Rares sont les scientifiques qui ont le sens de la communication. Catherine Regnault Roger fait partie de ce petit groupe. Pharmacien de Paris 5, Docteur d’Etat ès-sciences naturelles de l’Université Pierre et Marie Curie, elle est aujourd’hui Professeur des universités émérite (E2S UPPA) et membre de l’Académie d’Agriculture. Elle est reconnue pour ses travaux de recherche sur la bioprotection des agrosystèmes et de l’environnement à travers une démarche d’écologie chimique et de qualité sanitaire des récoltes (mycotoxines), puis pour des recherches transdisciplinaires sur les biotechnologies et le biocontrôle. Enfin, elle a exercé comme membre du Comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies pendant 12 ans. Il est donc difficile de trouver quelqu’un plus qualifié qu’elle pour écrire un ouvrage bilan sur les « Enjeux biotechnologies, des OGM à l’édition du génome » … rendre ce sujet accessible au plus grand nombre et nous offrir un véritable panorama sur le sujet… Un travail d’autant plus nécessaire que l’opinion en a bien besoin. Remarquablement construit, ce livre est fait de courts chapitres didactiques très bien argumentés et documentés qui vous permettent d’aller du plus général au plus particulier de la connaissance sur le sujet.
A l’occasion de l’été European Scientist diffuse les bonnes feuilles d’ouvrages en lien avec la politique scientifique. Voici un extrait de l’ouvrage de Catherine Regnault Roger intitulé « Enjeux biotechnologies, des OGM à l’édition du génome » édition Ecole des Mines
Conclusion générale : L’Union européenne à la croisée des chemins biotechnologiques
L’innovation biotechnologique, un enjeu pour la souveraineté agro-alimentaire et pharmaceutique
Notre espèce, Homo sapiens sapiens, s’est affranchie des aléas de la cueillette et de la chasse en créant l’agriculture. Des outils qu’elle a inventés l’ont fait évoluer. Sa pensée s’est affirmée, ouvrant de nouveaux champs de développement à son intelligence. L’innovation est au cœur de cette évolution et lui a permis de faire face aux changements que provoquent les nouveautés pour mieux en garder les avantages et en limiter les effets non désirés, les inconvénients, les dangers et les risques.
Ce faisant, sa population s’est accrue passant en quelques siècles de quelques millions à 7,7 milliards aujourd’hui : des hommes, des femmes, des enfants qu’il faut nourrir et auxquels notre humanité, dans son essence, doit assurer à tous, dans les villes et les campagnes, sous les tropiques ou dans la taïga, des conditions de vie décentes. La notion de progrès est aujourd’hui vilipendée, la finitude de la planète effrayant des Cassandre qui invoquent une surpopulation et prônent la décroissance. Mais voulons-nous revenir à l’âge de la bougie alors que nous ne sommes pas capables de nous passer de notre téléphone portable ?
Les biotechnologies sont parmi les outils nouveaux que le XXe siècle a développés. Ces technologies appliquées au vivant reproduisent en laboratoire des phénomènes naturels en s’affranchissant de l’incertitude des modifications spontanées du génome qui interviennent dans la nature.
Ces outils ont évolué au fil des années. Jennifer Doudna, co-inventrice avec Emmanuelle Charpentier en 2012 de la technique CRISPR/Cas9 qui crée une vraie rupture dans les modifications génomiques réalisées en laboratoire, a présenté ainsi les avancées réalisées ces dernières années :
«Alors que dans le passé, toutes les technologies étaient des sortes de marteaux de forgeron, maintenant c’est comme travailler avec des scalpels moléculaires pour génomes ».
Faut-il refuser le progrès d’être plus précis, de ne modifier que ce qui doit l’être sans effet indésiré pour obtenir le résultat escompté ? Faut-il renoncer à se perfectionner ?
Les biotechnologies de première génération sont donc des techniques moins sophistiquées, mais elles ont fait gagner du temps dans la mise au point des modifications souhaitées. Grâce à des micro-organismes (bactéries, virus) génétiquement modifiés, des hormones humaines fabriquées en fermenteur et des vaccins pouvant mieux soigner ou prévenir des maladies comme le diabète ou l’hépatite B ont été développés. En agriculture, des améliorations variétales pour que les plantes cultivées puissent mieux se protéger contre les insectes ravageurs ou les maladies, et que le travail de désherbage soit moins pénible pour l’agriculteur, ont été réalisées. Malgré leurs imperfections, ces techniques de première génération ont permis des avancées thérapeutiques décisives permettant à des millions de patients de mieux supporter leur maladie, et à de nombreux paysans pauvres de pays en développement ou émergents (17 millions en 2019) de diminuer les traitements phytosanitaires sur leurs parcelles tout en augmentant les rendements des cultures et leurs revenus comme le souligne l’exemple de la culture de l’aubergine Bt au Bangladesh. Ce ne sont pas les seuls résultats de la mise en œuvre de ces biotechnologies de première génération mais ne serait-ce que pour cela, la démarche valait la peine d’être tentée.
La controverse sociétale sur les OGM a été créée de toutes pièces par des ONG ennemies du progrès. Contrairement à son joli nom (la paix verte), Greenpeace, au premier rang, multiplie de noires actions contre les technologies innovantes parmi lesquelles les biotechnologies. Plusieurs auteurs, journalistes, scientifiques et académiciens ont souligné dans leurs ouvrages (1) que la défiance envers les OGM a été organisée, non pas sur des bases scientifiques, mais sur celles de choix politiques, de choix de société. Une minorité veut imposer sa conception du développement par des actions d’éclat, symboliques quelquefois, destructrices souvent (saccages des champs d’agriculteurs ou d’essais expérimentaux de terrain, vandalisme dans des laboratoires ou des entrepôts, etc.). À cela s’ajoute, depuis quelques années, une guérilla réglementaire et parlementaire.
