
L’Institut Mutualiste Montsouris (IMM) est dans la tourmente. Institution incontournable du soin, de la prévention et de la recherche en Ile-de-France, l’établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) se classe régulièrement parmi les 50 meilleurs hôpitaux français. Avec 55 000 séjours hospitaliers et 250 000 consultations par an, l’IMM et ses près de 1 500 salariés sont, notamment, reconnus pour leur excellence et leur expertise en oncologie, en chirurgie invasive ou encore en pédopsychiatrie, attirant des patients de l’Europe entière.
Reflet de cette bonne réputation, l’activité de l’IMM a augmenté de 32 % en trois ans. Problème : le chiffre d’affaires de l’hôpital n’a, lui, progressé sur la même période que de 12 %. Et, à y regarder de plus près, la situation budgétaire de l’IMM semble bel et bien critique. Lourdement endetté depuis sa construction, l’établissement subit surtout de plein fouet les conséquences de la réforme de la tarification à l’activité, instaurée en 2004. Plus récemment, l’inflation galopante et les mesures salariales post-Covid ont achevé de déséquilibrer les comptes de l’IMM.
Alors que l’hôpital faisait face à des besoins significatifs de trésorerie, l’IMM a été placé en redressement judiciaire le 3 février. L’accompagnement financier consenti à l’établissement – 48 millions d’euros depuis 2008 – est presque trois fois inférieur au coût de l’immobilier, non pris en charge par la tarification à l’activité. Pour sortir de l’ornière, plusieurs pistes sont ou ont été envisagées, parmi lesquelles une recapitalisation par les mutuelles ou encore la fusion avec l’Hôpital Saint-Joseph ou l’Institut Curie.
Chef du département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte de l’IMM, le professeur Maurice Corcos plaide pour la survie in extenso d’une structure dont les synergies entre services sont uniques en France. Pour le pédopsychiatre, la fermeture ou le démembrement de l’IMM serait une « aberration », à l’heure où la prévalence des troubles psychiatriques explose chez les Français et, notamment, chez les enfants, les adolescents, les jeunes adultes et tout particulièrement les étudiants qui sont la clientèle privilégiée du département, avec, ne l’oublions pas, leurs familles et leurs fratries. Entretien avec un psy inquiet, infatigable défenseur de l’intérêt collectif.
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The European Scientist : L’IMM est en grande difficulté financière. Plusieurs pistes sont envisagées pour tenter d’éviter sa fermeture. L’un des scénarios avancés a-t-il, à l’heure actuelle, votre préférence ?
Pr. Maurice Corcos : Non, la seule condition est selon moi que notre activité continue de ressortir du service public. J’ai par dessus tout le souci de continuer à bien travailler et dans l’intérêt général. Pour cela, j’ai besoin d’un très bon service de médecine interne et d’un très bon service de réanimation aux côtés de mon département.
En tout état de cause, la situation actuelle ne peut s’éterniser. Nos équipes sont très affectées par cette crise, inquiètes de ne pas pouvoir continuer à offrir les mêmes services de soins en cas de reprise. Nos salariés souhaitent légitimement savoir ce qu’il adviendra d’eux en cas de reprise de l’IMM, quels services seraient impactés, etc. Ils attendent des réponses claires et rapides.
TES.: Vous vous opposez donc à toute séparation des diverses activités de l’IMM ? Quelles seraient les répercussions d’une telle décision sur le paysage hospitalier et, plus particulièrement, sur la prise en charge des troubles des conduites alimentaires (TCA), dont vous êtes spécialiste ?
M.C. : Une séparation des activités de l’IMM est, selon moi, inconcevable. À titre d’exemple, le département de psychiatrie dont j’assure la direction et qui prend en charge les personnes souffrant de TCA, donc fortement dénutries et parfois en danger vital, ne peut fonctionner sans somaticiens, sans services de réanimation ou de médecine interne. La qualité de la prise en charge de nos patients s’en trouverait dramatiquement dégradée.
TES.: Le département de pédopsychiatrie de l’IMM est justement réputé pour la complémentarité de son offre de soins, allant de la psychiatrie à la réanimation. En quoi cette pluridisciplinarité est-elle fondamentale selon vous ?
