exemplarité écologique
Dans ses documents stratégiques et dans sa communication (1), la SNCF s’affiche et s’affirme acteur engagé sur le front de la lutte contre l’utilisation des combustibles fossiles : « Notre cible c’est la neutralité carbone en 2050 un objectif de 30% de réduction de nos émissions de CO2 dans la traction ferroviaire en 2030 /2015 ». Bravo, qui s’en plaindrait ?
Reste qu’on n’imaginait pas spontanément que ce front-là de la lutte était majeur, la SNCF ayant toujours mis en avant ses performances environnementales, en particulier grâce à la très forte proportion de « voyageurs x km » en traction électrique et à la modernisation poussée de son parc d’automoteurs diesels. A cet égard, les chiffres sont trompeurs et si on constate que le quart des circulations utilise encore le diésel et que 40% du réseau n’est pas électrifié, ce ne sont tout simplement pas les bons indicateurs.
Mais on peut faire plus vert que vert !
Sans doute, l’électricité utilisée, très majoritairement d’origine nucléaire, n’est-elle plus apparue assez verte, pour que la SNCF fasse de l’accroissement de l’usage de l’électricité renouvelable l’un de ses axes de communication, contractant même directement (voire exclusivement pour certains) avec des producteurs solaires et éoliens.
La SNCF est le premier utilisateur national d’électricité pour l’industrie (10%, l’équivalent de la production dédiée d’un réacteur nucléaire), et ses choix importent, mais décidément, au-delà de cette analogie, il semble qu’on ne veuille plus associer TGV et nucléaire, un duo longtemps perçu comme gagnant, mais une image devenue négative dans l’air du temps écologique… quand bien même l’opinion décillée se retourne, dommage !
En même temps, sacrifiant à ce sur-moi idéologique, la SNCF déclare la guerre à l’utilisation du diesel (même si, s’agissant de transport collectif, on peut plaider que ce carburant était plutôt utilisé à bon escient), l’hydrogène étant son horizon de remplacement et le bio-fioul son ersatz de plus court terme, déjà utilisé intégralement sur certaines lignes (Paris-Granville), malgré les avis pour le moins contrastés, sur les vertus écologiques des agro-carburants, ici produit avec du colza.
H2 + ½ O2 => H2O, des trains « propres sur eux » ?
Actuellement, en France, la production d’hydrogène (pour un usage de niches, mais avec des volumes conséquents) est réalisée à partir des hydrocarbures. Peu onéreux, le process a l’inconvénient de s’accompagner de force émissions de CO2.
Demain ou après-demain, on peut augurer que l’hydrogène produit en France ou importé sera fabriqué à partir de procédés plus vertueux, pour l’essentiel l’électrolyse de l’eau à partir d’une électricité décarbonée, les puristes excluant un recours au nucléaire, ce qui est proprement aberrant.
L’hydrogène est à la mode, on imagine son usage sur un très large spectre, présenté parfois comme le Graal, puisque palliant la difficile stockabilité de l’électricité. Vrai si on omet de regarder le rendement des chaînes et de s’interroger sur le meilleur usage qu’on peut faire d’une électricité onéreusement décarbonée, deux réserves majeures.
Le ferroviaire, surtout les automoteurs, se prête bien à l’utilisation de l’hydrogène, via la pile à combustible, les volumes nécessaires à l’installation de la pile, du lourd réservoir H2, et des racks des nécessaires batteries, y sont facilement ménageables. Le démarrage de l’engin requiert, en effet, une puissance que la pile ne peut seule délivrer, un appoint conséquent est donc fourni par des batteries, lesquelles peuvent ensuite être (en partie), rechargées par « récupération » lors des phases de freinage.
Reste à créer la logistique d’approvisionnement en hydrogène dans le cadre d’un service régulier, au départ sur des lignes dédiées, un schéma à développer et à optimiser, car part importante du coût d’exploitation.
