Le 5 juillet dernier une nouvelle étape de la procédure de révision de la réglementation européenne qui sera appliquée aux nouvelles techniques génomiques NGT (New Genomic Techniques) a été franchie. Cette évolution de la législation est réalisée au moyen d’une « initiative européenne » et se révèle un processus complexe qui s’étale sur plusieurs années ! Où en sommes-nous ?
Un processus très long
L’initiative européenne engagée se déroule en plusieurs étapes.
Le Conseil européen du 8 novembre 2019 a enjoint la Commission européenne (CE) de lui soumettre des propositions pour faire évoluer la législation concernant les nouvelles biotechnologies après l’arrêt de Cour européenne de justice (CJUE) du 25 juillet 2018 qui indiquait que tous les produits issus des nouvelles techniques de modification génomique par génie génétique postérieures à 2001 devaient être considérés, sans exception, comme des OGM. Un jugement qui plaçait l’Union Européenne (UE) en porte-à-faux vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux dans le secteur agricole. La Commission a donc diligenté des études qui ont été réalisées par le JRC (Joint Research Center) sur l’état de l’art et les développements de la recherche en R&D (1). L’étape suivante s’est déroulée en avril 2021 quand, forte des conclusions de ces études, la CE a demandé par une lettre officielle adressée au pays en charge de la présidence tournante de l’Union européenne (à cette époque le Portugal), d’initier le processus d’une initiative européenne pour faire évoluer cette réglementation. La phase suivante dite de la feuille de route (road map) s’est achevée en octobre 2022 par le recueil de l’avis des citoyens européens, des acteurs économiques et d’organismes divers sur les propositions à effectuer. Cette étape a été l’objet d’une cyberattaque visant à stopper l’initiative. Appuyée par des députés européens écologistes, cette manœuvre anti-démocratique a cependant été déjouée. Le processus s’est par conséquent poursuivi par une consultation publique organisée du 22 avril au 22 juillet 2022. Les résultats ont été sans appel : 80% des réponses se sont déclarées en faveur d’un changement de réglementation et 17% contre (des ONG bien connues pour leurs positions anti-progrès technologiques). Forte de ces résultats, la CE a publié le 5 juillet 2023 une proposition de réglementation qui est soumise à commentaires du public afin d’éclairer les débats parlementaires qui auront lieu au Parlement européen et au Conseil de l’Europe à l’automne-hiver 2023-2024. L’ensemble du processus intervient par conséquent sur plus de cinq ans !
Les propositions réglementaires de la Commission européenne pour les NGT
La Commission européenne propose de réglementer deux catégories de produits issus de techniques NGT, la mutagenèse ciblée (telle que la technique CRISPR) et la cisgenèse. La technique CRISPR permet de couper avec beaucoup de précision (on évoque des ciseaux moléculaires) de l’ADN cellulaire grâce à une protéine cellulaire (Cas) associée à un ARN guide. Cette coupure peut être réparée de plusieurs façons avec des modifications mineures comme la suppression ou le remplacement d’un petit nombre d’unités de base de l’ADN (les nucléotides) qui s’accompagne d’un réarrangement génomique, ou bien l’insertion de matériel génétique plus conséquent. La cisgenèse consiste en une modification génétique dans laquelle n’intervient que du matériel génétique de l’espèce ou d’espèces ayant une origine commune et qui peut être aussi réalisée par des techniques de sélection classique.
Le projet de réglementation européenne distingue deux cas :
- les plantes NGT-1 que le nouveau règlement classe comme équivalentes aux plantes conventionnelles. Les modifications génétiques mineures produites en laboratoire par les techniques NGT qui auraient pu se produire spontanément dans la nature ou résulter d’un processus de sélection classique sans ajout d’ADN étranger au pool génétique seront dispensées de suivre la réglementation OGM. Elles ne sont pas soumises à un plan d’évaluation des risques et les produits qui en sont issus n’ont pas d’étiquetage particulier ; mais les semences en ont un afin d’informer l’agriculteur qui les cultive. Les plantes rangées dans cette catégorie ont reçu une notification positive des autorités, après dépôt d’un dossier et avis de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA). Ce dossier contient des renseignements très précis sur les réarrangements génétiques autorisés dont la liste est donnée par l’annexe 1 du texte et qui doivent être mineurs (par exemple une substitution et une insertion de 20 nucléotides maximum). Puis la décision est inscrite dans une base de données ouverte à tous. Les Etats membres de l’Union ne sont pas autorisés à interdire la mise en culture et les essais expérimentaux en champ ou sous serres de ces plantes qui ont reçu l’agrément communautaire.
