La lecture de la presse estivale fait apparaître, avec une fréquence inhabituelle et dans des domaines divers, des références aux régulateurs et à la régulation, soit pour en contester les exigences (Exemple l’Arcep pour les opérateurs télécoms) soit pour en déplorer l’absence. Tel est le cas de la dérive des GAFAM. Les GAFAM, particulièrement Google, sont visés par l’opinion, par les consommateurs, et menacés par la justice. La régulation qui « assure le fonctionnement correct d’un système complexe et la mise en œuvre de l’ensemble des moyens malgré l’influence des grandeurs perturbatrices du système » est considérée comme insuffisante et inefficace
Ces interrogations et ces inquiétudes relayées par les médias sont actuellement motivées par la mainmise « des géants du net » sur les données personnelles. Plusieurs scandales ont attiré l’attention sur l’utilisation de données dites sensibles recueillies et exploitées sans le consentement des personnes auxquelles elles appartiennent « en propre »
Les Big data ou mégadonnées, qui se comptent par milliards, constituent les fondements sur lesquels se construit et se développe « l’intelligence artificielle ».
Les conditions, non transparentes, dans lesquelles les GAFAM recueillent, traitent et exploitent ces données, sources de revenus financiers faramineux interviennent. Il s’agit en fait de monopoles « non régulés » qui, pour Nicolas Baverez, « constituent un danger majeur pour l’économie et la société », risque qui n’est pas théorique si l’on sait que Google possède 92 % des parts de marché des moteurs de recherche !
Est-il possible alors de les réguler, de les démanteler ? Faut-il se résigner ?
Aux États-Unis les consommateurs souhaitent le renforcement de la régulation de la concurrence, mais redoutent le risque de freiner l’innovation ! Les autorités antitrust se mobilisent de plus en plus activement. Il est trop tôt pour savoir si la régulation peut être efficace et si le démantèlement peut intervenir sans compromettre le développement d’une innovation qui fait rêver, au seul profit de la Chine !
Se pose LA question de savoir si les GAFAM, hyperpuissants, immensément riches, détenteurs des technologies et de 80 % de la « matière première » essentielle que représentent les données sensibles, vont pouvoir s’approprier l’intelligence artificielle. La réponse est OUI. La rencontre organisée par le Future of Life Institute en janvier 2017 à Asilomar, qui avait pour titre « Une intelligence artificielle bienveillante » pour sous-titre « Vers une éthique de l’intelligence artificielle ? » prépare des bouleversements dont on ne doit pas sous-estimer les conséquences.
-Les GAFAM ont les moyens de s’approprier l’intelligence artificielle : La masse des données dont les « propriétaires » sont dépossédés, progressent continûment. S’y ajoutent les données personnelles des 15 milliards d’objets connectés. Les ressources financières sont énormes, les 3 000 milliards de dollars de capitalisation boursière en donnent l’échelle
-Une stratégie a été mise en place dont la rencontre organisée par le Future of Life Institute s’est tenue à Asilomar donne une claire présentation.. 2300 chercheurs ont signé « les 23 principes d’Asilomar : vers une èthique de l’IA ». Le titre « Beneficial IA » « Une intelligence artificielle bienveillante » est séduisant. Un Guide éthique et pratique à portée universelle a été élaboré. Un Partnership IA a pour objectif de « maîtriser les débats éthiques sur l’intelligence artificielle » tandis que 1 milliard de dollars sont destinés à permettre la mise en œuvre « d’une autorégulation éthique » des techniques d’intelligence artificielle. Incontestablement c’est la disparition de la réflexion éthique, pluraliste et pluridisciplinaire. , fondée sur des valeurs
Mention doit être faite du financement apporté par Google à 30 ONG qui participent au débat public sur l’antitrust aux États-Unis., sans doute par application du principe de précaution !
Une organisation internationale d’une telle puissance est d’autant plus redoutable « qu’il n’y a rien ou presque en face », pas de régulation !
L’absence, la faiblesse ou i‘inadaptation des procédures de régulation peuvent-ils comporter des conséquences inquiétantes ? La place prise par les Big data a entraîné la disparition, sans doute définitive du fondement de l’éthique universellement accepté depuis le rapport Belmont de 1979 : le consentement libre et éclairé de la personne, reconnaissant son autonomie et sa liberté. Le vaste champ de l’éthique donne un exemple des conséquences de la dérégulation. Les naissances de Louise Brown par fécondation in vitro en 1978 et, par clonage, de la brebis Dolly en 1996 avaient ébranlé « la conscience universelle » suscitant des réactions d’admiration et de crainte.
Au cours des derniers mois, deux innovations, la production d’embryons hybrides homme animal et la naissance de jumelles génétiquement modifiées, qui sont porteurs de graves menaces pour l’avenir de l’humanité, ont fait « la Une » de quelques médias, ont été dénoncées par quelques chercheurs demeurés sans suite.
L’absence ou la disparition de régulation d’un système entraîne plus d’inquiétude que de satisfaction ! La directrice générale de l’Unesco a défendu une intelligence artificielle aux valeurs humaines pour un développement durable. Elle a déclaré « Toute révolution technologique entraîne de nouveaux déséquilibres qu’il faut essayer d’anticiper » Elle a raison mais il est déjà bien tard.
Je concluais dans un tribune publiée par European Scientist en mai 2018 par les propos suivants : « Au-delà d’un changement de paradigme, ne sommes-nous pas entrés dans une civilisation nouvelle dont les marqueurs sont l’intelligence artificielle les robots, l’utopie du « transhumanisme–déshumanisée », l’affaiblissement des valeurs et la prolifération des Fake News… civilisation dans laquelle l’autonomie de la personne se trouve désormais définitivement bafouée ? Nous ne sommes pas fous… mais nous sommes, désormais, tous, inconsciemment des aliénés. Un an plus tard, il s’agit plus de ma part d’un questionnement mais d’une affirmation.