Cet article est la première partie d’une triple publication qui analyse en profondeur l’interdiction du véhicule thermique.
Introduction
Les députés ont adopté, le 12 juin dernier, un amendement déjà validé en commission le 29 mai, prévoyant l’interdiction de «la vente des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers neufs utilisant des énergies fossiles, d’ici à 2040 ». Autrement dit, les véhicules 100% thermiques, mais aussi hybrides avec un moteur thermique, ne pourront plus être vendus ou revendus à partir de cette date. Pour l’instant, les poids lourds semblent épargnés par la mesure.
Cette interdiction semble assez bien vécue par une grande partie de l’opinion publique, qui semble croire, comme une majorité de parlementaires, que des véhicules à propulsion alternative, principalement électriques, pourront parfaitement se substituer au moteur thermique d’ici 21 ans, tout en réduisant certaines émissions, jugées polluantes. Mais cette supposition est-elle réaliste ?
Points forts et gros points faibles du véhicule électrique
Sur le papier, la voiture électrique, c’est génial, mais…
Toute personne ayant eu le plaisir de conduire une voiture électrique voudrait que ce soit vrai, mais nous verrons que rien n’est moins sûr, et que la voie de l’interdiction législative du véhicule à moteur thermique (en abrégé : VMT) est sûrement la pire des façons d’orienter l’industrie vers le développement de voitures moins gourmandes en énergies fossiles.
Sur le papier, le véhicule électrique (VE) est séduisant : son moteur n’émet aucun gaz sur le lieu du déplacement, il est silencieux, son couple constant en fait un régal à conduire, le moteur est mécaniquement d’une simplicité incomparable face aux “usines à gaz” thermiques actuelles, et il sera plus facile à entretenir dès qu’assez de mécanos seront formés. Tous ceux qui ont essayé un véhicule électrique sont unanimes à louer les sensations à son volant.
De surcroît, le rendement à la roue d’un ensemble moteur-boîte électrique est compris entre 60 et 75%, alors qu’un ensemble moteur-boîte thermique a un rendement global compris entre 15 et 20%. En termes plus pédagogiques, cela signifie que pour déplacer le même poids sur la même distance à la même vitesse, il faut apporter 3 à 4 fois plus d’énergie à un VMT qu’à un VE. Voilà qui paraît séduisant si on se contente d’une analyse superficielle des deux modes de propulsion.
Mais la réalité est bien plus nuancée. Tant du point de vue du véhicule lui-même, que du système de production et de distribution d’énergie, les inconvénients de l’électrique surpassent ses avantages, et le rythme d’amélioration prévisible de ces technologies ne permet pas d’être certains que tous ces handicaps auront disparu en 2040.
Le talon d’Achille de la propulsion électrique : la batterie !
Si le groupe motopropulseur du VE est imbattable par rapport au moteur thermique, le VE a un énorme point faible : son réservoir d’énergie !
La “densité énergétique” des carburants actuels est de l’ordre de 45 Mégajoules (ou 12,5 kWh) par kg. En comparaison, les meilleures batteries Lithium/ion actuelles (la meilleure technologie disponible à ce jour) ont une densité énergétique de 0,5 à 0,6 MJ/kg (valeurs respectives pour la Renault Zoe et la version la plus chère de la Tesla S). Cela veut dire qu’un kilogramme de batterie est capable de délivrer 75 à 100 fois moins d’énergie qu’un kilogramme de carburant. Si l’on s’intéresse au volume plutôt qu’au poids (les deux critères sont importants dans la conception des automobiles), le rapport est un peu moins défavorable à l’électrique, de l’ordre de 1 à 40.
Même en tenant compte du rendement 3 à 4 fois supérieur du groupe moteur-boîte électrique, un réservoir de carburant fossile permet de délivrer 20 à 25 fois plus d’énergie à la roue d’une voiture qu’un même poids de batterie convenablement chargée. Voilà pourquoi une Tesla, championne de l’autonomie des véhicules électriques, doit embarquer plus de 600 kg de batteries pour afficher 400 km d’autonomie réelle (l’autonomie réelle et l’autonomie publicitaire sont 2 choses différentes…), et affiche plus de 2,6 tonnes sur la balance.
Une batterie, un composant au fonctionnement pas si simple !
Mais les problèmes des batteries ne s’arrêtent pas à leur capacité énergétique totale. Tout d’abord, toute l’électricité de la batterie n’est pas utilisée pour faire tourner le moteur électrique. Comme dans toute voiture, il faut aussi faire tourner le chauffage, la ventilation, etc. Le VE ne subit pas ici de désavantage par rapport au VMT, mais à temps d’utilisation égal, vu la faiblesse de sa capacité de stockage, ces fonctions sont plus pénalisantes pour l’autonomie du VE que du VMT.
