La France est passée en quelques années de la situation confortable d’exportateur net d’électricité à la situation d’importateur net. Au delà de l’orgueil national blessé, ce bilan n’est pas sans poser de graves problèmes de souveraineté et de sécurité énergétique… En plus d’être un désastre financier et écologique.
Actuellement notre pays achète fort cher sur les marchés une électricité produite notamment par les centrales thermiques allemandes. Ces centrales sont alimentées par du lignite, un charbon de mauvaise qualité, et occasionnent d’énormes rejets de gaz à effets de serre dans l’atmosphère ainsi qu’une pollution de l’air due aux particules fines émises. Ces particules fines sont particulièrement dangereuses pour la santé humaine (une étude estime qu’un TwH d’électricité produite à partir de lignite occasionne 28 décès en moyenne).
Nous sommes dans une situation délicate et paradoxale ou, au nom d’une transition énergétique mal conçue, nous avons perdu notre indépendance énergétique tout en polluant plus qu’avant et en n’ayant jamais payé l’électricité aussi cher… Il n’est pas rare actuellement que notre pays paye ses importations d’électricité à plus de 500 euros / MWH (1).
A la recherche du bon mix énergétique
L’électricité représente actuellement environ la moitié de l’énergie primaire qu’utilise notre pays, l’autre moitié étant constituée d’importations d’hydrocarbures (pétrole et gaz). La situation géopolitique et l’impératif écologique contraignent notre pays à se passer progressivement des hydrocarbures afin d’une part de nous libérer des chantages exercés par les pays producteurs de pétrole et de gaz et d’autre part de limiter notre contribution au changement climatique. La production d’électricité décarbonée va donc devoir augmenter massivement afin de maintenir le niveau d’énergie primaire dont dispose notre pays…Rappelons à ce titre que la production, c’est de l’énergie transformée ! Maintenir ou accroitre la quantité d’énergie primaire disponible pour notre pays est absolument stratégique pour maintenir notre prospérité.
La situation énergétique de notre pays est délicate mais n’est pas désespérée. Des solutions existent et il est possible de les mettre en œuvre rapidement. Le mix énergétique Français repose majoritairement sur un parc nucléaire vieillissant (le prix de revient (2) d’un MWh produit à partir des vieilles centrales déjà amorties est de 50 euros, et de 120 euros pour les EPR ), une production d’hydroélectricité (prix de revient compris entre 15 et 20 euros/MWh), des centrales thermiques (100 euros/MWh) et des énergies renouvelables (ENR) qui produisent de l’électricité revenant à 40 à 50 euros/MWh sur les meilleurs sites. Chaque production ayant ses forces et ses faiblesses, la clé du succès réside dans l’équilibre du mix énergétique.
Le nucléaire de troisième génération type EPR produit une énergie peu pilotable à cout fixe, c’est à dire qu’une centrale nucléaire coute quasiment autant quel que soit son facteur de charge (à pleine puissance, le facteur de charge d’une centrale nucléaire est de 100%, à mi puissance, il n’est que de 50%…). La production d’électricité d’origine nucléaire est donc plus intéressante quand les facteurs de charge sont élevés. L’électricité d’origine nucléaire n’occasionne pas de rejets de gaz à effets de serre et garanti une indépendance énergétique et géopolitique à notre pays… Avec plusieurs bémols toutefois car les réserves prouvées d’uranium seront probablement épuisées dans 50 ans et en cas de grave sécheresse, les centrales doivent être arrêtées car elles ont besoin d’eau pour refroidir les réacteurs.
Le président Macron vient d’engager notre pays dans la construction de six nouveaux réacteurs EPR avec huit autres en option (3) afin de renouveler progressivement le parc nucléaire Français. Malheureusement, le délai estimé pour la construction d’un EPR est de quinze ans. Nos entreprises ne tiendront pas quinze années avec une telle volatilité sur les prix de l’énergie.
