Pourquoi poser cette question alors que nous sommes abreuvés de discours médiatiques et conservationnistes qui ne cessent de rappeler que nous détruisons la biodiversité ? Qui n’a pas entendu parler de la « sixième grande extinction » ? Et, pour faire bonne mesure et alimenter le discours anxiogène, nous mettons ainsi en danger l’avenir de l’espèce humaine. Dans ce contexte nous devrions tous culpabiliser et, au même titre que pour le débat sur le climat, il nous est enjoint de tout mettre en œuvre pour protéger la biodiversité… Sauf que l’on se garde de préciser ce que l’on met sous le vocable biodiversité que beaucoup considèrent comme un mot valise ou une auberge espagnole.
Ces discours caricaturaux sont notamment issus des grandes ONG environnementales, pour la plupart d’obédience nord-américaines. Ce n’est pas neutre quand on sait qu’aux Etats Unis selon les études réalisées, une grande partie de la population croit que le monde a été créé par Dieu il y a 6000 ans et que le créationnisme reste vivace. Au point qu’il existe des musées créationnistes où les hommes et les dinosaures se côtoient… Si l’on s’inscrit dans ce schéma de pensée, la nature créée par Dieu est donc a priori parfaite et immuable et toute modification due à des aménagements par exemple est nécessairement une atteinte à l’intégrité de la nature.
Seulement voilà nous n’avons pas tous la même manière d’appréhender la nature… et je vous invite à regarder autour de vous. Qu’appelle-t-on nature en Europe ? Comme le résumaient fort bien les sociologues Mathieu et Jollivet en 1989, « L’environnement c’est la nature, et la nature c’est la campagne ». De fait, c’est une tautologie de dire que notre nature en Europe n’est plus depuis longtemps une nature vierge. Il y a plusieurs millénaires, les agriculteurs migrants venus du Moyen Orient ont amenés avec eux des espèces animales et végétales et leurs descendants, utilisant la hache et le feu, ont profondément modifié les territoires en transformant forêts et marécages en terres agricoles. Il ne reste donc plus sur notre territoire de nature vierge ou sauvage, et celle qui nous est familière est en réalité une nature co-construite par les activités humaines et les processus spontanés liés à la dynamique des espèces. Une nature qui, grâce aux hommes, s’est considérablement enrichie en espèces dans nos régions qui ont subi à diverses reprises l’emprise des glaciations.
De manière paradoxale, la nature qui nous est familière et que nous cherchons à protéger, c’est donc une nature anthropisée, à l’exemple de nos bocages, de nos alpages, de nos grandes zones humides telles que la Camargue, la Brenne, ou le marais poitevin, de certaines de nos forêts comme celle des Landes, etc.
L’homme détruit la nature ? Tient donc … que penser alors des certificats de « bonne conduite » décernés par la convention Ramsar pour la protection des zones humides. Deux exemples sont particulièrement édifiants. Le premier est celui bien connu de la Camargue, désignée sous l’appellation de parc naturel, haut lieu de naturalité dans l’esprit des citoyens, et labellisé site Ramsar. Tous ceux qui connaissent la Camargue savent que c’est un milieu anthropisé, aménagé par un réseau de canaux et de digues, pour développer l’agriculture (notamment la riziculture), et pour la production de sel. On y élève des taureaux, des chevaux et des flamants roses ! Bel exemple de nature vierge ?
Mais parlons d’un autre site moins populaire, mais tout aussi remarquable : le lac du Der-Chantecoq, barrage artificiel sur la Marne, qui fait partie des barrages réservoirs destinés à écrêter les crues de la Seine pour éviter que Paris ne soit inondé. Créée il y a une trentaine d’années sur des territoires agricoles, cette grande zone humide est devenue un lieu de passage privilégié pour de nombreux oiseaux migrateurs venant du nord de l’Europe. Un milieu pourtant bien artificiel établi sur d’anciens bocages, qui contrevient à la politique actuelle qui consiste au contraire à supprimer les barrages sur les cours d’eau au nom de la continuité écologique. Lui aussi est devenu un haut lieu de protection de la nature et labellisé site Ramsar sans compter les autres appellations Natura 2000, ZNIEFF, ZICO, etc. Cherchez la logique entre ces consécrations internationales et le dogme selon lequel l’homme détruit la nature… ?
Evidemment il existe d’autres situations et/ou d’autres régions du monde où nous agissons avec moins de délicatesse. Pas de faux procès ! Mais ce que l’on doit avoir en tête c’est que l’on ne peut tenir en permanence des discours manichéens et univoques. La mise en accusation systématique de l’homme relève manifestement d’une idéologie, non pas du discours scientifique. En Europe les hommes ont co-construit une nature qui nous est chère. C’est une nature que l’on peut qualifier de jardinée. Il est illusoire, voire mensonger, de laisser penser que des politiques de restauration de milieux qualifiés de dégradés ont pour objectif de retrouver une nature qui serait belle si l’homme en était exclu. Pourtant c’est cette idéologie qui semble prévaloir dans nos politiques nationales dites de conservation. Le bon sens voudrait, dans la continuité de cette co-construction de la nature, que l’on soit plus précis sur les types de natures que nous souhaitons préserver et entretenir dans leurs contextes régionaux. Et les exemples précités que nous estimons être des success-stories pourraient nous servir de repères ?
Christian Lévêque, membre de l’Académie d’agriculture de France, publie un nouveau livre La mémoire des fleuves et des rivières (Ulmer, février 2019) et a également écrit un article « Un âge d’or de la biodiversité ? » dans le livre « Idées reçues et agriculture – Parole à la science » (collection des livres de l’Académie d’agriculture de France, éditée par les Presses des Mines, 2018).
