« Pourquoi être omnivore pour votre santé et celle de la planète »* c’est le titre du livre de Juan Pascual. Cet ouvrage propose un tour d’horizon de toutes les questions liées au rapport « homme-animal ». L’auteur, titulaire d’un diplôme en médecine vétérinaire de l’Université de Saragosse, fait un effort considérable de vulgarisation pour évoquer toutes les thèses y compris les polémiques, mais en répondant toujours à l’aide d’un discours scientifique et sourcé (l’ouvrage compte pas moins de 400 références !). Après avoir présenté avec force détail la relation synergique entre animaux domestiques et éleveurs, il étudie l’idéologie de l’animalisme en analysant les principales thèses philosophiques qui le fonde, puis les prétextes utilisés pour les faire adopter : arguments environnementaux, sanitaires et enfin religieux. Il répond ici à nos questions avec quelques éléments qui donneront envie d’aller plus loin dans son ouvrage.
The European Scientist : Votre livre ambitionne d’exposer et de réfuter les arguments de l’animalisme. A qui s’adresse-t-il ? Pourquoi ce sujet est-il pleinement d’actualité ? Comment échapper à la polémique ?
Juan Pascual : Le livre s’adresse à tous les publics. Nous avons tous des interactions avec les animaux, soit pour notre alimentation, soit avec nos animaux de compagnie ; même sans le savoir nous utilisons des produits animaux parce qu’ils sont partout : on ne peut pas avoir de fertilisation des terres et donc pas de végétaux sans le lisier ou le fumier animal.
L’animalisme concerne la société toute entière ; aussi, je voudrais partager une autre histoire, bien documentée et basée sur des données scientifiques, pour ceux qui sont prêts à écouter une autre voix ; je propose une vision à contre-courant, mais qui souligne les bénéfices fondamentaux que l’élevage nous procure.
Le sujet est d’actualité parce qu’une minorité militante est très remontée contre l’élevage et la consommation de produits d’origine animale. Il n’est pas possible d’échapper à la polémique car les militants sont très actifs. Mais seules des données scientifiques objectives peuvent permettre de répondre.
TES. Vous justifiez la domestication des animaux, en l’opposant à la vie Sauvage. Vous parlez de processus synergique. Pouvez-vous nous expliquer ?
J.P. Oui, la domestication n’a pas été imposée aux animaux. En effet, on a réussi à domestiquer peu d’espèces. Les chiens – les premiers – ont suivi les chasseurs pour obtenir les os, les restes et ainsi on a obtenu leur aide pour chasser ; ils nous ont alertés de la présence de dangers ou de prédateurs à proximité. La même évolution s’est reproduite avec d’autres animaux : ils ont trouvé à notre contact nourriture, protection envers les prédateurs, ainsi qu’un abri contre les intempéries. On a bénéficié en contre-partie de leurs produits : de la viande, du lait, des œufs ou de la laine. Cela a été une situation gagnant-gagnant.
TES. Vous développez un long chapitre sur le bien-être animal, une notion plutôt complexe où tout n’est pas noir ou blanc. En quoi la science joue un rôle important pour cette notion ?
J.P. : Tout le monde parle du bien-être animal, alors qu’il s’agit d’une science qui a été établie comme discipline universitaire à l’école vétérinaire de Cambridge en 1986. Comme toute science, elle est mesurable, reproductible et étudiée dans toutes les écoles vétérinaires du monde.
Mais tout le monde non spécialiste a son avis sur ce que le bien-être est ou doit être. Aussi la classe politique qui doit réagir impose des mesures basées sur des perceptions anthropomorphiques mais très éloignées de la réalité. Par exemple, les truies sont en cage durant les 4 semaines d’allaitement des petits porcelets. Certains dénoncent une mesure cruelle mais ils ne disposent pas de toute la connaissance. Si elles ne sont pas dans une cage elles écrasent souvent leurs petits en s’allongeant. Dans la cage, elles sont contraintes de s’allonger lentement et les porcelets ont le temps de s’échapper. Donc le bien-être des animaux d’élevage est une science avec des pratiques complexes, ce n’est pas tout blanc ou tout noir. Souvent on doit trouver le bon équilibre parmi tous les acteurs.
TES. Vous étudiez les philosophies de Tom Regan et Peter Singer. Vous dénoncez la tentation de ces deux pensées à vouloir passer une vision anthropocentrique à une vision zoo-centrique ? Pouvez-vous développer ?
J.P. : Leur argumentation est la suivante : puisque l’on expérimente sur les animaux au prétexte qu’ils sont moins intelligents et ne sont pas dotés de conscience, etc… on doit aussi accepter d’expérimenter sur des humains dépourvus de conscience ; par exemple ceux qui sont dans un état comateux ou ceux qui n’ont pas d’intelligence ou de conscience d’elles-mêmes.
Je trouve cette position contraire aux principes fondateurs de l’humanité, parce qu’une personne dans le coma continue d’être un père, un ami, un frère et un citoyen. Une personne avec qui je peux parler même si elle ne me répond pas. On est aimé. En tant qu’humain la société nous respecte pour ce qu’on « est » quel que soit notre état de conscience .
