Bernard Durand vient de publier un nouvel ouvrage intitulé Lettres à un(e) écologiste sincère. Ingénieur, chercheur et naturaliste, cet auteur familier de nos colonnes a fait carrière dans le secteur de l’énergie. Il a notamment contribué à l’élucidation des mécanismes de la formation dans l’écorce terrestre des gisements de combustibles fossiles, pétrole, gaz et charbon. Puis, dans une seconde partie de sa carrière, il a élargi ses recherches à l’énergie en général, et à l’analyse des différentes sources d’énergie disponibles pour l’humanité – renouvelables et non renouvelables. Avec ce nouvel ouvrage rédigé dans un format original et très didactique d’une vingtaine de lettres, il vise à sensibiliser un très large public aux problématiques soulevées par une écologie scientifique qu’il distingue bien de l’écologie politique et dont l’actualité nous donne des exemples au quotidien. Une interview exclusive pour Europeanscientist.
The Europeanscientist : Ce week-end dans le JDD Jean-Marc Jancovici et Boris Cyrulnick ont co-signé une tribune avec d’autres personnalités pour que le futur gouvernement soit formé à l’écologie que pensez-vous de cette initiative ?
Bernard Durand : C’est sans doute que les auteurs déduisent de leur fréquentation des milieux politiques que ceux-ci n’ont sur l’écologie que des idées assez sommaires, ce qui est un handicap pour une bonne analyse et donc la prise de décisions efficaces. Mais croire que nos gouvernants voudront retourner à l’école ou même en auront le temps me paraît assez naïf.
Je constate qu’il y a d’autres propositions de ce genre, comme par exemple l’obligation d’enseigner l’écologie au lycée.
Mais de quelle écologie s’agirait-t-il ? Car on le voit bien, il y a une écologie qui est une science, celle des relations des êtres vivants avec leur milieu de vie et avec les autres êtres vivants, et une écologie qui est une philosophie, celle de la défense de la nature contre les agressions de l’homme. Or cette dernière qui est maintenant celle qui a pignon sur rue s’est coupée des sciences tout comme la philosophie l’a fait depuis plus d’un siècle maintenant en Europe. Comme je le dis dans l’introduction de mon dernier ouvrage, cette écologie «philosophique» ne pourra pourtant pas être efficace sans s’être d’abord réconciliée avec les sciences.
Je pense donc qu’il faudrait dans un premier temps renforcer l’enseignement de la physique, en particulier dans les filières littéraires et économiques dont sont issues maintenant la quasi-totalité de nos politiques et s’assurer qu’ils les ont bien assimilées, avant de s’embarquer dans l’enseignement d’une écologie philosophique dont les contours sont aussi mal définis qu’actuellement. Cela rendra nos dirigeants futurs plus aptes à recréer avec les scientifiques un dialogue fructueux qui n’existe actuellement à peu près plus, et à mieux comprendre les enjeux de la crise climatique.
TES. : Vous publiez un nouvel ouvrage intitulé « lettres à un écologiste sincère » un recueil de lettres à un ami imaginaire… Pourquoi avoir choisi ce format original ?
B.D. : Précisément à cause du déficit en connaissances scientifiques de base que j’ai constaté chez la plupart de mes amis écologistes convaincus, qui sont je le sais des gens sincères. Ils ne se rendent pas compte qu’en réalité ils se mettent le plus souvent en scène dans un décor dont à quelques exceptions près ils ne connaissent pas les lois.
Les deux premières lettres rappellent ce qu’est l’énergie et les notions fondamentales qui la caractérisent ainsi que l’histoire des « transitions énergétiques » successives initiées par l’homme à son profit.
Les autres lettres sont consacrées pour la plupart à des discussions sur la nature, le potentiel énergétique, les avantages et les inconvénients de chacune des formes d’énergie, en particulier leurs interactions avec l’environnement, actuellement utilisables par l’homme. Deux lettres sont consacrées à des aspects transversaux, l’une à l’effet de serre, l’autre à l’hydrogène.
