L’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement, et du travail (ANSES) a conclu, en mai 2019, plusieurs années d’expertise sur le risque potentiel des LED, et publié une série de recommandations dans un rapport de 424 pages en français.
L’une des recommandations les plus significatives est la diminution de la valeur limite pour l’exposition humaine à la lumière bleue des LED. Pourtant, sur la base des lignes directrices de la commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP), les normes européennes ont fixé la valeur limite d’exposition (VLE) à 2,2 J/cm2, ce qui est 5 fois plus faible que la valeur admise comme rétinotoxique pour l’être humain. Dans le rapport de l’ANSES, les arguments en faveur de la diminution de la VLE sont fondés, principalement, sur:
- des études in vitro, qui fournissent des éléments contribuant à l’analyse de risques, mais ne permettent pas une extrapolation directe à la santé oculaire humaine.
- une étude réalisée sur des primates dont les propriétés physiologiques et biométriques de l’œil sont proches de celles de l’œil humain; mais dans cette étude, les éclairements, de l’ordre de 7000 Lux, ne sont pas représentatifs de situations d’éclairage normales.
- Une étude qui a mis en évidence que la réduction de l’autofluorescence de la lipofuscine de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR) apparaît à des niveaux de luminosité 20 fois inférieurs à la valeur limite d’exposition pour 568 nm de longueur d’onde, c’est-à-dire dans le vert-jaune, et non dans le bleu. En outre, les auteurs de l’étude en question affirment que l’on ignore aujourd’hui si la réduction de l’autofluorescence de la lipofuscine de l’EPR est un marqueur d’une réaction bénigne ou d’un mécanisme potentiellement rétinotoxique. Cependant, sur cette base, les auteurs du rapport de l’ANSES extrapolent les résultats et estiment que la VLE pour la toxicité rétinienne de la lumière bleue pourrait être 20 fois plus élevée qu’une valeur protectrice pour l’être humain.
- Des études in vivo (dont plusieurs menées sous l’égide de l’INSERM, l’institut national de la santé et de la recherche médicale) réalisées sur des rats. En ce qui concerne la pertinence du rat comme modèle animal pour les études d’exposition à la lumière bleue, nous avons ces dernières années publié plusieurs articles indiquant les effets, sur le résultat du calcul de l’exposition rétinienne, de l’incertitude entourant les valeurs biométriques (taille de pupille et longueur focale) de l’œil du rat.
Nous avons également publié des données sur les différences dans les rapports taille de pupille/ longueur focale entre l’œil humain et l’œil de rat, différences qui impliquent que, pour une lampe donnée, l’éclairement rétinien (et donc le risque phototoxique) est potentiellement beaucoup plus faible pour les humains que pour les rats. Comme les études citées omettent, d’une part, de prendre en compte les incertitudes entourant le calcul de l’exposition de la rétine du rat et, d’autre part, de prendre en compte les différences d’éclairement rétinien entre l’œil de rat et l’œil humain, elles ne devraient pas être utilisées pour remettre en question la valeur limite pour l’exposition humaine à la lumière bleue des LED. Cependant, il semble que nos critiques sur la méthodologie utilisée par la plupart des études basées sur le modèle de rat n’ont pas été examinées ni discutées par le groupe de travail de l’ANSES.
Le rapport de l’ANSES ne fait pas que négliger une analyse critique; ses conclusions sur la phototoxicité des LED divergent notablement de celles du CSRSEE, le comité scientifique européen des risques sanitaires, environnementaux et émergents, qui a conclu l’année dernière, dans son avis final sur les risques potentiels pour la santé humaine des LED, qu’ « il n’y a aucune preuve d’effets nocifs directs des LED en utilisation normale pour la population générale. Les études cellulaires et animales montrant des effets néfastes semblent être effectuées dans des conditions d’exposition difficiles à relier aux expositions humaines ou bien les niveaux d’exposition utilisés dépassent les limites d’exposition convenues au niveau international» (traduction par l’auteur).
En conclusion, la phototoxicité rétinienne de la lumière produite par les LED à faibles niveaux d’éclairement («effet faible dose») n’est suspectée que chez le rat, et encore les résultats sont potentiellement entachés d’erreurs liées à l’exactitude des valeurs choisies pour les paramètres fondamentaux telles que la taille de la pupille et la distance focale de l’œil du rat. En outre, étant donné les différences biométriques entre l’œil du rat et l’œil humain, une lampe crée généralement des éclairements rétiniens plus élevés sur la rétine du rat que sur la rétine humaine, ce qui fait du rat un modèle peu représentatif; scientifiquement, rien ne prouve que les LED en utilisation normale sont dangereuses pour la population générale. C’est aussi l’avis des experts européens du CSRSEE.
Cette histoire d’expertise franco-française prouve qu’il est peut-être temps que les risques sanitaires et environnementaux soient évalués par une agence européenne unique. Cela permettrait probablement d’économiser de l’argent, mais aussi de produire une meilleure expertise et de fournir des informations scientifiques claires, cohérentes et fiables aux citoyens européens.
ANSES, avis et rapport de l’Anses relatif aux effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore) des systèmes utilisant des diodes électroluninescentes (LED), avril 2019.
Cliquer pour accéder à AP2014SA0253Ra.pdf
SCHEER, Final Opinion on potential risks to human health of Light Emitting Diodes (LEDs), 5-6 June 2018
Cliquer pour accéder à scheer_o_011.pdf
Point, S., Lambrozo, J. (2017). Some evidences that white LEDs are toxic for human at domestic radiance? Radioprotection.
https://www.radioprotection.org/articles/radiopro/abs/2017/04/radiopro170025/radiopro170025.html
Point S. 2018. Blue Light Hazard: are exposure limit values protective enough for newborn infants? Radioprotection.
https://www.radioprotection.org/articles/radiopro/abs/2018/03/radiopro170072/radiopro170072.html
Point, S., (2018) Lumière et santé, Yearbook 2018, revue ERS.
Cliquer pour accéder à ers-312078-synthese_lumiere_bleue_et_sante-a.pdf
Point, S., Beroud, M. (2019) Blue light hazard : does rat retina make a relevant model for discussing exposure limit values applicable to humans?, Radioprotection.
https://www.radioprotection.org/articles/radiopro/abs/first/radiopro190006/radiopro190006.html
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et pour les professionnels ! surtout prévention des risques professionnels des diodes électroluminescentes (LED) pour les yeux lors d’expositions fréquentes et prolongées ! : or, téléviseurs, écrans d’ordinateur, et surtout ampoules LED d’éclairage à basse consommation des locaux professionnels ou commerciaux … émettent des rayonnements de lumière bleue intenses, et de nombreux travailleurs y sont exposés toute la journée : http://www.officiel-prevention.com/sante-hygiene-medecine-du-travail-sst/eclairage-des-locaux/detail_dossier_CHSCT.php?rub=37&ssrub=67&dossid=525