Les systèmes de batteries actuels sont complexes. Ce schéma montre comment on passe d’un composant individuel à un système de batterie :
Pour qu’une batterie fonctionne bien, il faut que chaque composant travaille en harmonie, que les cellules se vident à des vitesses à peu près identiques, être capable de connaître son niveau de charge, etc… Le management de cet équilibre est si complexe qu’une batterie doit embarquer un “Battery Management System” ou BMS, qui s’assure que toutes les cellules de batteries se déchargent ou se rechargent à peu près au même rythme, que les batteries ne chauffent pas trop, etc… Ce BMS alourdit la batterie, donc réduit sa densité massique. Il auto-consomme une partie de l’électricité stockée, quoique le rendement des meilleurs BMS ait fait semble-t-il de gros progrès ces toutes dernières années.
Les BMS sont mis à rude épreuve en maintes occasions. Ainsi, les cycles de décharge-recharge de la batterie réduisent sa capacité dans le temps. Tesla estime à 30% la perte de capacité de ses systèmes de batterie au bout de 5 ans, malgré le soin que le BMS apporte à “lisser” les cycles de charge, en fonction notamment de la qualité plus ou moins grande des bornes de chargement. Pire, un style de conduite “appuyé” accroît cette tendance des batteries à l’usure prématurée.
Également ennuyeux, l’usage fréquent de la recharge “rapide” (mais malgré tout bien plus longue que le remplissage d’un réservoir) dégrade aussi la capacité de la batterie dans le temps ! Autrement dit, “faire son plein en quelques minutes” avec un VE ne sera pas de sitôt un geste du quotidien, ce qui est, avec le prix, le principal frein à l’acceptation du VE par les clients.
Autre souci : tous les conducteurs ont constaté que par temps froid, l’autonomie de leur véhicule diminue : non seulement il faut chauffer le véhicule, mais en plus, les réactions chimiques permettant à la batterie de fonctionner sont étouffées. Autre handicap, le VE est à volume égal environ 50% plus lourd que son équivalent thermique, ce qui réduit un peu son avantage en termes de rendement.
En clair, la réduction de performance de l’ensemble moteur électrique-batterie est bien plus importante dans le temps que dans le cas du moteur thermique, qui certes perd un peu en rendement en vieillissant, même s’il est bien entretenu, mais dont le réservoir d’énergie a, quant à lui, des performances constantes !
La batterie : des coûts directs et indirects énormes !
L’usage de matériaux rares utilisés par les batteries et les moteurs électriques à haute performance est régulièrement mis en avant par les médias. Le journaliste Guillaume Pitron a écrit un ouvrage (lien) bien documenté sur le sujet, montrant que l’extraction de ces matériaux provoque des désastres écologiques et sociaux importants… Mais très localisés et loin de chez nous.
La rareté de ces matériaux a un autre effet particulièrement problématique : les batteries sont très coûteuses. Un pack de batterie avec son BMS complet a aujourd’hui un prix de revient supérieur à 200 euros par Kwh (Il est difficile de trouver des chiffres fiables, car certaines publications pro-VE évoquent des coûts plus faibles mais en intégrant uniquement le coût des cellules, ce qui est inapproprié pour un calcul économique digne de ce nom). Malgré une baisse continue de ce prix ces dernières années, une batterie de 40 kWh (comme la Zoe) revient donc toujours à plus de 8 000 euros, ce qui explique le prix très élevé à l’achat de ce véhicule, et le fait que tous les Etats qui veulent promouvoir le véhicule électrique doivent lourdement le subventionner. Et malgré ces aides d’État, la part de marché des véhicules électriques reste négligeable, de l’ordre de 1,5% en France.
Le véhicule électrique n’est pas le seul problème. le réseau et la production aussi !
La situation n’est pas meilleure du côté de la production et de la distribution d’électricité. Dans les pays où l’électricité est faiblement nucléarisée, c’est à dire presque partout, la hausse de rendement du groupe motopropulseur électrique est compensée par le rendement assez faible des centrales thermiques, soit environ 40% pour une centrale moderne et bien entretenue. Ce chiffre risque d’être notablement inférieur dans un pays où les producteurs d’énergie ne disposent pas de la capacité d’investir dans les dernières technologies.
Par conséquent, le carburant qui n’est pas brûlé par le VMT l’est en amont, à la centrale. Si on réintègre les coûts de production et distribution de l’électricité et des carburants dans l’équation du rendement de la chaîne de propulsion, l’avantage du Véhicule électrique diminue. L’American Physical Society indique qu’en terme d’usage d’énergie primaire pour rouler (non compris sa fabrication), le VE est 1,6 fois plus efficace que le VMT, ce qui est honorable, mais pas aussi excitant.
Aurons-nous assez de centrales ?
Et quid de la quantité d’électricité nécessaire pour alimenter tous ces VE ? Si demain, d’un coup de baguette magique, tous les VMT étaient remplacés par des VE, pour accomplir le même service de mobilité (13000 km/an par véhicule plus déplacement du Fret routier), un calcul grossier montre qu’il faudrait augmenter la production électrique d’environ 30%, soit un ordre de grandeur d’environ 160 Twh supplémentaires.
