Voici un essai, illustré de graphes et de schémas issus d’un rapport de l’ONU (Emission gap report 2022 de l’ United Nations Environment Programme (PNUE)).
De facto, ces données mettent en évidence le hiatus entre une politique européenne volontariste, se donnant des objectifs contraignants, et à coup sûr irréalistes, en matière d’émissions de GES et de proportion de renouvelables dans le bouquet énergétique, mêlant, au passage, cibles et moyens pour les atteindre…. et ce qu’on peut augurer de l’attitude des autres pays, en particulier ceux qui pèsent déjà ou vont peser vraiment en matière de rejets de GES.
En résumé, du côté européen, un jusqu’au boutisme dispendieux et à rendement décroissant et de l’autre -en gros le reste du monde- des actions clés à entreprendre, mais socialement et économiquement inaccessibles… à supposer que la volonté existe.
D’où la question ouverte du bon endroit -géographique- et des bons moyens -physiques- à mettre en œuvre, pour produire les efforts conséquents visant à tenter d’infléchir la dérive climatique, même à la marge, un objectif que d’aucuns jugent hors de portée, mais c’est un autre débat.
Cet essai aurait pu s’intituler : « L’Europe et la France s’asphyxient au CO2 évité », un constat iconoclaste, mais hélas réaliste.
D’où parle-t-on ?
En règle générale, tous domaines confondus, la comparaison entre des ordres de grandeur bien estimés, est une boussole fiable quand on cherche à se repérer, et à mieux situer son action pour préparer l’avenir.
La question du climat, vue sous l’angle des rejets en GES(1) des différents pays, se prête bien à l’exercice, les chiffres, leurs projections et surtout leurs contrastes, parlant clair. Cf : (fig 1), (fig 2).extraites de l’ Emission gap report 2022 de l’United Nations Environment Programme (PNUE).
Fig 1 : Source : Rapport PNUE 2022 (1)
Fig 2 : Source : Rapport PNUE 2022 (3)
Emissions trajectories implied by NDC (Nationally determined contribution) and NZT (Net zero target) of G20 members National emissions in MtCO2e/year over time
Nota : il est remarquable que pour les contributeurs potentiels les plus importants (Chine, USA, UE 27, Inde, Russie, Turquie) quatre sur six présentent des perspectives de rejets en forte hausse
Il est d’autant plus étonnant que le choc que leur confrontation devrait induire, n’ait aucune résonance tangible en Europe, s’agissant des surprenantes politiques afférentes, en place ou figurées (Green Deal, Fit for 55) qui, bâties sur des logiques obsidionales, restent impénétrables aux signaux déphasés, voire contradictoires, venus d’ailleurs.
Pourtant, l’expression : « tout est relatif », qu’on croit, à tort polysémique, est ici à considérer au pied de la lettre, et si « comparaison n’est pas raison », celle-ci fait indubitablement sens, quand « toutes choses sont égales par ailleurs ».
Pour mémoire : comme jalon sur le chemin qui doit mener à la neutralité carbone en 2050, l’Europe s’est fixée un objectif contraignant : réduction de 55% des émissions de GES en 2030/1990 et parmi les mesures coercitives pour y parvenir (les dispositions législatives et réglementaires qui composent le « Fit for 55 »), l’emblématique imposition de 42,5 % de renouvelables dans le bouquet énergétique, à cette même date (Fig 3).
Or, en 2021, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie est de 19,3 % en France (Allemagne : 19,2%, Espagne : 20,7%, Italie : 19%, ensemble de l’UE : 21,8 %).
Il s’agit donc, rien moins, que de faire en 8 ans l’équivalent de ce nous avions mis trente ans à réaliser !!