- Les plantes NGT-2 qui ont été modifiées aussi par les nouvelles techniques génomiques mais dont les modifications opérées ne rentrent pas dans les critères de la catégorie NGT-1. Ces plantes NGT-2 sont soumises à une réglementation de type OGM adaptée qui doit être proportionnée au caractère modifié et comprend une évaluation des risques de sécurité sanitaire et environnementale. Le dossier de demande d’autorisation des plantes NGT-2 est beaucoup plus lourd que celui des NGT-1. Doivent y être indiqués en particulier : (1) les outils moléculaires de traçabilité ou, si cette traçabilité est impossible à réaliser, en expliquer les raisons ; (2) un étiquetage qui peut comporter des mentions positives (par exemple tolérance à la sécheresse ou à des maladies, amélioration de la qualité alimentaire etc.) ; (3) de plans de surveillance environnementale si nécessaire. Les décisions notifiées par les autorités sont consignées dans la base de données évoquée ci-dessus.
Une avancée certes…. mais une révision a minima
Tout en insistant pour qu’il y ait une réglementation équilibrée « pour prendre en compte le progrès scientifique et envisager le développement de ces variétés au niveau de l’Union européenne sans générer de distorsions de concurrence avec le reste de la planète » (2), plusieurs organisations professionnelles, telles que Euroseeds au niveau européen, l’Association de la bioindustrie espagnole (ASEBIO) en Espagne, pays qui préside depuis le 1er juillet 2023 l’Union européenne, l’Union Française des Semenciers (UFS) en France, se félicitent de la création d’une catégorie de plantes NGT-1 soumises à déclaration mais dispensées de la réglementation OGM.
Cette décision représente certes une ouverture pour l’utilisation des certaines NGT dans l’Union européenne, mais que faut-il penser de cette évolution réglementaire à cette étape?
La révision réglementaire proposée est en effet une révision a minima en raison du périmètre restreint, défini dans son annexe-1, des modifications génétiques autorisées pour la classification NGT-1. Elle exclut par ailleurs les applications animales et microbiologiques. Examinons ces deux points.
Une notification spécifique pour les NGT végétales alors que l’inscription au Catalogue est une procédure qui a fait ses preuves
Le projet proposé se cantonne à déréguler des modifications génomiques de produits végétaux réalisées par NGT mais qui pourraient aussi être obtenus par mutation naturelle ou sélection classique. Mais puisque ces produits NGT-1 ne peuvent se distinguer des produits conventionnels, pourquoi leur imposer la procédure d’une notification particulière avec une inscription « catégorie NGT-1 » dans une base de données spécifique ?
Rappelons que toute nouvelle variété qui veut être commercialisée en France doit passer avec succès les tests de Distinction-Homogénéité-Stabilité (DHS) et de Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale (VATE) sous la responsabilité du GEVES (Groupe d’Etude et de contrôle des Variétés Et des Semences) avant d’être inscrite au Catalogue officiel des espèces et variétés des plantes cultivés en France qui existe depuis 1932. Au niveau européen, toute variété inscrite dans un catalogue national figure dans le catalogue commun européen, ce qui lui permet d’être commercialisée dans l’ensemble de l’UE. En 2023, le Catalogue officiel français réunit plus de 9000 variétés et le Catalogue commun européen plus de 23000 (3). Chaque nouvelle variété végétale est donc reconnue et certifiée à partir d’évaluations exigeantes, puisque 30% à 40% seulement de variétés postulant à cette reconnaissance l’obtiennent. C’est aussi une évaluation objective qui se base sur les caractéristiques du produit fini. La méthode d’obtention de la nouvelle variété (mutation, croisement sexué) n’est pas demandée dans le dossier DHS-VATE (4).