En effet, la France consomme 50 Millions de M3 de carburants routiers annuellement, soit 50 milliards de litres, soit environ 490 TWh pour déplacer passagers et fret. En tenant compte du meilleur rendement à la roue du système électrique d’un facteur 3, 160 TWh de besoin en alimentation des VE sont nécessaires si on remplace tout le parc. La France a produit 550 TWh d’électricité en 2018, il faudrait donc passer cette production à 710 TWh toutes choses égales par ailleurs.
Bien sûr, en 2040, il restera encore beaucoup de VMT en service, donc le besoin en TWh électriques supplémentaires ne sera pas aussi élevé. Par contre, la demande de déplacement, elle, risque d’augmenter, simplement du fait de l’augmentation de la population. En tout état de cause, une augmentation importante de la production électrique sera nécessaire.
Or, nos gouvernants ne veulent pas AUGMENTER mais DIMINUER notre production d’énergie et parlent de ne pas renouveler notre parc nucléaire, et en tout cas de ramener à 50% sa part dans notre mix énergétique, pour laisser 30% de la production à des énergies renouvelables intermittentes ! Et bien sûr, si le besoin d’électricité se manifeste de nuit, il ne faudra pas compter sur le solaire pour y répondre.
Quant à l’éolien, et bien… en cas d’absence de vent, absence pas si rare la nuit, il faudra des centrales (fossiles, puisque le nucléaire sera réduit !) pour assurer le back up… Ou des batteries ! Mais les insuffisances de ces technologies, déjà criantes pour propulser des véhicules, le seraient encore plus pour stocker des gigawatts.heure de production en heures ventées et les restituer dans de bonnes conditions en période de faibles vents. L’impasse technologique est criante.
Il y a donc contradiction, voire incohérence, entre plusieurs décisions récemment inscrites ou en voie d’inscription dans la loi française. Dans ces conditions, on ne voit pas comment l’approvisionnement nécessaire pour alimenter un parc de VE pourrait par miracle être assuré d’ici à 2040.
Tous les désavantages ci-avant énoncés concernent le véhicule électrique tel qu’il est aujourd’hui. Mais peut on espérer que d’ici à 2040, le VE ait fait suffisamment de progrès pour remplacer totalement le VMT ? Cette question sera évoquée en deuxième partie.
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Se référer aux rapports de la CRE et de RTE sur la capacité du réseau et de la production à absorber la demande supplémentaire. Le tableau n’est pas si noir.
A désir de mobilité constant difficile de proposer autre chose pour réduire l’empreinte de CO2 globale et améliorer la qualité de l’air en milieu urbain.
C’est bien de comparer les capacités d’un kilo de carburant et un kilo de batterie. Mais après une vingtaine de km , il n y a plus de carburant et toujours 1 kilo de batterie. Mais j’ai l’impression que ce détail vous a échappé.
>Dormoy: vous confondez le contenant (réservoir, batterie) qui ne change pas et le contenu (essence, électricité), qui est consommé dans les deux cas. Sauf que la batterie, semble-t-il, perd en capacité de stockage dans le temps, et pas le réservoir. La comparaison de l’auteur est pertinente.
Cet article est un tissu d’imprécisions
En 2017 il y a eu 757 milliards de voyageurs km en transport individuel, avec un taux de remplissage moyen de 1,4, cela fait 540 milliards de km de voitures individuelles. Avec une consommation moyenne de 15kWh au 100km, cela fait 81TWh par ans consommé par la batterie, avec une perte de 11% par le chargeur AC/DC, et 2% de pertes en lignes cela fait 92TWh, ce qui fait une moyenne de 10,5GW nécessaire sur 1 an, soit 7 EPR nécessaire avec un taux de disponibilité de 90%.
Si on prend les chiffres de RTE, 15,6 millions de véhicules électriques représenterait environ 35 à 40 TWh d’électricité, il y a 38,6 millions de véhicules, ce qui fait 92.7 TWh, je retombe exactement sur mes chiffres.
Ces 10GW nécessaire avec de l’éolien à facteur de charge 21% et du solaire à facteur de charge 15% à 50/50, nécessite en puissance cumulé 55GW de renouvelable, or l’objectif de la PPE d’avoir 47GW d’installé (27 éolien / 20 solaire) pour 2023 semble dire que ce sera réglé pour 2040.
https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-04/datalab-52-chiffres-cles-du-transport-avril2019.pdf
https://www.rte-france.com/sites/default/files/electromobilite_synthese_9.pdf
https://bilan-electrique-2018.rte-france.com/eolien
Il n’a pas besoin de matériaux rare pour faire un VE, ce sont un groupe de métaux aux propriétés voisines comprenant le scandium 21Sc, l’yttrium 39Y et les quinze lanthanides. Ici on parle pour la batterie de lithium, cobal, nickel, manganèses, graphite. Seuls le Néodyme d’un moteur à aimant permanent en fait parti, mais ce n’est pas nécessaire pour la conception d’un moteur électrique.
@HOKKOS – Vous cofondez matériaux rares et terres rares, le cobalt et le lithium, indispensables aux batteries actuelles, sont bien classés dans la première catégorie.