J’ai pensé que cette méthode faciliterait un accès progressif de mes amis écologistes aux notions scientifiques indispensables pour bien poser les problèmes qui les préoccupent.
TES. Vous parlez d’ »écologiste sincère », quid des autres ?
B.D. Comme je le dis dans l’introduction, les écologistes sincères sont l’immense majorité. Toutefois la sincérité n’excuse pas l’ignorance.
Il existe deux sortes d’«écologistes» qui ne sont pas sincères, car ils utilisent à leur profit cette sincérité et cette ignorance :
– Les écologistes « politiques » qui se servent des écologistes sincères comme masse de manœuvre pour arriver au pouvoir. Ils utilisent pour cela des méthodes que je qualifie de lyssenkistes* : recherche de la proximité du pouvoir, instrumentalisation des institutions de l’Etat, désinformation et propagation active de peurs infondées grâce aux médias, et parfois violences physiques.
– Les « capitalistes verts », c’est-à-dire des «investisseurs» qui utilisent l’écologie politique comme vecteur idéologique pour capter les subventions généreusement octroyées par les gouvernements sous la pression de l’écologie politique. Un exemple est celui de l’éolien, qui n’a pas d’utilité en France, mais qui se développe rapidement grâce à ces subventions.
Curieusement, ce sont dans les partis dits de gauche, supposés faire la guerre au capitalisme, que l’on trouve le plus de partisans de ce capitalisme vert !
TES. : Vous vous concentrez essentiellement sur les problématiques énergétiques que doit penser un écologiste sincère sur l’énergie ?
B.D. : L’énergie est la mère de toutes les batailles. Quelle que soit la société que souhaite un écologiste sincère, elle aura besoin d’énergie pour fonctionner. Car sans énergie en quantités suffisantes, il sera impossible de produire les biens et les services qui caractériseront cette société. Bien identifier la nature des sources d’énergie qui nous sont accessibles, la meilleure façon d’y accéder, les quantités réellement disponibles, les interactions de leur production avec l’environnement, leur durabilité, tout cela est un préalable à la définition d’un projet de société écologique.
L’humanité devra résoudre avant le milieu de ce siècle deux problèmes majeurs :
– le premier est le déclin de la disponibilité des combustibles fossiles, qui fournissent à l’humanité encore actuellement un peu plus de 80 % de son approvisionnement en énergies primaires, c’est-à-dire des formes d’énergie qu’elle sait prélever sur des stocks ou des flux naturels d’énergie, et en premier lieu du pétrole utilisé par 95 % des transports. L’Europe, faute de ressources suffisantes en combustibles fossiles, doit en importer à l’heure actuelle les deux-tiers de fournisseurs extérieurs. Immanquablement cette dépendance ne peut qu’augmenter avec le temps, tandis que ses fournisseurs pourront de moins en moins la fournir.
La guerre en Ukraine a mis brutalement en évidence cette extrême dépendance de l’Europe à ses fournisseurs extérieurs de combustibles fossiles, et les conséquences d’une pénurie de combustibles fossiles sur l’économie. Cette guerre est un avertissement de ce qui de toutes façons la menace.
– le deuxième est l’importance des émissions de CO2 résultant de l’utilisation de ces combustibles fossiles, dont les climatologues disent qu’elles sont les principales responsables du réchauffement climatique que nous observons actuellement. Ils disent aussi que le déclin annoncé des combustibles fossiles ne sera pas assez rapide pour limiter ces émissions et donc le réchauffement climatique à un niveau acceptable.
Pourrons-nous en Europe très rapidement remplacer les combustibles fossiles par d’autres sources d’énergie n’émettant pas de CO2, sans avoir à réduire drastiquement notre train de vie ? Là est la question, que l’on soit écologiste ou pas.
*Lyssenko était un médiocre agronome soviétique qui a persuadé Staline, dont il était devenu proche, d’appliquer ses méthodes à l’agriculture. Le résultat a été des famines terribles et des millions de morts.
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