Ce monsieur ne fait que partager une perception personnelle qui traduit une véritable méconnaissance du sujet général de la biodiversité (au delà des milieux aquatiques) et peut-être même d’une forme de déni. Il laisse penser que les politiques de préservation sont motivées par des considérations idéologiques et des jugements de valeurs. Malheureusement pour lui, la réalité est bien différente. On n’en est plus à se demander s’il existe une bonne et une mauvaise nature, une nature sauvage idéalisée et une nature façonnée par l’homme. Aujourd’hui de nombreux scientifiques étudient la biodiversité dans tous les milieux, sans distinctions, et nous disposons pour la première fois de séquences de données suffisamment longues pour dresser un diagnostic fiable sur la situation. Il suffit de consulter le bilan 2018 de l’Observatoire National de la Biodiversité pour prendre la mesure du problème : baisse d’1/3 des effectifs d’oiseaux en milieux agricoles depuis 1989 (CNRS 2018), chute de 76% de la biomasse d’insectes en Allemagne (Caspar et al. Plos One 2017), chute de 38% des populations de chauve-souris en 10ans… D’autres études mettent clairement en évidence le rôle de l’homme dans ces phénomènes via l’accélération de la modification des habitats naturels, les pollutions diverses, l’introduction d’espèces invasives (sans même parler du dérèglement climatique).
Nous n’en sommes plus à opposer nature remarquable et nature ordinaire. Ce discours date des années 80. Il n’a rien de scientifique et est particulièrement démobilisateur. Je ne vous dis pas merci.
Le ton méprisant et insultant de ce commentaire traduit bien le faible niveau de réflexion de certains experts auto proclamés que le doute ne peut effleurer. Ce commentaire, hors sujet, ne traite pas du sujet abordé qui amène à s’interroger sur le paradoxe qui consiste à consacrer des milieux artificiels récents comme des hauts lieux de nature et aux réflexions que cela implique. Il ne fait que reprendre la litanie habituelle des lobbies conservationnistes qui cherchent à imposer une manière de penser, pas à discuter et encore moins à réfléchir. Libre à cette personne d’afficher ses croyances et libre à moi de les contester. Ce n’est pas sans rappeler le comportement des anti-OGM et des anti glyphosate !
Pour ma part, je reprocherais à l’auteur de ne pas s’être d’avantage étendu sur le problème de la nature des espaces anthropiques que l’on souhaite préserver et dont certains semblent inconscients.
Par exemple, dans ma jeunesse (lointaine et à la campagne), on voyait beaucoup plus de mouches qu’aujourd’hui, et cette abondance de mouches entrainait une abondance d’oiseaux qui s’en nourrissait, ce que certains écologistes semblent regretter ! Cette abondance de mouches avait bien sûr une origine parfaitement anthropique: elle se nourrissait sur la grande quantité de m….. qu’elles trouvaient un peu partout: au fond de chaque jardin: une petite cabane …(d’accord, ça ne sentait pas bon), tous les 500 m: une ferme avec son étable et son tas de fumier, dans chaque maison: quelques lapins dans des cages et poules/canards en liberté, sans oublier les chiens, qui divaguaient et se soulageaient un peu partout. On a voulu transformer ce monde en un monde « clean », les mouches ont disparu (les pesticides sont innocents), les oiseaux aussi … est-ce mieux ou est-ce pire qu’avant, qui peut le dire ?
C’est justement le propos de l’article : choisir une époque de référence pour le nombre ou la diversité des espèces terriennes n’a pas vraiment de sens, donc s’alarmer de la disparition d’espèces en soi n’en a pas non plus.
En revanche, et cela n’est pas dit dans l’article, si chute des cohortes il y a, et si elle est liée à l’activité humaine, nous devons commencer, pour notre propre santé (voire survie), à abandonner les pratiques reconnues comme responsables. Et c’est là que le bât blesse : vous dites que « D’autres études mettent clairement en évidence le rôle de l’homme […] ». Chaque fois que je lis un article relayant une étude censée prouver ce lien de cause à effet, il s’agit en réalité d’une étude sur la chute des cohortes (le plus souvent d’une seule cohorte) qui se contente, en conclusion, d’avancer des hypothèses quant à la raison de cette chute (quand ce n’est pas le journal lui-même qui s’en charge…). La modification des habitats naturels ? L’urbanisation, à la limite, mais créer un barrage ou installer des haies n’anéantit pas une espèce. La pollution ? Les populations dont nous parlons ne sont pas assez exposées. Le réchauffement climatique ? Oui, mais il faut souligner le caractère mondial du phénomène, dont on ne subit pas les conséquences à l’aune de notre contribution au problème… L’introduction d’espèces invasives ? Oui, tout à fait. C’est un problème majeur, notamment responsable en grande partie des effondrements périodiques de colonies d’abeilles (varroa et frelon asiatique). (Cela dit, elles s’en sont bien tirées en 2018 : la production de miel a doublé par rapport à l’année précédente !) Quoi qu’il en soit, je me demande pourquoi nous entendons si peu parler de ces fléaux et des moyens qui devraient être mis en œuvre pour lutter contre eux. Sans doute est-ce moins médiatique que le reste…
en réponse aux commentaires précédents, je n’ai pas évidemment eu la possibilité de tout developper dans le texte publié, mais je tiens à votre disposition un article intitulé « y a-t-il eu un âge d’or de la diversité biologique ? » qui pose la question de la référence pour parler d’érosion, et parle aussi des mouches dans nos campagnes, mais aussi des hannetons, etc…
En gros au tournant du XXe siècle il y avait une biomasse importante d’insectes en l’absence de pesticides et en raison de pratiques agricoles (polyculture, tas de fumiers nombreux, etc.) qui était propice à l’alientation de nombreux prédateurs…
je mets le pdf à votre disposition si vous le souhaitez