On précisera également que depuis 2017, une commission particulière, la Commission inter-Sections dédiée à l’évaluation des variétés pour l’Agriculture Biologique (la CISAB) a été créée au sein de CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées) afin de favoriser l’inscription au Catalogue officiel de variétés adaptées à l’agriculture biologique (AB). Pourquoi cette commission ne gérerait-elle pas les exigences de cette agriculture qui a une obligation de moyens et non de résultats et qui est si particulière avec son cahier des charges refusant les progrès technologiques ? Une agriculture, somme toute, très idéologique et qui peine à reconnaître ses insuffisances. Elle est encouragée grâce au lobbying intense de partis politiques (écologistes notamment) qui ont convaincu les instances de l’UE d’augmenter les surfaces cultivées en AB dans l’Union, alors que les agriculteurs et les consommateurs se détournent depuis quelques mois de cette approche dogmatique de la production agricole.
Pourquoi ne pas appliquer aux produits NGT la seule procédure qui a fait ses preuves depuis presque un siècle : l’inscription au Catalogue qui prend en considération les caractéristiques du produit fini ?
Au Canada, la règlementation appliquée aux nouveaux produits se base sur cette approche : elle évalue les caractéristiques du produit fini indépendamment de la méthode d’obtention : croisement traditionnel, transgenèse (OGM) ou NGT. Cette approche très rationnelle est empreinte de pragmatisme et d’efficacité. Elle a été rendue possible parce que le principe de précaution n’a pas le même sens sur le continent nord-américain que dans l’Union européenne où, depuis près de vingt ans, il freine l’innovation technologique !
Une révision au périmètre restreint
Ne sont donc pas concernées dans la révision réglementaire en cours, les techniques de modification génétique qui ne sont ni la cisgénèse ni les mutations ciblées. Cette restriction prend acte de l’essor de certaines techniques d’édition du génome qui dominent largement la recherche du secteur aujourd’hui, avec la technique phare CRISPR qui a valu à ses auteurs, l’européenne Emmanuelle Charpentier et l’américaine Jennifer Doudna, le prix Nobel de Chimie en 2020. Prenons acte de ce choix judicieux qui se base sur une rupture technologique qui plonge l’innovation biotechnologique dans une dimension prometteuse.
Mais ne sont pas concernés non plus dans la nouvelle réglementation, les micro-organismes et les animaux. Les rapports qui ont été commandés au JRC ont souligné que dans le secteur agro-alimentaire, plus de 80% des projets R&D concernaient les organismes végétaux et fongiques. Faut-il pour autant exclure du champ de la révision les applications animales et microbiologiques ? A un moment où l’importance de la santé du sol et des millions de micro-organismes et organismes telluriques est soulignée pour améliorer l’agriculture ? A un moment où les recherches portant sur l’édition génique des animaux d’élevage contribuent à améliorer non seulement la santé animale mais aussi le bien-être animal… ailleurs dans le monde !
L’Académie vétérinaire de France a souligné à plusieurs reprises que les recherches sur animaux étant conduites en milieu très contrôlé, il est incompréhensible qu’elles ne puissent être encouragées par une réglementation européenne appropriée (5). Cette position est totalement partagée par l’Union européenne des Académies d’agriculture (UEAA) (6) qui s’inquiète qu’en ces temps de zoonoses (variole du singe, Covid-19), les travaux de recherche européens sur les animaux soient entravés par cette exclusion.
Abroger la directive 2001/18
Les recherches des vingt dernières années ont montré que les modifications génomiques par génie génétique, autrefois considérées comme artificielles c’est-à-dire résultant d’une manipulation humaine, se produisaient spontanément dans la nature à un moment non choisi par l’homme. Car il existe non seulement des mutations génétiques mais aussi des flux transgéniques totalement spontanés. Avec le génie génétique, il est en revanche possible choisir la modification que l’on veut opérer à un moment où c’est utile, en s’affranchissant des hasards de la nature.
En progressant dans la connaissance, la recherche a ainsi montré que la directive 2001/18 était devenue obsolète. Publiée en 2001, à un moment où les incertitudes étaient encore grandes, empreinte du principe de précaution qui est inscrit dans la Constitution française depuis près de 20 ans et qui figure dans l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de 2016, la directive européenne sur les OGM doit être actualisée.
