Interview de Guy Waksman, membre de l’Académie d’Agriculture
Guy Waksman est ingénieur agronome diplômé de l’ENSAM (1970), et titulaire d’un DEA d’écologie végétale. Ayant commencé sa carrière au Ministère des terres et forêts du Québec comme responsable des analyses statistiques et à la Compagnie générale de Géophysique en tant que responsable de la télédétection, il a été chef de service informatique de l’ACTA et directeur des études et développement de la SARC ACTA. G. WAKSMAN a été un des pionniers de l’informatique agricole en France et en Europe. Il est l’éditeur de la lettre électronique « Du côté du web et de l’informatique agricole ». Il est le fondateur de l’EFITA (European Federation for Information Technology in Agriculture), dont il a été élu président.
The European Scientist : Guy Waksman, vous êtes l’un des experts français de l’agriculture de précision. Vous rentrez d’un voyage d’étude aux Pays-Bas, qu’y avez-vous vu ?
Guy Waksman
J’ai visité l’université de Wageningen (10000 étudiants en agriculture, dont énormément de non européens, 6500 employés, chercheurs et enseignants). À quelques dizaines de mètres du bâtiment principal, se trouve l’immeuble Atlas qui héberge les start-ups au sein même de l’université, au moins tant qu’elles sont en phase de démarrage. Une fois développées, les start-ups émigrent au-delà du campus vers les quartiers des entreprises, lesquelles gardent des relations étroites avec l’université. Cette organisation me semble offrir un modèle vertueux et les autres pays feraient bien de s’en inspirer.
TES : Quelle est la particularité des start-up de l’agri-food ?
GW : Comme les autres, elles font des levées de fonds parfois fabuleuses, et on y trouve beaucoup d’investisseurs qui s’intéressent aux utilisations des technologies de l’information, aux robots, aux techniques de génie génétique aussi bien qu’aux nouveaux modes de consommation alimentaire, en un regroupement qui peut paraitre curieux, mais ce sont les fonds d’investissement qui en décident ainsi.
TES : La dynamique est-elle mondiale ?
GW : Au niveau mondial, si nous nous fiions à AgFunders, un grand spécialiste des investissements dans les « AgriFood Tech startups » aux USA, intervenant de l’amont à l’aval du secteur agricole, jusqu’à la transformation, et l’assiette du consommateur à son domicile ou au restaurant, ce sont presque 17 milliards $US qui ont été investis.
TES : En Europe, les investissements, bien que moindre, sont également conséquents
GW : En France, sur 5 ans 595 millions € ont été investis dans des startups agricoles. Manon Gazzotti a fait une cartographie pour référencer plus de 60 start-up.
Dans les années 1985-1995, nous avions déjà assisté à l’explosion rapide et simultanée d’une soixantaine de sociétés qui ont développé des logiciels agricoles, mais la plupart ont disparu et surtout ont été absorbées par Isagri, devenu un leader mondial sur son secteur, et par Smag. Qu’en sera-t-il des start-ups d’aujourd’hui ? Nous pouvons raisonnablement être plus optimistes parce que leurs personnels ont une culture entrepreneuriale qui a certainement manqué à leurs prédécesseurs. Et elles s’appuient sur des structures locales ou sur des réseaux comme « Le Village par CA », réseau impressionnant développé sous la houlette du Crédit Agricole. Au niveau européen, on estime qu’en 2018 les « AgriFood Tech start-ups » ont levé entre 750 millions € et un milliard €, en baisse cependant de 40 % par rapport à 2017. On remarquera également la dynamique d’un pays comme Israël. Les « AgriFood Tech start-ups » ont levé 759 millions de US$ sur 5 ans dans un écosystème composé de près de 700 sociétés.
TES : Les pays émergeants ne sont pas en reste
GW : Tout à fait. Au Kenya, la start-up WeFarm a créé un système d’information des agriculteurs accessible par Internet mais aussi via SMS, et propose également depuis peu une place de marché.
En Afrique le consortium “Afrique goes digital” regroupe plus de trente start-ups dont plusieurs s’intéressent à l’agriculture. Au Nigeria, comme au Ghana (comme en Afrique francophone), les start-ups se développent et quatorze d’entre elles (sélectionnées parmi 70 sociétés) se présenteront aux investisseurs et clients lors d’une réunion qui se tiendra à la fin mai – début juin 2019 à Accra (Ghana).
En Inde, au Brésil, comme partout ailleurs on trouvera ces « AgriFood Tech Startups » qui visent à vendre leurs applications soit sous forme de produits (achat de l’application) soit sous forme de services.
TES : Vous êtes très optimiste pour l’avenir du secteur
GW : On entend de nombreuses critiques à l’égard des start-ups, de leur mode de financement (parfois aléatoire), de leur fonctionnement (les jeunes diplômés y travaillent énormément sans être toujours rémunérés correctement), de leur marketing parfois exubérant (elles ne sont pas avares de promesses)…. Une fois que l’on a dit cela, il faut bien reconnaitre que ces jeunes sociétés font preuve d’une créativité et d’un dynamisme étonnant. Et tous ces jeunes gens qui s’investissent dans les « AgriFod Tech Start-ups » vont très certainement donner un nouveau visage au secteur primaire comme on l’appelait autrefois. Aussi, s’il est permis d’être volontariste en la matière, il faut souhaiter que, si cela n’a pas encore été le cas, tous nos centres de recherche donnent naissance dans leur environnement immédiat à des pépinières de start-ups.
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