Ces exactions, en effet, qui bénéficient d’une grande mansuétude judiciaire en France, ont été encouragées par la complaisance, voire la complicité, du monde politique. En marge du Grenelle de l’environnement de 2007, un accord fut passé entre la Présidence de la République et les élus de la mouvance de l’écologie politique (aujourd’hui le parti EELV Europe Écologie Les Verts) dont le Premier ministre du gouvernement français en exercice cette année-là a témoigné dans un ouvrage (2). Cet arrangement consistait à sacrifier les cultures OGM sur le territoire national contre une neutralité envers le nucléaire : un marché de dupes puisque la centrale nucléaire de Fessenheim a été fermée en 2020 (3) en raison, là aussi, d’accords politiciens.
Depuis 2007, en France et dans l’Union européenne, il y eut, au mieux, une incompréhension des enjeux biotechnologiques, au pire une certaine lâcheté et une démission devant les activistes environnementalistes, voire une connivence qui ont conduit à infléchir la réglementation européenne sur les OGM afin de faciliter le refus de cette technologie. Aujourd’hui, les OGM agricoles sont uniquement cultivés dans l’UE en Espagne et au Portugal, des pays qui, comme le village d’Astérix et d’Obélix, résistent !
Mais la situation va évoluer au cours des prochaines années. En effet, les biotechnologies de deuxième génération (NGT), comme ce livre l’a souligné, autorisent encore plus d’espoirs dans le domaine de l’agriculture, de la médecine humaine et vétérinaire et du bien-être animal. Si un petit nombre de produits issus de NGT sont aujourd’hui commercialisés (domaine de la biofortificationalimentaire et des alicaments), les applications sont nombreuses à un stade de R&D qui permettront une mise en marché d’ici 5 à 10 ans.
Les brevets pris sur ces avancées technologiques seront déterminants pour l’indépendance agro-alimentaire ou pharmaceutique des pays.
Il existe une course mondiale au dépôt de brevets avec deux champions qui font jeu égal : la Chine et les États-Unis. La Chine, de manière avisée, a en effet développé une politique de recherche par l’envoi d’étudiants qui vont se former à l’étranger dans des laboratoires de pointe (États-Unis, Union européenne, Royaume-Uni, Canada, etc.) et reviennent au pays pour faire progresser les recherches dans le domaine. Elle a également encouragé le rachat de sociétés très avancées technologiquement, telle que la société suisse Syngenta par le consortium public ChemChina, pour créer des synergies qui lui permettent d’être un pays leader du secteur.
La France, mais aussi l’Union européenne, ne brillent pas par leur dynamisme dans ce secteur. Certes, des investissements de recherche sont réalisés au moyen de programmes-cadres européens pour la recherche et le développement technologique (PCRD), tels le PF7 (2007-2013) puis le H2020 (2014-2020) et aujourd’hui Horizon Europe (2021-2027), mais la concrétisation des résultats obtenus se fait ailleurs dans le monde. La faute en incombe à des lourdeurs administratives et surtout à une réglementation européenne disproportionnée par rapport aux risques encourus.
La Cour de Justice européenne (CJUE) a en effet statué qu’il fallait appliquer aux produits des biotechnologies de deuxième génération la réglementation OGM qui a été définie initialement en 1989-1990 puis consolidée en 2001 par la directive2001/18/CE. Cette directive, qui pouvait se concevoir en 2001, est aujourd’hui devenue obsolète en raison des progrès de la connaissance scientifique qui se sont produits depuis 20 ans. La décision de la CJUE place l’Union européenne en porte-à-faux, non seulement en termes de développement technologique, mais aussi en termes économiques de circulation des biens dans un marché globalisé. Voulons-nous, comme pour les OGM, refuser la culture des variétés génétiquement éditées (dont certaines modifications sont indétectables dans le produit fini) pour mieux les importer, et être ainsi à la remorque des pays qui, d’ailleurs, ne différencient pas, aujourd’hui, dans leurs cargaisons, les sojas ou les maïs OGM ou conventionnels qui arrivent mélangés ?
De nombreux pays se sont emparés des techniques d’édition du génome pour projeter leur développement, même quand leurs moyens sont limités. Des collaborations entre des institutions internationales et américaines et des laboratoires africains ont été nouées pour permettre à ce continent d’avoir des réponses adaptées aux conditions locales et à son environnement.
Le refus de ces avancées biotechnologiques conduira inéluctablement au déclin économique de l’UE. Le fait que la société Calyxt, filiale de la société française Cellectis (à l’origine une start-up de l’Institut Pasteur), ait dû s’américaniser pour poursuivre son essor en dit long sur les entraves qui existent dans notre pays pour permettre un développement économique prometteur.
Heureusement, la Commission européenne a ouvert une porte en avril 2021 pour que soit révisée la réglementation appliquée aux applications végétales, traitant à part les applications dans le domaine de la santé. Une consultation est en cours.
(1) Par exemple Hervé Kempf (2003), La Guerre secrète des OGM, Seuil; Jean-Paul Oury (2006) La querelle des OGM, PUF ; Jean-Paul Jaillette (2009) Sauvez les OGM, Hachette ; Gil Rivière-Wekstein (2012) Faucheurs de science, Le Publieur ; Marcel Kuntz (2014) OGM,la question politique, PUG ; Bernard Le Buanec (2016) Les OGM : pourquoi la France n’en cultive plus ?, Presses des Mines.
(2) François Fillon (2015) Faire, Albin Michel.
(3) Présidents de la République : en 2007 Nicolas Sarkozy et en 2020 Emmanuel Macron.
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