En regard, que vont peser les considérables efforts européens, par comparaison à la dérive contrainte de la seule Chine, premier émetteur mondial de GES (30%), assurant toujours 60% de sa production électrique avec du charbon et qui, pour la seule année 2022, vient de décider la construction de plus de 20 GWe de centrales utilisant ce combustible ? Une Chine qui situe, approximativement, un pic de ses émissions autour de 2030, avec comme objectif de produire, à cette même échéance, un tiers de son électricité avec l’hydraulique, le nucléaire et les EnRi (solaire PV et éolien, dont elle est déjà le premier producteur mondial) ; le pays visant la neutralité carbone en 2060….
Quant à l’Inde, devenue la plus peuplée au monde, le charbon y assure les trois quart de sa production d’électricité, laquelle devrait doubler d’ici 2040, le pays n’affichant, par ailleurs, aucun objectif calendaire en matière de neutralité carbone (2070 ?), ni même un rythme de réduction de ses émissions.
En projection, les seuls accroissements incontournables des rejets de la Chine et de l’Inde, d’ici 2030, effaceront, et bien au-delà, les gains européens, à supposer même qu’ils adviennent, et l’examen des tableaux présentés supra montre d’autres dérives (Russie, Turquie) qui aggraveront encore le bilan. Volontarisme poussé d’un côté, permanence du recours aux énergies fossiles, jugée vitale, de l’autre, les termes de la comparaison disent tout.
Au sein de l’Europe, de fortes disparités existent tout autant : ainsi l’Allemagne produit encore un tiers de son électricité avec du charbon et du lignite, en hausse de 8% en 2022, suite à un moindre appui sur le gaz. Au niveau des rejets de CO2e, la France occupe le 21éme rang mondial (306 MtCO2e), l’Allemagne le 7éme (671 Mt CO2e), mais ce pays prétend cependant être en mesure de produire 80% d’électricité renouvelable en 2030 et d’atteindre la neutralité carbone dès 2045….ce qui donne la mesure de la hauteur de la marche, et de la probabilité d’y trébucher !
« Suive qui peut ! »
Nous, « vieux pays d’un vieux continent, l’Europe…. » déclarons vouloir nous constituer en sphère vertueuse, au motif qu’ayant longtemps donné le mauvais exemple (fauteurs de guerres, colonisation, pillage des ressources de la planète, prospérité appuyée sur les autres, contribution notable au matelas de GES déjà constitué,…) il importe absolument que pour nous racheter, nous devenions le phare dans la nuit, le modèle à copier dans la lutte contre le désordre climatique.
Un implicite : « qui m’aime me suive », avec deux limites inhérentes à cette approche : que ce que nous affichons (et implicitement préconisons) soit pertinent et transposable, et que nous ayons recouvré une aura suffisante pour induire un suivisme effectif.
Des questions qui s’imposent, mais que nous semblons vouloir oblitérer, convaincus de la justesse de la cause et de l’attraction irrésistible de notre démarche, laquelle s’est appuyée, pour sa publicité, sur un tapage apologétique, aux accents moralisants.
De plus, comment un européen peut-il s’imaginer que le monde ne voie pas dans la politique climatique qu’il promeut, une démarche parfaitement altruiste ? En effet, tous les efforts augurés, alors que, Royaume Uni compris, le continent ne contribue que pour 10% aux émissions mondiales de GES, ne pourraient nous profiter, le cas échéant, qu’à la marge de la marge.
« l’Europe, idiot du village global… », expression d’Hubert Védrine, qui a fait florès, fustigeant une ouverture économique ingénument maintenue, dans un monde de plus en plus protectionniste, va-t-elle élargir son assiette et sa pertinence à la question climatique ? La France, toujours bonne élève, s’assignerait alors un rôle « d idiot du village européen », malgré le « warning », voire le « mayday» que constitue le rapport Pisani Ferry-Mahfouz (voir infra).
L’échec naquit un jour de l’uniformité ?
Certes, la cause et les périls étant mondiaux et, dit-on, chaque dixième de degré gagné comptant, il revient à chaque ensemble de verser au pot commun, mais on doit, en même temps, s’interroger sur l’efficacité de l’addition de démarches et d’objectifs simplement décalqués, non sérieusement analysés, et non sélectifs.