On aurait pu penser que la révision exigée en 2019 par le Conseil européen et enclenchée par la Commission européenne (CE) serait l’occasion de reconsidérer la législation sur les modifications génomiques dans l’Union. De nombreux pays en Amérique du Nord et du Sud, et en Asie, ont pris ce chemin. Avec la récente proposition de la CE publiée le 5 juillet 2023, on constate que ce n’est pas le cas. A l’instar du président de la République française Emmanuel Macron, la Commission européenne aurait-elle décidé de pratiquer l’ambiguïté du « en même temps » afin d’éviter de prendre des positions tranchantes ? Cette attitude frileuse est-elle à la hauteur des enjeux biotechnologiques (7), économiques et de souveraineté agro-alimentaire pour l’Union européenne dans un monde globalisé ?
(1) Broothaerts W, Jacchia S, Angers A,Petrillo M, Querci M, Savini C, Van den Eede G, Emons H. New Genomic Techniques: State-of-the-Art Review, Publications Office of the European Union Luxembourg. 2021. & Parisi C, Rodríguez-Cerezo E. Current and future market applications of new genomic techniques, Publications Office of the European Union, Luxembourg. 2021.
(2) CP – Nouvelles techniques d’amélioration des plantes (NGT) 5/07/2023 https://www.ufs-semenciers.org/a-la-une/cp-le-collectif-en-faveur-de-linnovation-varietale-salue-une-premiere-etape-vers-une-reglementation-europeenne-adaptee/
(3) https://www.semae.fr/catalogue-varietes/ (en ligne le 10/07/23)
(4) L’auteur remercie Pierre Devaux et Daniel Segonds, membres de l’Académie d’agriculture de France, pour leur éclairage sur le sujet.
(5) Académie vétérinaire de France. Avis relatif à la production de modifications ciblées dans le génome des animaux domestiques. 2019. https://academie-veterinaire-defrance.org/publications/avis-rapports-prises-de-position/genome-des-animaux-domestiques-modifications-ciblees Académie vétérinaire de France. Lettre de Monsieur le Président de l’Académie Vétérinaire de France à Madame la Présidente de la Commission de l’Union Européenne, Madame Ursula von der Leyen. 2021. https://academie-veterinaire-defrance.org/actualites/lettre-a-madame-presidente-de-la-commission-de-lunion-europeenne-importance-strategique-pour-lunion-europeenne-de-la-recherche-sur-ledition-genomique-pour-lutter-contre-les-panzooties-de-maladies-infectieuses-chez-les-animaux-de-production
(6) Union of European Academies of Agriculture (UEAA). Recommendations for an EU regulation frame concerning Genome Editing Research and Development for Crop Plants and Farm Animals. 2022. https://ueaa.info/2022/01/03/the-ueaa-recommendations
(7) Regnault-Roger C. Enjeux biotechnologiques, des OGM à l’édition du génome, Presses des Mines, Paris, 2022, 204 pages
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J’aimerais rajouter à cette excellent article quelques réflexions personnelles
La commission n’a pas le courage de légiférer sur les nouveaux organismes par leurs propriétés; elle reste enfermée dans le piège de la définition des organismes par la naturalité supposée et le type de technologies dont ils sont issus.
Naturalités et barrière des espèces sont deux principes créationnistes qui sont implicitement omniprésents dans ce texte.
Ainsi les NGT sont divisés en deux catégories, selon qu’elles pourraient ou ne pourrient pas être produites soit « naturellement » soit par des méthodes conventionnelles,.
Tout cela n’a rien avoir avec l’impact final du nouveau produit…..
Elle ne tire pas non plus les leçons de la décision de cour de justice européenne de 2018; pour la commission la législation sur les OGM reste bonne.
Or, dans son attendu 35, le jugement met en avant une incohérence grossière: alors que l’article 2 impose qu’une technique doit figurer dans l’annexe A pour être considéré comme OGM, cette annexe introduit les mots « entre autre » («Les techniques de modification génétique visées à l’article 2, point 2, sous a, sont, entre autres:»), ce qui crée une incohérence qui a permis à la cour d’inclure les NGT dans la la catégorie des OGM en contradiction avec de l’article 2.
La commission ne pense pas non plus à se prémunir contre l’argument du jugement selon lequel les NGT sont susceptibles de produire des plantes résistantes aux herbicides. Argument qui a incité la cour, par amalgame, à interdire tous les organismes issus des NGT, même les plus vertueux.
Ces abus pourraient se reproduire, faute de légiférer sur les propriétés des organismes plutôt que sur leur prétendu naturalité ou origine technique. Tout particulièrement dans le cas de la catégorie 2, qui reste largement soumise à la législation sur les OGM.