Pousse française dans un jardin allemand
Alstom a créé un concept efficace dénommé par lui : « train avec pile à combustible à hydrogène » et possède en Europe une réelle avance sur les autres majors du secteur, qui ont démarré plus tard, mais montent rapidement en puissance. Installé sur un modèle de rame automotrice moderne existante (les Coradia, en service dans toute l’Europe ), l’ensemble a été testé en Allemagne, et mis en service commercial régulier en Basse Saxe. Les résultats techniques sont probants, large autonomie, bonne fiabilité, reste à montrer que le concept se place avantageusement, relativement à d’autres solutions.
Les alternatives
Le simple appui sur des batteries, couplé ou non avec une alimentation par caténaires, constitue en effet un concurrent naturel au train à hydrogène. A cet égard, l’observation de la nature des nouvelles commandes des opérateurs sera fort instructive.
L’ensemble « batteries-caténaire » peut aussi constituer un kit optimal pour de nouvelles électrifications, les trains utilisant les batteries sur les parties où la mise au gabarit caténaires est coûteuse (voire rédhibitoire), le reste étant « électrifié » de façon plus classique, ce qu’on sait faire aujourd’hui, de façon adaptée à la performance attendue.
En France et ailleurs, d’autres concepts, « diesel-caténaire », fonctionnent efficacement et de longue date, couplant des moteurs thermiques à haut rendement qui relayent la traction électrique dans les zones non alimentées.
L’attrait de la molécule à la mode et le désir de ne pas manquer le train vert, ont conduit plusieurs régions françaises (2) à passer commande à Alstom, via la SNCF, de rames automotrices «hydrogène-caténaire », qui devraient assurer leurs service à partir de 2025, une solution plus universelle que le seul appui sur l’hydrogène.
Par ailleurs, il n’a pas encore été montré, qu’on savait remplacer les puissants moteurs des locomotives diesel actuelles (désormais presque totalement dévolues au fret), par des dispositifs s’appuyant sur des piles à combustible, un saut qualitatif restant à réaliser…dont la construction d’une usine de piles à combustible de puissance (jusqu’à 10 MW), sur l’ancien site Ford de Blanquefort, en Gironde, est peut-être le premier step ? Restera le nécessaire appoint en puissance de batteries pour le démarrage et la montée en puissance de la locomotive, mais alors, il en faudra vraiment beaucoup !
Le cheval de fer se mue en cheval de Troie ?
Il est de bonne guerre que la faisabilité prouvée techniquement, sinon économiquement de l’usage de l’hydrogène dans la traction ferroviaire, ait été valorisée par ses tenants, s’agissant de son application dans d’autres modes de transports (automobile, transport routier, aviation,..) alors que les données sont loin d’être aussi favorables, quand elles ne sont pas raisonnablement insurmontables.
A cet égard, on s’oblige à des trésors de complexité et à des surcoûts problématiques, pour permettre le recours à l’hydrogène en remplacement de combustibles fossiles, pour certains usages s’y prêtant mal : la voiture individuelle (acceptation problématique et faisabilité), le poids lourd (sans doute faisable, mais difficilement), l’avion (largement utopique). Alors pourquoi ne pas choisir de mieux rationnaliser l’utilisation des combustibles fossiles pour ces usages spécifiques, d’importantes marges de progrès existent encore.
Ainsi, diminuer en volume les voyages passagers et le transport de fret aériens, changer vraiment d’échelle dans le développement du ferroutage, électrifier les voitures petites et moyenne et les petits utilitaires et pas les SUV, et enfin, faire porter l’effort sur des process qu’on peut encore électrifier, dans l’industrie en particulier, en remplacement du gaz.
Image par Erich Westendarp de Pixabay
1 : Plan stratégique SNCF 2020 (au moment du passage d’EPIC en SA) : « Une ambition claire : devenir un champion mondial de la mobilité durable de voyageurs et de marchandises à l’horizon 2030 », « La transition écologique est au cœur de la stratégie de développement durable de la SNCF ».
Raison d’être de l’Entreprise SNCF : « Agir pour une société en mouvement, solidaire et durable ».
2 : Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Occitanie ont commandé, en juillet 2022, des rames bi-mode alimentées par de l’électricité et de l’hydrogène. Ces trains Régiolis H2 doivent remplacer dans les prochaines années les rames TER diesel