M.C. : Prenant en charge les TCA, mais également les pathologies suicidaires, les dépressions, la délinquance et les toxicomanies, l’IMM se distingue d’autres établissements équivalents par le fait qu’il s’adresse, spécifiquement, aux adolescents et aux jeunes adultes. Nos services sont précisément calibrés et organisés pour accueillir et soigner ces publics, que nous accompagnons tout au long de traitements qui peuvent parfois s’étendre sur plusieurs années, jusqu’à quatre ans voire davantage. À la différence d’autres centres spécialisés qui vont évaluer les patients avant de les rediriger vers d’autres structures – si elles en trouvent, ce qui est loin d’être acquis –, l’IMM est à même de proposer un large éventail de soins, allant de simples consultations aux psychothérapies, en passant par une prise en charge médicale ou, le cas échéant, une hospitalisation. Cette pluridisciplinarité est la condition sine qua non d’un réel accompagnement sur le long terme. Sans une telle prise en charge sur la durée, le traitement s’avère insuffisant.
Par ailleurs, les consultations de psychiatrie de liaison et d’addictologie de liaison que proposent quotidiennement les psychiatres du département à tous les services somatiques de l’établissement déploient une activité inestimable de prévention primaire en maternité et PMA, et secondaire et tertiaire dans tous les services chirurgicaux et la cancérologie (alcool, tabac, toxique).
TES.: Comment expliquez-vous que le chiffre d’affaires de l’IMM ait, au cours des dernières années, progressé deux fois moins vite que l’activité de l’hôpital ?
M.C. : L’IMM n’est pas en déficit parce qu’il ne travaille pas assez, au contraire. Nous sommes en déficit parce que nous travaillons beaucoup plus, tout en étant de moins en moins valorisés par la Sécurité sociale pour nos interventions et prises en charge.
Plus qu’une question économique, il s’agit donc d’une question politique : considère-t-on, ou pas, que l’IMM remplit toujours une mission de service public ? Et veut-on investir, ou pas, pour répondre aux besoins croissants de la population française – notamment, mais pas uniquement, en termes de troubles psychiatriques, qui sont en hausse constante, et que l’évolution sociétale que l’on voit poindre n’est pas à même de contenir.
TES.: Alors qu’on estime qu’un million de Français sont aujourd’hui affectés par des troubles alimentaires, quel regard le spécialiste que vous êtes pose-t-il sur cette flambée des cas ?
M.C. : Il s’agit effectivement d’un phénomène en expansion. La crise sanitaire et les confinements successifs ont entraîné une explosion (1) de ce moyen incarné d’expression d’une grave souffrance dépressive. Autant de raisons qui font malheureusement des TCA une pathologie d’actualité, de plus en plus fréquente et qui nécessite pour être soignée de pouvoir être traitée dans des services spécialisés.
Avec une capacité, unique en France, d’hospitaliser simultanément jusqu’à trente patients anorexiques en état grave, et d’en suivre de nombreux en hôpital de jour et en consultation, l’IMM est le dernier recours pour les patients extrêmement difficiles qui nous sont adressés par d’autres structures n’étant pas parvenues à les soigner. Notre expertise des TCA est conséquente : il serait donc incompréhensible que l’IMM disparaisse à l’heure où ces pathologies concernent un nombre toujours grandissant de personnes.
TES.: La moitié des personnes atteintes de TCA n’accèdent pas à des soins dédiés et les délais pour être pris en charge dépassent couramment six mois dans certaines régions françaises. Que cela dit-il, selon vous, de la prise de conscience du problème par les élus et décideurs politiques ?
Au-delà de la prise en charge des seuls troubles alimentaires, c’est toute la psychiatrie, et singulièrement la pédopsychiatrie, qui est en crise, et tout particulièrement les psychopathologies borderlines et toxicomaniaques, avec passage à l’acte suicidaire et hétéroagressivité qui sont autrement plus fréquentes, et que le département prend en charge sur la durée. Les effets d’annonce se succèdent, mais sur le terrain, nous constatons toujours moins de moyens, moins de lits, moins de personnels. Ce désintérêt des responsables politiques pour la psychiatrie laisse ces enfants et adolescents face à l’improbabilité de leur avenir.
Les difficultés rencontrées par l’IMM sont, à cet égard, symptomatiques d’une crise plus grave et plus large de notre système de santé. Une disparition de l’IMM serait paradigmatique de l’évolution du démantèlement du service public. D’autre part, fermer un service de psychiatrie et diminuer l’offre en pédopsychiatrie serait une aberration totale ; cela reviendrait, à l’heure où les chiffres des TCA, suicides et toxicomanies atteignent des sommets, à assumer de causer davantage de souffrances. Est-ce vraiment ce vers quoi nous voulons aller ?
(1) https://www.liberation.fr/societe/sante/troubles-des-conduites-alimentaires-les-confinements-ont-fait-des-ravages-20220602_ES57LFF6NZBQ7GGXPIQ2HMFFOM/