Le rapport de la Commission européenne sur les « nouvelles techniques génétiques » prévu depuis plus d’un an, a été publié comme annoncé, avant la fin du mois d’avril 2021. Il représente un exercice d’ « en même temps» prévisible et ouvre un nouveau cycle de débats, sans rien régler quant aux enjeux.
Retour en arrière
En juillet 2014, la société nord-américaine de biotechnologie Cibus s’est enquise auprès du BVL, l’agence fédérale allemande de sécurité alimentaire et de protection du consommateur, du statut réglementaire d’un colza tolérant à un herbicide, obtenu lors d’un programme de sélection variétale basé sur l’ « édition de gènes ». Cette modification génétique, au sens scientifique du terme, n’a pas fait appel à la transgénèse (transfert de gène en laboratoire) qui tombe en Europe sous le coup de la définition – juridique celle-là – d’une « modification génétique » (les « OGM ») ; ce qui implique un lourd et coûteux fardeau d’obligations réglementaires. Dans les Directives européennes concernées (d’abord en 1990, puis 2001), la mutagénèse est dispensée de ces obligations qui visent essentiellement la transgénèse, car c’était la technique nouvelle lors de l’élaboration des Directives sur les « OGM ». En apparence logiquement, le BVL a donc décidé que ce colza de Cibus ne devait pas être considéré comme un « OGM » (dans son sens juridique), car résultant d’une forme de mutation (modifications ponctuelles de lettres de l’ADN), certes induite par l’Homme, mais qui aurait aussi pu se produire naturellement.
C’était compter sans les puissantes organisations anti-OGM qui ont contesté l’avis du BVL. Le colza, ainsi que tous les produits obtenus par édition de gènes se retrouvèrent ainsi littéralement dans les limbes de la réglementation européenne (M. Fladung, 2016 ).
Un intense débat
S’en suivirent de nombreuses discussions, de tribunes et d’articles scientifiques débattant de la question si, selon la Directive européenne sur les OGM, les nouvelles variétés végétales générées par édition de gènes doivent ou pas être soumises aux obligations qui incombent aux organismes génétiquement modifiés (au sens juridique du terme). L’analyse sémantique des phrases-clés de ladite Directive laissa les juristes divisés… Un consensus s’établit chez les scientifiques d’abord pour dire que les mutations qui auraient aussi pu se produire naturellement ne doivent pas être concernées, et donc pas non plus l’édition de gène. Secondement, que la Directive européenne est aujourd’hui dénuée de sens, car elle cible les techniques pour produire, par exemple, des variétés de plantes, alors qu’il serait plus raisonnable de s’attacher aux propriétés de ces plantes, car ces dernières déterminent les bénéfices et les risques.
Un débat tranché par la Cours de Justice de l’Union Européenne (CJUE)
Le 25 Juillet 2018 la CJUE, saisie par le Conseil d’Etat français, lui-même saisi par des organisations anti-OGM, rendit un avis décevant pour les scientifiques et les industriels des semences : les produits issus de mutagénèse sont bien des OGM et peuvent donc, en principe, être soumis aux obligations de la Directive « OGM », tout en nuançant que les produits issus de telles techniques qui ont déjà été utilisées par le passé et sont considérées comme sûres sont exemptées ; les Etats Membres de l’UE pouvant néanmoins choisir de les soumettre à ces obligations. L’édition de gène est donc concernée, bien que non visée directement par l’avis.
Le jugement fut critiqué par le gouvernement des Etats-Unis, largement commenté et soumis lui-aussi à interprétations sémantiques (voir par exemple Vives-Vallés et Collonnier). Cependant, au vu de la Directive OGM et de la vision du Principe de Précaution ayant cours en Europe, l’avis de la CJUE n’est pas dénué de fondement juridique. C’est plutôt la législation qui est absurde d’un point de vue rationnel…
Après l’avis de la CJUE, l’idée d’une révision du cadre juridique de l’UE sur les OGM a pris de l’ampleur et cela n’autant plus que le Prix Nobel de Chimie fut attribué en 2020 à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna pour leur travaux sur le système CRISPR-Cas, qui ouvrirent la voie à la technique d’édition de gène la plus prometteuse (voir A. Ricroch ).
Le dossier sur la table de la Commission européenne
Saisie par le Conseil de l’UE, la Commission promit de rendre un rapport avant la fin avril 2021, ce qu’elle fit. Fidèle à la tradition euro-bruxelloise, l’élaboration de ce rapport donna lieu à du lobbying intense des « parties prenantes ». Sans surprise les organisations de l’écologie politique ont fait pression pour des contraintes maximales, pour empêcher ainsi le déploiement des applications de ces nouvelles biotechnologies. Des initiatives scientifiques ont rappelé l’importance de ces innovations. L’initiative « European Sustainable Agriculture through Genome Editing» (EU-SAGE) a ainsi œuvré pour promouvoir des politiques qui permettent l’utilisation de l’édition de gène pour une agriculture et une alimentation « durables », des idées reprises par le think-tank Re-Imagine Europe, en montrant leur compatibilité avec les objectifs du Pacte Vert européen et sa stratégie « De la ferme à la table » (voir aussi ).
Un rapport qui tente de concilier les points de vue
L’étude a identifié les limites de la capacité de la législation à suivre le rythme des développements scientifiques et reconnait que ces derniers « entraînent des problèmes de mise en œuvre et des incertitudes juridiques ». La législation doit donc être adaptée… car « il ne peut pas être justifié d’appliquer différents niveaux de surveillance réglementaire à des produits similaires présentant des niveaux de risque similaires, comme c’est le cas pour les variétés de plantes obtenues de manière conventionnelles et celles obtenues à partir de certaines « nouvelles techniques génétiques ».
Dans une approche « en même temps », le rapport confirme que ces techniques « ont le potentiel de contribuer à des systèmes agroalimentaires durables conformément aux objectifs du Green Deal européen et de la stratégie de la ferme à l’assiette », et « dans le même temps, les applications de ces techniques dans le secteur agricole ne devraient pas porter atteinte à d’autres aspects de la production alimentaire durable, par exemple en ce qui concerne l’agriculture biologique ».
Le rapport recommande qu’ « une action politique future devra également combler les lacunes et les limites des connaissances identifiées dans cette étude. Il est important de noter que davantage d’efforts devraient être faits pour informer et dialoguer avec le public et évaluer ses points de vue ».
Nous sommes donc repartis pour un tour de débats… pendant que d’autres pays développent ces technologies et concentrent les brevets.
Image par mohamed Hassan de Pixabay
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