Autrement dit, est-il globalement rationnel de vouloir réduire, si rapidement et si drastiquement, les émissions de GES européennes (voir rappels supra) en misant surtout sur l’utilisation massive de moyens dispendieux (EnRi, hydrogène,…), un « quoi qu’il en coûte » dont, au passage, il reste à démontrer l’efficacité.
Ainsi, quand publiera-t-on la courbe corrélant, en France et ailleurs, l’augmentation de la population d’éoliennes et de panneaux PV, avec la diminution des émissions de GES, toutes externalités négatives dûment prises en compte?
L’Europe s’affiche donc prête à faire énormément, tout en laissant entendre que c’est toujours insuffisant ; elle espère ainsi éveiller les consciences dans des pays moins allants (c’est-à-dire, en gros, le reste du monde…et certains pays de l’Union, d’ailleurs !).
Mais « qui trop embrasse mal étreint », et le risque existe bel et bien que les cibles ambitieuses affichées par l’Europe, un « wishful thinking » transformé en objectifs coercitifs, soient manquées, ruinant l’engrenage positif recherché et l’espoir de constituer un exemple vert-vertueux. A cet égard, les résultats intermédiaires seront d’implacables détrompeurs.
Pratiquement, l’un des leviers incontournables de toute politique de réduction des émissions de GES, est la composition du mix électrique de chaque pays, toujours fruit de son histoire et de sa géographie, et qui peut différer fortement d’un pays à l’autre ; tel ou tel peut ainsi s’accommoder fort mal d’objectifs standards imposés à tous, surtout quand ces objectifs mêlent, voire confondent, résultats (rejets de GES) et imposition de moyens (volume des EnRi).
En procédant ainsi, on risque fort un résultat bien éloignée de l’attendu. En France, par exemple, ajouter force éoliennes et panneaux PV, lesquels contraindront encore davantage un nucléaire, revigoré et augmenté, à jouer en miroir de leurs intermittences, n’aura aucun effet sur les rejets de GES, mais ruinera un tel schéma économique.
Des rendements décroissants
Quant à la hauteur des visées européennes, un coup d’œil sur leur genèse les montre comme le fruit de surenchères entre la Commission et le Parlement, arbitrées (en interpolation !) par le Conseil, sans réelles analyses d’impact, financiers et sociétaux, or ceux-ci promettent d’être considérables.
En France, le récent rapport (Pisani Ferry, Mahfouz), fait à la Première Ministre sur « Les incidences économiques de l’action pour le Climat », donne la hauteur des obstacles à gravir, et en creux, la profondeur des abysses qu’il faudrait côtoyer, les garde-fous restant à construire, ou même à inventer.
Certes, le rapport annonce d’emblée que : « La neutralité climatique est atteignable » mais prévient, en même temps, qu’y parvenir « suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé », mais qu’au regard de celles-ci « cette transformation sera globale, plus rapide, et elle sera piloté d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés ».
Tout est dit, la démarche reposera donc sur un volontarisme censé prendre à rebours les évolutions techniques et sociétales naturelles… Comme dans la fable, tous seront frappés, les impacts se comptent en points de PIB, 2 par an jusqu’en 2030 à consacrer, à la substitution de capital (comprendre éoliennes et panneaux PV) aux combustibles fossiles, sachant que « le financement de ces investissements, qui n’augmentent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social »….et tout est à l’avenant. Le rapport dit « oui-mais » et se consacre au développement d’un « mais » qui se révèle vertigineux.
Enfin, last but not least, constatant que les USA, via l’Inflation Reduction Act (IRA) empruntent une autre voie, le rapport mentionne que « convergence des ambitions climatiques n’implique pas convergence des stratégies ».
Poursuivre un objectif, fût-il essentiel, ne peut se faire sans se préoccuper des effets collatéraux induits (pour ne pas parler de dommages), lesquels peuvent contrarier, voire entraver la stratégie même.
