Pendant longtemps à travers l’histoire, la France s’est forgée un statut de puissance agricole. Ce classement de 1re puissance a longtemps semblé aller de soi. Après tout, la France est le pays de Sully, qui voyait dans le labourage et le pâturage les deux mamelles de la nation. Difficile donc d’imaginer que la France importe plus de denrées alimentaires de chez ses voisins qu’elle n’en exporte. Et pourtant… En 2018, la France a importé pour 38,4 milliards d’euros d’aliments, contre des exportations de 38,1 milliards d’euros (niveau quasi-stable depuis 2011). Assez en tout cas pour qu’on puisse se poser la question : comment en est-on arrivé là ?
Alors que le pays entier se laisse bercer par le doux sophisme d’une production plus faible, haut de gamme ou bio, équilibré en volume par l’un des monstres sacrés de la sauvegarde environnementale, j’ai nommé : le gaspillage alimentaire !
Le troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre
Selon les experts, le gaspillage alimentaire représente 1,3 milliard de tonnes de nourriture. « Si les pertes et gaspillages alimentaires mondiaux étaient un pays, ce serait le troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre et le premier utilisateur d’eau pour l’irrigation. La surface servant à produire la nourriture que personne ne consomme ferait des pertes et gaspillages alimentaires le deuxième pays au monde en superficie », déclarait Ren Wang, alors sous-directeur de la FAO. Face à de tels chiffres, il apparaît normal qu’en volume, l’agriculture bio soit présentée comme une alternative crédible à l’agriculture conventionnelle pour nourrir notre pays. Mais dans un marché alimentaire mondialisé, il est si facile pour la grande distribution d’importer de tout, de partout et moins cher.
Il existe un autre gaspillage, lui invisible, non mesurable, caché sous les éléments de langage de « perte de compétitivité » ou « montée en gamme ». On parle ici des volumes non produits par la ferme France. Ainsi, par exemple, la production de blé au semis a un potentiel de 13 tonnes par hectare ; les aléas des bio-agresseurs (insectes, maladies), la concurrence des plantes adventices, le niveau de fertilisation et le climat réduiront d’autant la récolte à 7 à 8 tonnes par hectare en agriculture conventionnelle et la moitié en agriculture bio. Et pourtant, ce blé peut être sur le même terroir, la même quantité d’eau de pluie et de rayonnement solaire. Or force est de constater que les rendements de cette céréale ne progresse plus depuis une dizaine d’années dans notre pays.
Les outils de nutrition et de protection des plantes de la révolution verte se révèlent comme autant de solutions comme limiter la perte de production, comme peut l’être l’irrigation face aux situations de sécheresse. Et ici, nous ne prenons en considération que le volume et la quantité sauvés de ses aléas ; la qualité est souvent également impactée, jusqu’à rendre une production impropre à la consommation.
Les engrais, les pesticides et l’irrigation sont des produits anti-gaspi !
Sans tomber dans l’excès du retour à l’agriculture intensive qui prônait un rendement maximum, un usage raisonné des moyens offerts par la révolution verte permet à l’agriculture française de rester compétitive, tout en gardant à l’esprit l’impératif de préservation de l’environnement et la qualité sanitaire des productions.
Et ceci, d’autres pays l’ont compris et offrent à leur agriculture ces solutions dont on ne dispose plus en France. Le retrait de l’insecticide dimethoate a rendu la production de cerises en France, entièrement aléatoire. Les taupins et autres pucerons parasitent céréales, maïs et betteraves après le retrait des neonicotinoïdes, qualifiés de tueurs d’abeilles (sans apporter de solutions à notre apiculture). Les maïs sont désormais à la merci des corvidés suite aux interdictions de l’anthraquinone et maintenant du thirame. Le niveau impureté augmente dans la production céréalière, avec la forte limitation des solutions herbicides dans l’ensemble de la rotation, amplifié par les perspectives du retrait franco-français du glyphosate. Déjà, des bateaux de blé français risquent d’être refusés sur les ports égyptiens pour des teneurs hors normes en ergots ou coquelicots.
On citera également la baisse de quantités autorisées en sulfate de cuivre qui fragilise les productions de la filière bio. Des solutions de compensation pourraient être trouvées du coté de la génétique (ex : OGM, crispr cas9, NBT..), mais l’approche ultra-prudente qui est actuellement adoptée sur ces technologies isolent encore plus notre agriculture de ces solutions de progrès.
Voilà, ce qui explique ce formidable coup de balancier de la production alimentaire de notre pays : plus d’importations à bas prix et normes (sans effets prévisible des accords CETA et COMERSUR) et moins d’exportations… générées par ce gaspillage de compétitivité à la production.
Plus d’importations, moins d’exportations, coup de balancier sur notre sécurité alimentaire
Alors que des filières entières sont affectées par les options de décideurs seulement soucieux de céder à la bien-pensance, il est peut-être temps de rappeler en le clamant haut et fort qu’engrais, pesticides et irrigation sont autant les alliés des filières bio et conventionnelle dans cette lutte anti-gaspillage. À l’évocation des revenus de nos agriculteurs, on argumente souvent des prix trop bas, sans parler du lourd poids de la réglementation qui limite leur volume de production, partie intégrante de leurs revenus.
Si l’impératif du développement durable et la transition énergétique doivent être la boussole de l’action politique de notre civilisation, la lutte contre tous les gaspillages est une réelle solution pour la réussite de ces objectifs. Elle doit néanmoins lever la complexité des arbitrages et ne pas céder à la facilité d’arguments dogmatiques. On ne peut continuer à refuser, sous couvert de la transition écologique, de réelles solutions telles que le génie génétique, les carburants et la chimie verte. Une agriculture écologiquement intensive recyclant le carbone avec l’énergie inépuisable de notre soleil, produisant localement sur nos territoires, avec nos infrastructures et nos règles sociales.
Un pays en jachère de projets agricoles ne peut que se retrouver fauché… comme les blés !