Quand on donne la même valeur à la vie humaine qu’à la vie animale, on n’humanise pas les animaux mais on dégrade le statut des humains.
TES. Le cas de l’expérimentation animale semble beaucoup plus complexe que celui de l’élevage. Quelles en sont les raisons ?
J.P. : Toutes les universités, tous ceux qui font de la recherche sont d’accord : pour que la médecine avance, le concours des animaux d’expérimentation est absolument clé. Il n’y a pas d’alternative dans beaucoup de cas. Et grâce à l’expérimentation animale la médecine et notre santé continuent de s’améliorer. Par exemple, on développe l’expérimentation sur les greffes avec des organes animaux (une réalité déjà aux US), pour toutes les maladies génétiques on modélise pour tester les protocoles de soins, enfin, pour former les chirurgiens.
TES. : Vous étudiez également les arguments de ceux qui s’opposent à la possession d’animaux domestiques. Quels sont-ils ?
J.P. : Les plus extrémistes dans le mouvement animaliste considèrent que la possession d’animaux est une forme esclavage. C’est le cas de l’avocat animaliste Gary Francione, qui pense que toute propriété des animaux est une forme d’exploitation et d’abus. On ne devrait pas avoir de chiens, de chats, de chevaux chez nous. Même les chiens qui guident les personnes malvoyantes sont des esclaves. Là encore c’est tout à fait contestable car si les humains profitent de la compagnie des animaux ces derniers bénéficient de nombreux avantages en vivant auprès des hommes (protection, nourriture, affection, santé…)
TES. : Le rapport du GIEC évalue les émissions liées à l’élevage à 14 % du total des émissions anthropiques. Vous relativisez le calcul de ce chiffre ce d’autant plus que la situation peut être améliorée. Enfin, vous montrez que les solutions alternatives proposées ne seraient pas forcément plus efficaces.
J.P. : Les dernières données du GIEC parlent de 12%. On doit essayer de réduire les émissions. Mais le problème mondial est essentiellement dû aux combustibles fossiles qui ont cru de manière exponentielle pour atteindre 80% des émissions alors que les émissions agricoles sont restées stables. En effet, on oublie que les vaches étaient là avant le moteur à explosion ; donc comptabiliser et comparer les deux sources d’émissions depuis zéro n’est pas logique.
Il y a une étude très intéressante qui démontre que les émissions du bétail en Allemagne aujourd’hui sont inférieures à celles de la fin du XIX siècle. Or les objectifs de réduction pour 2050 sont les mêmes pour le bétail que pour les autres industries.
Il est aussi important de considérer que le méthane (le gaz à effet de serre émis par les ruminants) a une durée de vie beaucoup plus courte que celle du CO2. Or il est malheureusement comptabilisé de la même manière. Une précision qui sera rétablie à l’avenir, je pense.
TES. : Vous décrivez le cycle vertueux auquel participe l’élevage. Selon vous les conséquences sur l’environnement seraient catastrophiques si celui-ci venait à être interrompu.
J.P. : Absolument. Le bétail recycle des millions de tonnes de sous-produits végétaux et sans ce concours, ces produits seraient fortement émetteurs. Je vous donne un exemple parmi une quantité d’autres possibles. En France il y a une production de bière de 25 Millions d’hectolitres. Chaque hecto-litre nécessite 20 kg d’orge. Cela génère 500.000 tonnes de résidus issus de l’orge maltée, soient environ 19.000 camions qui représenteraient une file de 230 Km, soit la distance de Paris à Lille. Que faire avec ces résidus ? On peut les jeter dans une voirie où ils vont pourrir, émettre des GES, etc ou on peut les donner comme alimentation aux vaches qui le transformera en lait et en viande. Comme vous savez on a choisi la deuxième alternative. Oui, le bétail permet de créer un cycle vertueux et de boucler les cycles biologiques du carbone et de l’azote.
TES. : Vous évoquez également la santé humaine. Les régimes sans produits animaux sont possibles, dites-vous, mais pas sans conséquences pour l’organisme. Pouvez-vous nous en résumer les grandes lignes ?
J.P. : Il est possible de suivre des régimes sans produits animaux, mais c’est très difficile. Il y a en France – selon une enquête du ministère de l’agriculture – seulement 0,2% de vegans, et on a montré que 84% quittent le régime vegan après 2 ans. Une majorité invoque la dégradation de la santé comme principale raison de reprise d’un régime omnivore. Notre système digestif a évolué depuis des siècles et s’est adapté à digérer et métaboliser les produits animaux. Nous assimilons difficilement le fer contenu dans les plantes : pour obtenir une quantité équivalente de fer trouvée dans 6 grammes de foie on a besoin de 400 g d’épinards. En Europe 14% de jeunes femmes souffrent d’anémie par manque de fer parce qu’elles ne mangent pas suffisamment de viande. C’est un exemple, il y en a d’autres comme la vitamine B12, le calcium, la vitamine A ou D, les acides aminées. Il y a plusieurs sociétés médicales qui s’opposent fortement à ces régimes vegan, en particulier pour les enfants, les adolescents, les femmes enceintes et les personnes âgées.
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