Cela fait quelques mois désormais que les médias vous parlent de black-out, mais de quoi s’agit-il exactement ? Christian Semperes vous explique.
On parle de coupures d’électricité en cas de réseau tendu, quelles sont les causes et comment ça se passe avant la coupure volontaire, voire subie par le gestionnaire de réseau. Un peu de pédagogie ne fera pas de mal. Quand on comprend, on n’est pas pris au dépourvu.
Une consommation égale à la production
Commençons par rappeler comment se gère un réseau électrique. A tout instant, la consommation doit être égale à la production. Au niveau d’un pays et surtout de l’Europe l’électricité ne se stocke pas ou très peu. Le seul stockage sont les réservoirs STEP les stations de transfert d’énergie, les retenues d’eau où on turbine la journée et on pompe et remonte l’eau la nuit. Chaque fois qu’un consommateur appuie sur un interrupteur, un moyen de production doit compenser la consommation par l’apport de la même quantité d’électricité consommée.
Pour cela, tous les jours RTE prévoit « la courbe de consommation prévisible » en tenant compte de beaucoup de paramètres, le jour de la semaine ou du week-end, la météo bien sûr.
- Pour donner des ordres de grandeur de consommation, l’été la consommation est de l’ordre de 45GW. Au plus fort de l’hiver, il faut compter le double 80-90GW, avec un pic historique le 8 février 2012 à 19h de 102GW. En production, un réacteur nucléaire produit de l’ordre de 1 à 1,4GW. Une éolienne a une puissance installée de 0,01GW pour les plus grosses éoliennes offshore, encore faut il que le vent soit au rendez-vous au moment où RTE en a besoin avec la quantité adéquate.
- La consommation est diminuée d’environ 25% le week-end par rapport à un jour de semaine. La consommation diminue considérablement la nuit puis augmente à nouveau de 4h jusqu’à 9h à la reprise économique. Comme ordre de grandeur, la consommation entre 4h du matin et 9h équivaut au démarrage de 15 réacteurs, soit 15GW. Puis, un gros pic de consommation apparaît à 19h, lorsque Mr et Mme Michu font cuire la soupe. Et enfin, un dernier petit pic survient à 22h lors du passage en tarif de nuit.
Après sa prévision de consommation, RTE fait le point de ses moyens de production pilotables disponibles et leur détermine leur plan de charge respectif de la journée à venir. RTE se prévoit ce qu’on appelle des réserves, en cas de panne fortuite d’un moyen de production, pour toujours égaler consommation = production.
En cas de situation tendue
Lorsque RTE prévoit une situation tendue, une alerte est envoyée aux consommateurs pour demander de faire preuve de sobriété au moment des pics de consommation, cités ci-dessus.
Malgré cette mesure de prévention, que se passe-t-il lorsque la consommation est supérieure à la production ? En premier lieu, la fréquence de 50Hz diminue, comme dans un réservoir d’eau quand il y a plus d’eau qui sort qu’il en entre, le niveau d’eau baisse. Il en est de même pour la tension qui baisse lorsqu’il y a trop de consommation par rapport à la production. RTE peut laisser baisser la fréquence et la tension, mais doit agir avant d’atteindre les limites de déclenchement des moyens de production ce qui accentuerait le déséquilibre. Nous y reviendrons plus tard.
Lorsque toutes les réserves ont été consommées, RTE fait appel à l’importation d’électricité de nos voisins européens, mais les lignes ont aussi leurs limites, comme un tuyau qui ne peut pas laisser passer plus d’eau que le diamètre le permet. Les dernières valeurs d’importations de ce début décembre montre que les importations ont atteint 15GW. C’est une limite.
Lorsque toutes ces limites ont été atteintes, RTE utilise les contrats d’effacement. Ce sont des contrats passés avec les industriels très gros consommateurs d’électricité, par exemple des usines de fabrication d’aluminium. Le contrat garantit un coût préférentiel de l’électricité avec en contre partie la possibilité de RTE et ENEDIS de couper l’électricité lorsque la stabilité du réseau est en jeu, avec un délai court de prévenance. Ce sont donc les premières coupures volontaires et contractuelles réalisées. Ces contrats représentent plusieurs GW.