L’hydroélectricité représente 11% de la production nationale (4), n’émet aucun gaz à effet de serre, est entièrement pilotable et participe donc à stabiliser le réseau ; mais cette production ne peut pas fonctionner en cas de grave sécheresse comme nous l’avons expérimenté cet été, et son volume varie au gré des saisons. Développer davantage la production d’hydroélectricité nécessiterait de construire de nouveaux barrages, ce qui est parfaitement possible techniquement mais semble irréaliste tant les résistances environnementales sont fortes.
Les centrales thermiques fonctionnant au gaz ou au charbon sont polluantes, ont un rendement faible (25% seulement pour le charbon) et nécessitent d’importer ces combustibles. Leur atout majeur réside dans leur extrême pilotabilité qui permet de répondre en temps réel à un pic de consommation.
Viennent ensuite les ENR (solaire et éolien), les défauts des ENR ont été largement développés par la presse (esthétique, artificialisation des sols, mobilisation d’importantes quantités de matériaux etc…) mais les ENR ont des atouts non négligeables : Un projet éolien offshore se monte en cinq ans seulement et produit une énergie très abordable mais non pilotable. Pour être précis, dans le cas d’une éolienne, l’énergie potentielle captable varie au cube de la vitesse du vent : Ainsi quand la vitesse du vent double, la puissance électrique produite est multipliée par huit ! Ces pics de production sont donc particulièrement délicats à gérer…En particulier parce que le vent ne souffle pas plus fort quand la demande d’électricité augmente. L’interconnexion des réseaux électriques européens était censée pallier ce problème en misant sur l’idée que les pics de productions ne seraient pas simultanés dans les différents pays de l’UE, un effet de lissage était donc attendu. Malheureusement, l’expérience des années passées montre que les productions sont en réalité souvent corrélées dans tous les pays de l’UE (hors Espagne et Portugal qui ont des régimes de vent un peu différents).
Pour pouvoir profiter de l’avantage économique procuré par le cout attractif de l’électricité produite par les ENR, il n’y a que deux solutions : Soit stocker les pics de production pour pouvoir utiliser cette électricité quand la demande s’en fera sentir, soit pallier l’intermittence de cette production par des centrales thermiques. C’est cette dernière voie qu’a choisie l’Allemagne et c’est un non sens écologique total ! La production d’électricité allemande émet sept fois plus de gaz à effets de serre par MWh que la production Française…Ce qui est un sacré paradoxe pour une transition énergétique qui se voulait écologique.
La voie la plus cohérente avec les objectifs climatiques affichés est la voie du stockage de l’électricité quand la production dépasse la demande pour pouvoir ensuite restituer cette électricité quand la demande dépasse la production.
Concrètement, pour stocker de l’électricité à grande échelle, il n’existe actuellement que deux dispositifs : Les stations de pompage/turbinage (STEP) (5) et les batteries lithium-ion.
Les batteries ont longtemps suscité beaucoup d’espoir mais la demande accrue de lithium couplée à la rareté de cet élément (sans parler de la pollution générée par son extraction) tirent les prix vers le haut et rendent la solution du stockage par batteries très onéreuse. Le monopole de fait de la production de ces batteries par la Chine crée une dépendance géopolitique plus dangereuse encore.
Les STEPs meilleures solutions pour stocker l’électricité
La STEP a fait ses preuves dans plusieurs pays européens dont la France. Elle est constituée de deux réservoirs qui doivent posséder une différence d’altitude de quelques centaines de mètres. En cas de pic de production, l’électricité excédentaire alimente une pompe qui fait passer l’eau du réservoir bas vers le réservoir haut transformant ainsi l’énergie électrique en énergie potentielle. Quand un besoin d’électricité apparait, l’eau passe du réservoir haut vers le réservoir bas en entrainant un ensemble constitué d’une turbine et d’un alternateur qui transforment l’énergie potentielle en énergie électrique. Le cycle complet s’effectue avec un rendement remarquable de 80%. La STEP peut fonctionner en circuit fermé et n’est donc pas impactée par les sécheresses exceptionnelles, ses réservoirs peuvent même être partagés pour des co-utilisations d’intérêt général (irrigation, élevage, sécurité incendie…). La STEP est une sorte de gigantesque batterie à eau.