On peut augurer que pour atteindre de telles performances, les efforts à produire dépendront,non linéairement, de la hauteur de celles-ci, les derniers déciles pouvant se révéler beaucoup plus coûteux, voire infinançables, et questionner fortement leur acceptation sociale et environnementale.
Se pose alors fortement la question du point d’application (géographique) et de la nature (thématique) des actions, si on recherche vraiment l’efficacité globale, alors que les ressources seront forcément limitées. S’il ne s’agit pas de faire moins, il s’agit de faire mieux !
Ainsi, plutôt qu’ajouter une nième rangée d’éoliennes et un nième hectare de panneaux PV, à des parcs déjà fournis, ne vaudrait-il pas mieux financer le remplacement de centrales charbon par des réacteurs nucléaires ou leur variante SMR (4), en Europe, mais surtout ailleurs, partout où c’est possible, cette démarche étant, à coup sûr, l’une des plus efficaces en matière de réduction des émissions.
Plusieurs urgences à considérer
Venant d’un continent de traditions et d’expérimentations, pour le meilleur et pour le pire, un cavalier seul européen, élitiste et extrémiste en matière de politique climatique, risque bien d’être regardé comme tel, et non comme le chemin tracé par des pragmatiques éclairés.
D’ailleurs, une analyse froide des mécanismes mis en œuvre dans le projet européen, fait apparaître un champ d’action mis en coupe réglée par des intérêts opportunistes, politiques en apparence, mais surtout économiques en sous-main, surfant sur la notion « d’urgence à agir » et n’hésitant pas à se parer de vertus écologiques cardinales, dans le seul domaine de l’atténuation des causes du réchauffement (via la réduction des émissions de GES), au détriment patent de l’atténuation de ses effets, même si le discours commence à s’infléchir, réalisme oblige.
Or, ce dernier aspect pourrait se révéler, pour la plupart des pays, beaucoup plus prégnant que pour le continent européen, moins touché et mieux nanti, même si la question s’y pose aussi. Dans un tel contexte, on peut craindre que l’attracteur européen, tel que présenté aujourd’hui, sera de peu d’effet.
S’agissant du désordre climatique, les efforts devront être partagés entre la parade à ses effets et l’attaque de ses causes, raison de plus pour veiller à l’efficacité sur ce dernier front de taille, la démesure sélective du projet européen pouvant clairement aller à son encontre.
(1) GES : gaz à effet de serre (évaluation en équivalent CO2), en anglais GHG pour green house gas
(2) https://www.unep.org/resources/emissions-gap-report-2022
(3) https://www.unep.org/resources/emissions-gap-report-2022
(4) SMR : Small Modular Reactor
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Bonjour,
il me semble que les flêches montantes des diagrammes propres à la Chine et l’Inde s’expliquent par le fait que leurs NDC, soumise pour la COP21 de 2015 ne sont pas basées sur une réduction brute de leurs émissions mais sur une base du ratio entre ces émissions et leur développement économique (PIB). Il leur « suffit » donc de se développer plus vite que leurs émissions pour remplir leurs engagement. suf qu’à Glasgow ils ont introduit un objectif zéro carbone pour 2060 (Chine) et 2070 (Inde). Sans changer leurs NDC. C’est de la diplomatie et quand on entend que ces pays sont en bonne voie pour remplir leurs engagements , c’est toujours sur une base qui n’implique pas de baisse de leur empreinte brute.
Et l’Europe triche parcequ’une bonne partie de l’empreinte chinoise est la nôtre et devrait être inclue dans notre bilan pour être honnête. Il est vrai qu’elle fait des efforts pour bloquer le flux aux frontières mais on sent une culture de l’exception qui n’augure rien de bon.
Voir sur mon blog l’article accords climatique et le chapitre Le bal des tricheus dans mon livre Les intendants de Dieu (tome 2)