Dans le cas où cela ne suffit pas, il ne reste plus qu’à procéder à des coupures volontaires sur des parties du territoire, de manière à rétablir l’équilibre consommation / production, en baissant la consommation. RTE et ENEDIS ont élaboré des plans de coupures sur l’analyse de l’historique de consommation des années précédentes. Pour limiter les désagréments, RTE et ENEDIS prévoit des coupures tournantes de l’ordre de 2h. Les coupures excluent évidemment les consommateurs sensibles, centres de santé notamment.
Château de cartes
Pourquoi RTE et ENEDIS doivent-ils couper en préventif ? Pour éviter le black-out, comme celui qui est survenu le 19 décembre 1978, il y a fort longtemps beaucoup de français n’ont pas connu cela. Les britanniques l’ont vécu le 9 Août 2019 au sud du Royaume Uni. C’est quoi un black-out ? Lorsqu’on tarde à rétablir l’équilibre du réseau la fréquence et la tension peuvent baisser rapidement, trop rapidement jusqu’à atteindre les protections automatiques des moyens de production. Vous comprenez aisément que si un moyen de production coupe automatiquement son alimentation, il creuse le déséquilibre, un autre va donc déclencher et ainsi de suite, c’est ce qu’on appelle « l’écroulement automatique par château de cartes », le fameux black-out. Toute ou partie du territoire se retrouve alors dans le noir. En cas de black-out, quel est le délai du retour à la normale ? Tout dépend de l’étendue du black-out et tout dépend des moyens de production qui ont réussi à conserver leur disponibilité pour un recouplage rapide. Le 19 décembre 1978, le black-out avait eu lieu à 8h27 en concernant la France, une partie de la Belgique et de la Suisse. Le retour à la normale était revenu au cours du soir, avec encore une partie de la France dans le noir. Mais à l’époque, nous n’avions pas des consommations de 90GW ! La reconstitution progressive du réseau ne peut être réalisée qu’à partir de moyens de production pilotables et des capacités d’importation.
SOS « Pilotables »
En résumé, la stabilité d’un réseau électrique est conditionnée par le nombre de moyens de production pilotables qui peuvent rétablir un déséquilibre à la demande de RTE. Comme nous sommes en plein réchauffement climatique, ces moyens de production doivent être bas carbone. Il n’y en a pas 36. Ils sont au nombre de 2 seulement, l’hydraulique et le nucléaire. C’est le mix énergétique que nos politiques avaient imaginé au cours des années 1960-70 qui a fait la prospérité de la France, avec la garantie du service au public, une électricité bas carbone et à bas coût.
Alors pourquoi en sommes-nous arrivés en 2022 à imaginer des coupures tournantes et des black-out ? Posez la question aux politiques au pouvoir en France et en Europe depuis 10 ans. Profitez-en aussi pour leur demander comment ils imaginent reconstituer un réseau après un black-out avec une production 100% renouvelables.
La production d’électricité est un métier. Le service au public de l’électricité est une vocation. L’idéologie politique n’a pas sa place dans ce contexte.
Une « transition électrique » déjà à l’épreuve du black-out !
Pour que nos hôpitaux et nos écoles ne soient pas éclairés un jour sur cinq
L’Agence internationale de l’énergie sonne l’alarme mais se trompe de cible
Bonjour,
Je suis retraité d’EDF et agronome. Voilà une excellente description des contraintes liées au fonctionnement d’un réseau électrique. En conclusion, Christian Samperes nous dit que « l’idéologie politique n’a pas sa place dans ce contexte ». Bien évidemment, mais on peut considérer que les idéologues militants qui tiennent le discours du 100% renouvelable ont un autre objectif, celui du collapse économique préalable à une décroissance brutale et générale.
Parmi ces idéologues militants, beaucoup ont une formation supérieure et savent donc parfaitement ce qu’ils font.