Notre pays bénéficie d’une géographie exceptionnellement favorable pour l’installation de STEP ou de micro-STEP (6) de quelques dizaines de MW de puissance sur plusieurs centaines de sites. Jusqu’à présent les STEP Françaises ont été conçues et utilisées pour assurer la flexibilité du parc nucléaire, l’apparition des ENR décuple leur intérêt. Les STEP sont le complément idéal des ENR. Le couple ENR/STEP fourni une électricité décarbonée, pilotable et compétitive par rapport au nucléaire. Une micro-STEP peut être construite en cinq ans tout en s’intégrant parfaitement dans les paysages. Les stations de sports d’hivers sont particulièrement adaptées pour installer ce type de dispositifs, la micro-STEP peut même être enterrée sous une installation d’infrastructure de type parking ou terrain de sport, de façon à être totalement invisible…Elles peuvent être couplées à des retenues collinaires existantes de fabrication de neige artificielle. Cette solution pourrait permettre de procurer des revenus complémentaires aux stations de sports d’hiver durement touchées par le changement climatique tout en évitant les résistances locales puisqu’il s’agit ici d’un aménagement invisible et qui peut procurer un complément de revenus aux populations locales. Elles peuvent amener de l’emploi industriel accessible à tous dans les régions montagneuses de notre territoire. Elles permettent d’assurer notre souveraineté sur la question du stockage avec des solutions qui ont des durées de vie de 100 ans et dont le coût est parfaitement connu pendant cette période.
Actuellement en France, nous avons 5000 MW de STEP concentrés sur six installations et le potentiel de notre pays est de 45000 MW au minimum. Développer des STEP est une affaire rentable économiquement, nos voisins Suisses et Norvégiens gagnent énormément d’argent grâce à leurs installations. L’exemple du Danemark est à ce titre instructif :
Le Danemark a lourdement investi dans l’éolien offshore. Le pays étant plat, la construction de STEP n’était pas possible. La géographie de la Norvège étant favorable à la construction de STEP, un accord a été trouvé. En cas de coup de vent, la surproduction éolienne Danoise est vendue à la Norvège qui la stocke grâce aux STEP. Quand la situation s’inverse, la Norvège produit de l’électricité en turbinant l’eau précédemment remontée et la vend au Danemark. Cet accord semble parfait sur le papier mais un détail capital a été omis par le gouvernement Danois : Le prix de l’électricité fluctue en fonction de l’offre et de la demande… Ainsi quand le Danemark est en surproduction, les prix de l’électricité sont bas et le Danemark vend donc son électricité aux Norvégiens à un prix dérisoire…Pour la racheter ensuite aux norvégiens au prix fort !
Construire des STEP peut donc s’avérer être une affaire rentable, pour ne pas dire bénéfique, pour notre pays…À condition d’avoir l’audace de simplifier les procédures bureaucratiques pour raccourcir les délais, mais avant tout en construisant un cadre de rémunération de cette capacité de stockage (et des économies qui s’ensuivent) stable et pérenne dans le temps, afin de ne pas rebuter les industriels et investisseurs.
Notre pays a un potentiel exceptionnel, largement inexploité, pour tirer parti de la nécessité écologique et géopolitique de décarboner l’économie en limitant notre dépendance aux hydrocarbures.
Il n’est pas question d’avoir à choisir entre le nucléaire ou les ENR car décarboner notre économie signifie doubler voire tripler la production actuelle d’électricité (en prenant en compte le mouvement de relocalisation des industries Européennes à l’oeuvre actuellement).
Pour atteindre nos objectifs climatiques et assurer l’autonomie et la résilience énergétique de notre pays, nous devons développer simultanément un parc nucléaire rénové, des énergies renouvelables et des STEP.
(1) http://rte-france.com/eco2mix/les-donnees-de-marche
(2) https://prix-elec.com/energie/production
(3) https://www.vie-publique.fr/loi/286979-projet-de-loi-pour-accelerer-le-nucleaire
(4) https://www.france-hydro-electricite.fr/lhydroelectricite-en-france/chiffres-clefs/
(5) https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/hydroelectricite-stations-de-transfert-denergie-par-pompage-step
(6) https://natureandpeoplefirst.com/
Image par TitusStaunton de Pixabay
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